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dimanche 16 septembre 2012

Laïcité, autorité : le prof agressé à Bordeaux veut "briser l'omerta"



Christophe Varagnac, professeur de lettres et d'histoire au lycée professionnel Trégey de Bordeaux (AFP/ Nicolas Tucat)
Christophe Varagnac, professeur de lettres et d'histoire au lycée professionnel 
Trégey de Bordeaux (AFP/ Nicolas Tucat)

A la suite d'une discussion qui s'est envenimée lors d'un cours d'histoire sur "le fait religieux depuis 1880", le professeur de lettres et d'histoire Christophe Varagnac, 36 ans, a été victime d'une agression de la part d'un élève de terminale, mardi, au lycée professionnel Trégey de Bordeaux. L'élève, âgé de 18 ans, l'a frappé avant d'être interpellé, et fera l'objet d'une procédure disciplinaire. Christophe Varagnac, qui enseigne dans ce lycée depuis 2005, "n'a pas raté l'occasion" d'adresser un message au ministre de l'Education, Vincent Peillon, en lui demandant un entretien "constructif et courtois". Il espère que ce ne sera "pas tout à fait une bouteille à la mer". Interview.

Que s'est-il vraiment passé mardi 11 septembre ?
- Pendant ce cours sur "le fait religieux en France depuis 1880", au programme depuis des années, j'évoquais la dimension théocratique de la monarchie marocaine. Cet élève m'a posé une question sur la différence de perception du fait religieux et de la liberté d'expression en France et au Maroc, pays d'origine de ses parents. Sa remarque n'était pas totalement en décalage avec le cours. J'ai alors présenté comme une vérité objective le fait que, contrairement à la France, le Maroc n'était pas une démocratie, ce qu'il semblait considérer comme un point de vue. Il n'a pas apprécié ma réponse. Il s'est raidi. Puis est devenu verbalement très violent : menaces, insultes... Sa gesticulation était assez inquiétante, la tension montait malgré mes efforts pour le ramener à la raison. J'ai alors demandé aux élèves de sortir et de prévenir la vie scolaire. Je suis ensuite resté avec l'élève en classe cinq minutes, qui m'ont semblé une éternité. Il me tenait tête, me provoquait. Je ne répondais pas. J'ai fini par sortir de la classe.

A quel moment s'en est-il physiquement pris à vous ?
- C'est quand il est sorti du bureau du CPE et qu'il a su que j'avais mis à exécution ma menace de convoquer ses parents qu'il est sorti de ses gonds. J'ai fait une pause, et m'apprêtais à descendre dans le hall quand je l'ai croisé dans les escaliers. Il me cherchait, et m'a alors véritablement agressé. C'était dangereux, j'aurais pu basculer au-dessus de la rambarde. Il m'a poursuivi dans le hall et m'a donné des coups de poings et un de tête. Je n'ai pas ressenti de douleur immense ni été blessé. C'était plus des coups de provocation que de destruction. Il attendait que j'entre dans son jeu. Je me suis ensuite réfugié dans le CDI. Il a été interpellé un peu plus tard.

Avez-vous pu vous entretenir avec lui depuis ?
- Je l'ai revu au commissariat lors de mon dépôt de plainte. Il a demandé à me parler. Il n'avait plus rien à voir avec l'élève qui venait de m'agresser, et s'est excusé. Il a reconnu avoir eu un coup de folie, et que c'était la convocation des parents plutôt que le fond de l'enseignement qui l'avait mis hors de lui. Il a par ailleurs des problèmes personnels, une situation psychologique compliquée. Notre relation est spécifique. Quand je l'ai rencontré l'an dernier, il était en fracture avec le système scolaire et m'a confié rapidement ses difficultés. Il m'a aussi aidé à tenir la classe et a fait preuve de maturité, d'intelligence et de solidarité avec moi. A-t-il surinvesti un peu trop dans notre relation ? J'ai accepté ses excuses, qui m'ont soulagé. Je lui ai dit que je n'avais pas l'intention de charger la barque, mais qu'il devrait répondre de ses actes, et que cela ne m'appartenait plus.

Pourquoi avoir demandé un entretien au ministre ?
- L'origine de l'altercation a eu lieu en cours d'histoire mais aurait pu intervenir dans n'importe quel cours. J'aimerais demander au ministre : peut-on, et si oui comment, continuer à enseigner certains sujets, certaines thématiques politiques, religieuses et philosophiques ? Cela pose la question de la laïcité. Quand bien même on s'expose à des récupérations politiques nauséabondes, on ne peut pas faire l'économie de ce débat. Dans le cadre de la laïcité, le professeur ne doit pas dire pour qui il vote ni sa confession religieuse, mais expliquer des concepts. Notamment la distinction entre savoirs et croyances. Beaucoup de mes élèves se revendiquant musulmans considèrent la considèrent la religion comme une vérité intangible et non comme une croyance. D'où l'importance d'expliquer les choses. Il faut poser le problème, l'aborder ensemble, arrêter de faire comme s'il n'existait pas, briser l'omerta.

