L’engagement à mettre fin à ce genre de procès tarde à se concrétiser
(Rabat, le 22 décembre 2014) – Les autorités
marocaines
devraient remettre en liberté un militant sahraoui qui est en détention
préventive dans l'attente d'un procès depuis plus de 15 mois, a déclaré
Human Rights Watch aujourd'hui. Mbarek Daoudi, contre qui pèsent des
accusations qu'il conteste de possession et
manufacture illégales d'armes, a comparu devant un tribunal militaire
le 30 janvier 2014 mais depuis lors, la procédure engagée à son encontre
a été reportée sine die.
Cet activiste sahraoui, âgé de 58 ans, observe une grève de la faim
depuis début novembre, afin de protester contre ses conditions de
détention et contre le report de son procès. Après son arrestation fin
septembre 2013, il avait affirmé à ses avocats que
la police l'avait passé à tabac et insulté, et l'avait forcé à signer
des « aveux
».
« Si le Maroc dispose de preuves que Mbarek Daoudi s'est livré à
des activités criminelles, les autorités devraient le juger de manière
équitable et sans tarder devant un tribunal civil
», a déclaré
Sarah Leah Whitson,
directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du nord à Human Rights Watch. « En attendant, les autorités devraient le remettre en liberté.
»
Le fils de Mbarek Daoudi, Omar, a déclaré à Human Rights Watch que
son père subsistait en absorbant du sucre et du thé mais que son état de
santé s'était considérablement détérioré. Il partage une cellule
collective avec des prisonniers de droit commun.
Les tribunaux marocains ont manifesté une tendance
à condamner des militants du Sahara occidental inculpés d'activités
criminelles à l'issue de procès iniques. Certain de ces procès ont été
entachés d'irrégularités, notamment du fait que les tribunaux se sont
abstenus d'examiner les affirmations des accusés
selon lesquelles leurs aveux leur avaient été extorqués par la police
sous la torture ou les mauvais traitements ou avaient été falsifiés, ou
que la police les avait forcés à signer des déclarations sans les lire.
Dans une décision qui a été saluée à l'époque par les militants des
droits humains, le gouvernement du Maroc a proposé en mars des réformes
du code de justice militaire qui mettraient fin à la compétence des
tribunaux militaires pour juger des prévenus
civils. Les chambres basse et haute du parlement ont approuvé ces
amendements, respectivement en juillet et en octobre, mais ils doivent
encore être publiés au
Journal Officiel
du Maroc avant de prendre effet.
Daoudi est le seul civil sahraoui à devoir être jugé par un tribunal
militaire, selon son avocat, Mohamed Fadhel Leïli. Un autre civil,
Mamadou Traoré, un migrant originaire du Mali, doit également être jugé
par un tribunal militaire pour avoir prétendument
lancé une pierre qui a causé la mort d'un membre des Forces auxiliaires
près de Nador en juillet 2012. Aux termes du code de justice militaire
dans sa forme actuelle, les infractions commises contre des membres des
forces de sécurité sont passibles des juridictions
militaires. Le tribunal militaire de Rabat a ouvert le procès de Traoré
en février, puis l’a reporté sine die ; il est détenu depuis deux ans
et demi.
Depuis que Daoudi a pris sa retraite en 2008 après une carrière dans
l'armée marocaine, il s'est exprimé publiquement en faveur de
l'autodétermination du Sahara occidental, territoire revendiqué par le
Maroc situé juste au sud de Guelmim, une capitale provinciale
d'où il est originaire. Daoudi a organisé des réunions politiques à son
domicile et a reçu des délégations étrangères favorables à
l'autodétermination du Sahara occidental.
Guelmim a été le théâtre d'affrontements sporadiques entre membres de ses populations sahraouie et non sahraouie.
Le 28 septembre 2013, la police a effectué une perquisition au domicile
de Daoudi, ainsi que dans une autre propriété de sa famille dans le
village voisin de Legsabi. Les policiers ont affirmé avoir saisi 35
cartouches de fusil de chasse, un canon antique et
un long tube métallique, et ont arrêté Daoudi. Après trois jours de
détention et d'interrogatoires, Daoudi a signé une déclaration dans
laquelle il reconnaissait être le propriétaire de ces objets et avoir eu
l'intention de fabriquer une arme – apparemment
en se servant du tube métallique -- bien que sachant que c'était
illégal.
