Par Celine Rastello, nouvel Observateur, 14/9/2012
Christophe Varagnac a demandé un entretien "constructif et courtois" au
ministre de l'Education, Vincent Peillon, qui devrait le rencontrer
prochainement.
Trégey de Bordeaux (AFP/ Nicolas Tucat)
A la suite d'une discussion qui s'est envenimée lors d'un cours
d'histoire sur "le fait religieux depuis 1880", le professeur de lettres
et d'histoire Christophe Varagnac, 36 ans, a été victime d'une agression de la part d'un élève de terminale, mardi, au lycée professionnel Trégey de Bordeaux.
L'élève, âgé de 18 ans, l'a frappé avant d'être interpellé, et fera
l'objet d'une procédure disciplinaire. Christophe Varagnac, qui enseigne
dans ce lycée depuis 2005, "n'a pas raté l'occasion" d'adresser un
message au ministre de l'Education, Vincent Peillon,
en lui demandant un entretien "constructif et courtois". Il espère que
ce ne sera "pas tout à fait une bouteille à la mer". Interview.
Que s'est-il vraiment passé mardi 11 septembre ?
- Pendant ce cours sur "le fait religieux en France depuis 1880", au programme depuis des années, j'évoquais la dimension théocratique de la monarchie marocaine. Cet
élève m'a posé une question sur la différence de perception du fait
religieux et de la liberté d'expression en France et au Maroc, pays
d'origine de ses parents. Sa remarque n'était pas totalement en décalage
avec le cours. J'ai alors présenté comme une vérité objective le fait
que, contrairement à la France, le Maroc n'était pas une démocratie, ce
qu'il semblait considérer comme un point de vue. Il n'a pas apprécié ma
réponse. Il s'est raidi. Puis est devenu verbalement très violent :
menaces, insultes... Sa gesticulation était assez inquiétante, la
tension montait malgré mes efforts pour le ramener à la raison. J'ai
alors demandé aux élèves de sortir et de prévenir la vie scolaire. Je
suis ensuite resté avec l'élève en classe cinq minutes, qui m'ont semblé
une éternité. Il me tenait tête, me provoquait. Je ne répondais pas.
J'ai fini par sortir de la classe.
A quel moment s'en est-il physiquement pris à vous ?
- C'est quand il est sorti du bureau du CPE et qu'il a su que j'avais
mis à exécution ma menace de convoquer ses parents qu'il est sorti de
ses gonds. J'ai fait une pause, et m'apprêtais à descendre dans le hall
quand je l'ai croisé dans les escaliers. Il me cherchait, et m'a alors
véritablement agressé. C'était dangereux, j'aurais pu basculer au-dessus
de la rambarde. Il m'a poursuivi dans le hall et m'a donné des coups de
poings et un de tête. Je n'ai pas ressenti de douleur immense ni été
blessé. C'était plus des coups de provocation que de destruction. Il
attendait que j'entre dans son jeu. Je me suis ensuite réfugié dans le
CDI. Il a été interpellé un peu plus tard.
Avez-vous pu vous entretenir avec lui depuis ?
- Je l'ai revu au commissariat lors de mon dépôt de plainte. Il a
demandé à me parler. Il n'avait plus rien à voir avec l'élève qui venait
de m'agresser, et s'est excusé. Il a reconnu avoir eu un coup de folie,
et que c'était la convocation des parents plutôt que le fond de
l'enseignement qui l'avait mis hors de lui. Il a par ailleurs des
problèmes personnels, une situation psychologique compliquée. Notre
relation est spécifique. Quand je l'ai rencontré l'an dernier, il était
en fracture avec le système scolaire et m'a confié rapidement ses
difficultés. Il m'a aussi aidé à tenir la classe et a fait preuve de
maturité, d'intelligence et de solidarité avec moi. A-t-il surinvesti un
peu trop dans notre relation ? J'ai accepté ses excuses, qui m'ont
soulagé. Je lui ai dit que je n'avais pas l'intention de charger la
barque, mais qu'il devrait répondre de ses actes, et que cela ne
m'appartenait plus.
Pourquoi avoir demandé un entretien au ministre ?
- L'origine de l'altercation a eu lieu en cours d'histoire mais
aurait pu intervenir dans n'importe quel cours. J'aimerais demander au
ministre : peut-on, et si oui comment, continuer à enseigner certains
sujets, certaines thématiques politiques, religieuses et philosophiques ?
Cela pose la question de la laïcité.
Quand bien même on s'expose à des récupérations politiques
nauséabondes, on ne peut pas faire l'économie de ce débat. Dans le cadre
de la laïcité, le professeur ne doit pas dire pour qui il vote ni sa
confession religieuse, mais expliquer des concepts. Notamment la
distinction entre savoirs et croyances. Beaucoup de mes élèves se
revendiquant musulmans considèrent la considèrent la religion
comme une vérité intangible et non comme une croyance. D'où
l'importance d'expliquer les choses. Il faut poser le problème,
l'aborder ensemble, arrêter de faire comme s'il n'existait pas, briser
l'omerta.
A quelles solutions concrètes pensez-vous ?
- Il serait intéressant d'intégrer à la formation, par exemple,
quelques séquences sur l'islam. Ne serait-ce que pour que tous les
professeurs aient les connaissances de base quand on leur pose des
questions. Le système démocratique permet à chacun de s'exprimer,
d'échanger, et l'école doit permettre de comprendre ces
problématiques. La laïcité n'a pas à être débattue, pas question de
transiger sur le principe. Ce dont on doit débattre, c'est la manière
dont on l'applique en tenant compte des évolutions contemporaines. Or on
applique en France la "catholaïcité", pas la laïcité. Il n'y a qu'à
voir le calendrier de l'Education nationale
calqué sur les fêtes chrétiennes. Je ne vois pas non plus pourquoi on
met des sapins de Noël dans les établissements scolaires. Il faut être
cohérent.
Au-delà d'une réflexion sur la laïcité, qu'attendez-vous également du ministre ?
- J'aimerais lui demander de se pencher sur une question transversale
à toute l'Education nationale : celle de l'autorité. L'école primaire
qui ne remplit pas ses missions, l'absence de formation, le problème du
collège unique, la dévalorisation du lycée professionnel... Tout cela
est lié à l'autorité. Nous avons en lycée professionnel au moins 60%
d'élèves mal orientés, qui sont là sans l'avoir choisi. Et en face, nous
manquons d'une réflexion globale sur l'attractivité des filières,
l'économie, la synergie avec le monde de l'entreprise et les politiques
gouvernementales. Le lycée professionnel doit permettre d'entrer sur le
marché du travail. Un élève qui n'a pas choisi est démotivé d'emblée. En
face, le professeur perd en autorité et en crédibilité.
Le ministère vous a appelé. Que vous a-t-il dit ?
- En libre penseur, je n'adhère à aucun parti. Le
directeur de cabinet du ministre m'a téléphoné, m'a fait part de son
soutien et m'a félicité pour mon attitude. L'échange était cordial et
constructif. J'ai senti une certaine concordance de point de vue. Le
problème principal de l’Éducation nationale n'est pas financier, mais
intellectuel et philosophique. L’Éducation nationale est une machine
énorme qui doit être revue de fond en comble, c'est un travail
vertigineux. Mais peut-être peut-on faire rapidement quelques petites
choses qui ne coûtent rien et amélioreraient déjà la situation...
Vincent Peillon est un vrai humaniste, sincère, il n'a pas le même
profil que ses prédécesseurs. Il devrait pouvoir me rencontrer lors d'un de ses prochains déplacements dans le secteur.
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