A quelles solutions concrètes pensez-vous ?
- Il serait intéressant d'intégrer à la formation, par exemple, quelques séquences sur l'islam. Ne serait-ce que pour que tous les professeurs aient les connaissances de base quand on leur pose des questions. Le système démocratique permet à chacun de s'exprimer, d'échanger, et l'école doit permettre de comprendre ces problématiques. La laïcité n'a pas à être débattue, pas question de transiger sur le principe. Ce dont on doit débattre, c'est la manière dont on l'applique en tenant compte des évolutions contemporaines. Or on applique en France la "catholaïcité", pas la laïcité. Il n'y a qu'à voir le calendrier de l'Education nationale calqué sur les fêtes chrétiennes. Je ne vois pas non plus pourquoi on met des sapins de Noël dans les établissements scolaires. Il faut être cohérent.

Au-delà d'une réflexion sur la laïcité, qu'attendez-vous également du ministre ?
- J'aimerais lui demander de se pencher sur une question transversale à toute l'Education nationale : celle de l'autorité. L'école primaire qui ne remplit pas ses missions, l'absence de formation, le problème du collège unique, la dévalorisation du lycée professionnel... Tout cela est lié à l'autorité. Nous avons en lycée professionnel au moins 60% d'élèves mal orientés, qui sont là sans l'avoir choisi. Et en face, nous manquons d'une réflexion globale sur l'attractivité des filières, l'économie, la synergie avec le monde de l'entreprise et les politiques gouvernementales. Le lycée professionnel doit permettre d'entrer sur le marché du travail. Un élève qui n'a pas choisi est démotivé d'emblée. En face, le professeur perd en autorité et en crédibilité.

Le ministère vous a appelé. Que vous a-t-il dit ?
- En libre penseur, je n'adhère à aucun parti. Le directeur de cabinet du ministre m'a téléphoné, m'a fait part de son soutien et m'a félicité pour mon attitude. L'échange était cordial et constructif. J'ai senti une certaine concordance de point de vue. Le problème principal de l’Éducation nationale n'est pas financier, mais intellectuel et philosophique. L’Éducation nationale est une machine énorme qui doit être revue de fond en comble, c'est un travail vertigineux. Mais peut-être peut-on faire rapidement quelques petites choses qui ne coûtent rien et amélioreraient déjà la situation... Vincent Peillon est un vrai humaniste, sincère, il n'a pas le même profil que ses prédécesseurs. Il devrait pouvoir me rencontrer lors d'un de ses prochains déplacements dans le secteur.
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     Pourquoi le lycéen marocain de Bordeaux a cassé la gueule à son prof ?

    Par Thami Afailal, demain, 14/9/2012

    Qu’Allah nous préserve de Tony Montana ! (Photo DR)

    Rabat.- Christophe Cavagnac, le professeur de lettres et d’histoire du lycée professionnel bordelais Tregey, a expliqué à l’hebdomadaire Le Point les raisons qui ont poussé l’élève marocain, prénommé Marouane et âgé de 18 ans, à lui casser la gueule.
    L’agression a été commise mardi dernier à l’occasion d’un cours sur le fait religieux en France depuis 1880. Le jeune Marouane s’est opposé à son professeur au détour d’une discussion sur la France et le Maroc.
    « J’ai cru comprendre qu’il m’a posé une question du genre : Pourquoi moi, Marocain d’origine, de confession musulmane, je me sens en décalage avec les valeurs de l’école républicaine ? », a expliqué au Point le professeur français. « Je lui ai répondu que le système politique des deux pays était différent : entre la France républicaine et démocratique et le Maroc, une monarchie au fonctionnement dictatorial. Ce n’est pas un discours de ma part mais des faits géopolitiques et étayés ».
    Mais Marouane n’était pas d’accord. Le jeune Marocain, « un adepte de la musculation » selon ses camarades, n’a pas accepté la réalité des faits, à savoir que le royaume de « Sidi » est une monarchie absolue et corrompue, remplie d’injustices et de prisons où s’entassent des centaines de prisonniers politiques dûment catalogués par les organismes internationaux. Un royaume désenchanté où la liberté d’expression n’existe pas et où la torture a fait un grand bond en avant depuis l’avènement de l’actuel souverain.
    Et comme tous les baltagis, d’ici et de là-bas, il a fait ce qu’il devait faire pour défendre la dictature couronnée. Il a agressé son professeur qui l’a décrit comme un « Tony Montana », le personnage principal de mafieux violent du film Scarface.
    Avec des défenseurs comme le musclé Marouane, la monarchie de « Sidna » n’a pas besoin d’ennemis.

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