Selon son avocat, Mohamed Fadhel Leïli, Daoudi nie les accusations
portées contre lui et soutient que la police l'a forcé à signer la
déclaration. Daoudi insiste, selon Leïli, sur le fait que les cartouches
trouvées par la police étaient destinées à un fusil
de chasse dont il avait été le propriétaire légal et qu'il avait vendu,
que le canon était une pièce d'antiquité héritée de son grand-père et
qu'il n'avait aucune intention d'utiliser le tube métallique pour
fabriquer une arme.
Le 2 octobre 2013, le procureur militaire a inculpé Daoudi de possession
d'armes sans licence et de tentative de fabriquer une arme à feu, en
violation d'un décret du 31 mars 1937 (article 11) et d'un décret du 2
septembre 1958 (article 1), ainsi que de l'article
114 du code pénal, qui criminalise le fait de prendre des mesures
concrètes en vue de la commission d'un crime, que ce crime ait été
commis ou pas. L'article 2 du décret de 1958 donne compétence aux
tribunaux militaires pour juger quiconque est accusé de possession
de certains types d'armes sans autorisation, et prévoit pour cela une
peine de 5 à 20 ans de prison.
Les autorités ont transféré Daoudi à la prison Salé afin qu'il soit à
proximité du seul tribunal militaire du pays, à 785 kilomètres de la
résidence de sa famille à Guelmim. Le tribunal a ouvert son procès le 30
janvier, mais l'a immédiatement ajourné dans
l'attente de l'arrivée des éléments de preuve matériels, a indiqué
Leïli. Mais au cours des onze mois écoulés depuis lors, le tribunal n'a
ni tenu de nouvelles audiences, ni accepté de remettre Daoudi en liberté
provisoire.
Les cinq fils de Daoudi ont été arrêtés depuis 2013: Omar et Taha l'ont
été en août de cette année-là, alors qu'ils venaient d'assister à un
match de football entre équipes locales lors duquel des heurts s'étaient
produits entre Sahraouis et non-Sahraouis.
Ils ont été condamnés le mois suivant, puis remis en liberté après
avoir purgé leur peine. Ibrahim et Mohamed sont actuellement incarcérés,
dans les prisons d'Inezgane et de Tiznit respectivement, sous des
accusations de vol. Un cinquième fils, Hassan, a été
accusé d'infractions pénales de droit commun alors qu'il était encore
mineur et n'a pas été emprisonné.
Un tribunal militaire a condamné 25 autres civils sahraouis, dont plusieurs militants des droits humains, à l'issue d'un
procès collectif inique
en février 2013, pour leur rôle prétendu dans des
violences survenues à l'occasion du démantèlement par les forces de
sécurité d'un campement de tentes sahraoui édifié en signe de
protestation à Gdeim Izik, au Sahara occidental, en novembre
2010, lors duquel 11 membres des forces de sécurité et deux civils
avaient été tués. Vingt-deux de ces condamnés purgent des peines de
prison allant de 20 ans à perpétuité.
Déférer des civils devant des tribunaux militaires pour qu'ils soient
jugés contrevient à l'un des principes fondamentaux du droit
international, qui exige que les civils soient jugés par des tribunaux
civils, a rappelé Human Rights Watch. Au Maroc, les verdicts
des tribunaux militaires ne peuvent être contestés en appel,
contrairement à ceux des tribunaux ordinaires, mais la Cour de Cassation
peut les invalider.
Le code de procédure pénale du Maroc limite la détention préventive
avant le procès à 12 mois au total, mais une fois qu’une affaire a été
déférée au tribunal – comme dans le cas de Daoudi – la loi n'impose plus
de limite au temps que le prévenu peut passer
en détention.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifié, stipule dans son article 9(3) que «
tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale ... devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré.
»
« Le Maroc s'est engagé à mettre fin aux procès de civils devant des tribunaux militaires
», a affirmé Sarah Leah Whitson. «
Il devrait maintenant acter cette réforme et remédier à la situation
critique de civils comme Mbarek Daoudi et Mamadou Traoré, qui
languissent en détention prolongée en attendant d'être jugés par un
tribunal militaire.
»
Pour consulter d'autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur le Maroc, veuillez suivre le lien:
Pour obtenir davantage d'informations, veuillez contacter:
À Washington, Eric Goldstein (anglais, français): +1-917-519-4736 (portable); ou
goldstr@hrw.org. Suivez-le sur Twitter:
@goldsteinricky
À Rabat, Brahim Elansari (arabe): +212-666-081-207 (portable); ou elansab@hrw.org
À New York, Sarah Leah Whitson (anglais): +1-718-362-0172 (portable); ou whitsos@hrw.org.
Suivez-la sur Twitter: @sarahleah1
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