Il faut nous indigner de toutes nos forces : Wafaa
Charaf est en prison pour avoir dénoncé la brutalité de la police
marocaine. Je sais que c'est un euphémisme d'ajouter les mots "brutal"
ou "violent" à "police marocaine", et je sais qu'on en rirait dans des
circonstances normales.
Mais là, la jeune Wafaa en est condamnée à UN AN DE PRISON FERME. C'est donc plutôt tragique.
D'où cet appel qui fait suite à tant d'autres.
Wafaa est une militante syndicaliste et politique, elle est aussi
vice-présidente de l'association marocaine des Droits de l'homme (AMDH,
section Tanger).
Je ne connais pas personnellement cette jeune fille,
mais de ce que j'ai pu lire et de ce que mes amis de confiance m'en ont
dit, elle s'occupe en particulier de ces jeunes filles qui travaillent
dans la fameuse « zone franche » de Tanger ; on devrait dire « jungle
franche » tant les multinationales font trimer des petites mains en
dehors de tout état de droit, un peu « à la chinoise » si je peux dire
les choses ainsi.
Il y a quelques temps, j’ai vu un film d’une
talentueuse cinéaste marocaine, Leila Kilani. Le film s’intitule « sur
la planche » et raconte les mésaventures de jeunes filles tangéroises.
On y voit assez clairement la manière vorace de gérer toutes ces petites
mains qui nous font de jolis habits peu chers, entre autres…
L’affaire Wafaa a commencé par une manifestation de
solidarité avec ces travailleuses. Wafaa en faisait partie, peut-être en
était-elle un fer de lance. Qu’importe, disons que nous devrions plutôt
nous réjouir de voir une si jeune fille s’activer pour que la société
marocaine évolue dans le bon sens, dans le sens des valeurs universelles
et non vers une impasse au nom de lugubres valeurs dites religieuses.
Non ! Wafaa a été enlevée par des policiers en civil,
dans une voiture banalisée (ça rappelle étrangement les années Hassan
II, n’est-ce pas ?). S’en est suivi, comme la jeune fille l’a raconté
publiquement et comme on ne pourrait que la croire, une tentative
d’intimidation musclée, voire même une menace sur son intégrité morale
et physique. Rien d’étonnant au pays où la police s’est toujours sentie
souveraine, habituée à une totale impunité depuis de nombreuses
décennies, au point qu’elle n’a pas eu, aux beaux temps de l’I.E.R.
(Instance Equité et Réconciliation) et malgré le courage exceptionnel de
feu Driss Benzekri, à rendre compte de ses lugubres agissements dans
les années de plomb. Pourtant la police marocaine offrait, à l’époque,
un excellent CV digne de n’importe quelle police dictatoriale :
enlèvements, séquestrations, assassinats, etc.
Par la suite, Wafaa a porté plainte. Rien de plus légal,
me diriez-vous. Eh non, il faut croire que la légalité formelle n’est
pas toujours réellement légale, car c'est là que les déboires de cette
jeune fille ont commencé. De plus en plus gravement. Faut-il le rappeler
au risque d’alourdir ce texte, au Maroc, dénoncer la police reste
encore de nos jours un vrai crime de lèse-majesté. Et du coup, pour
protéger la police qui le protège, l’Etat réagit avec plus de brutalité
encore : il mobilise toute son armada policière et judiciaire (on
devrait pouvoir dire « injudiciaire », mais bon, on s’amusera à cela une
autre fois, en des circonstances moins dramatiques).
L’accusation est on ne peut plus risible : Wafaa est
traînée devant les tribunaux pour « accusation mensongère ». Et au
final, non pas un mois avec sursis, ou deux à la rigueur. Non, dans ce
beau pays où l’on se targue de changements « profonds » alors que ni
l’appareil policier ni l’appareil (in)judiciare n’ont opéré la moindre
évolution vers un état de droit, dans ce beau Maroc de 2014, la jeune
Wafaa est condamnée, tenez-vous bien, à UN AN D’EMPRISONNEMENT FERME et à
50.000DH d’amende (5.000€ que nous nous ferons un bonheur de réunir).
Est-ce là un accident dans le lent mouvement vers un
Maroc nouveau ? Non hélas, ce pays semble glisser lentement vers un
rétablissement de la situation autoritaire d’avant, une « restauration »
devrions-nous dire pour être plus précis.
En effet, si ce n’était cette inexorable marche vers
l’arrière, la police ne se serait pas sentie autorisée à agir aussi
grossièrement. Elle aurait pu choisir une accusation plus « raffinée »
dirions-nous. Mais non, elle a choisi le « rentre-dedans » comme on dit
familièrement. Par bêtise ? Que nenni ! Elle se comporte avec cette
insolente vulgarité afin qu’il n’y ait aucune confusion quant à son
message, ou plutôt au message que l’Etat nous délivre malgré les
discours ronflants qui n’endorment plus personne en vérité. Le voici, ce
message : la police du Maroc, non pas se donne, mais elle a depuis
toujours le « droit » d’enlever le citoyen, de le frapper, de le
torturer. Pour elle, ce « droit » ne peut souffrir aucune restriction,
aucune limitation, à l’instar de ce que nous enseigne le dicton : « ce
qui est acquis est acquis ».
D’autres en ont déjà lourdement souffert, pour avoir
voulu exercer les libertés auxquelles ils ont droit, liberté de la
presse par exemple. Ces libertés qui sont pourtant inscrites dans la
Constitution du Maroc, libertés que l’Etat a confirmé à maintes reprises
en ratifiant des chartes internationales, notamment celles stipulant le
nécessaire respect des Droits de l’homme, et celles sur la nécessaire
égalité entre les hommes et les femmes.
Vœux pieux, me dira-t-on. Peut-être. En tout cas, il
faudrait bien soigner un jour ou l’autre cette schizophrénie qui est
lourdement enracinée dans ce pays : le citoyen marocain dispose de tous
les droits virtuels à la condition qu’il les prenne jamais à la lettre.
C’était déjà ainsi quand j’étais jeune, il y a très
longtemps. Et c’est toujours la même rengaine à l’âge de jeunesse de
Wafaa Charaf. Et aucun changement ne semble se profiler, ni dans la
réalité de tous les jours, ni dans les mentalités.
A ce rythme, que lègueront les générations présentes aux générations à venir ?
Mustapha Kharmoudi
Écrivain
Dernière publication : « Maroc, voyage dans les royaumes perdus »
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