Education. Pourquoi l’école marocaine est nulle
- Par : Jules Crétois, Tel Quel, 20/9/2012
(Aicpress)
Le roi l’a reconnu
himself : l’enseignement est en faillite. Programmes, méthodes
pédagogiques, infrastructures… rien ne va dans le système scolaire
marocain. État des lieux.
Difficile
de comprendre “ce qui cloche” en matière d’éducation nationale. Du côté
des moyens matériels, le secteur engloutit beaucoup d’argent : environ
6% du PIB et plus de 27% du budget de l’Etat. Mais malgré ces larges
concessions, le Maroc reste bien en dessous des pays voisins : les
Tunisiens déboursent 76 500 dirhams par élève et par an, alors que chez
nous, l’État ne mise pas plus de 46 750 dirhams. Et bien que de nettes
progressions aient été enregistrées ces dernières années, notamment dans
la lutte contre l’analphabétisme et pour la scolarisation des filles,
les rapports internationaux —tels que ceux de la Banque Mondiale ou de
l’Unesco— restent systématiquement alarmistes. Chaque année, près de
300 000 enfants quittent l’école avant l’heure, sans avoir eu le temps
d’assimiler les acquis fondamentaux. D’ailleurs, certains citoyens
ignorent même que l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans
(depuis 2002). Devant ce désastre, de plus en plus, les critiques à
l’encontre du système éducatif ne concernent plus les moyens seulement,
mais plutôt les approches, les réflexions et la pédagogie.
Bonnet d’âne
“Qualité”
: ce mot est revenu plusieurs fois dans le discours de Mohammed VI le
20 août dernier. Il semble qu’au-delà de la chiffraille, c’est le
contenu même de l’enseignement qui pose problème. “De nombreux
enseignants des grandes écoles étrangères comme Sciences Po ou HEC nous
rapportent que les élèves marocains issus de l’enseignement public
manquent parfois de sens critique et d’ouverture d’esprit, bien qu’ils
aient par ailleurs d’excellents résultats et de grosses capacités
d’apprentissage”, confie une source au ministère de l’Education
nationale. Qui ajoute : “La plupart de ceux qui se présentent aux
concours pour devenir enseignants sont issus d’universités où ils ont
étudié le droit islamique, une matière rigide, sévère, dont la
caractéristique principale n’est pas vraiment l’ouverture d’esprit. Ils
reproduisent donc des logiques qui consistent à apprendre sans
réfléchir, à absorber et mémoriser sans jamais mettre en relief, ni
comparer ou remettre en question.” Résultat, selon Moulay Ismaïl Alaoui,
ancien ministre de l’Education et figure du PPS, “on fabrique des têtes
bien remplies à défaut de produire des têtes bien faites.” Ce qui
souligne qu’il y a de grosses lacunes au niveau de la formation des
enseignants. Cette institutrice de Rabat se montre d’ailleurs très
claire à ce propos : “J’enseigne depuis 1987 et je n’ai jamais eu accès à
la formation permanente. Honnêtement, je sais très bien que je ne suis
plus à la page en matière de pédagogie.” De son côté, un fonctionnaire
du ministère de l’Education, qui tient à rester anonyme, concède : “Nous
sommes sur tous les fronts, nous gérons trop de dossiers et nous
n’avons pas le temps de prendre du recul. Il faudrait, par exemple,
externaliser la gestion des cantines ou du transport pour pouvoir se
pencher plus en avant sur les programmes et la pédagogie.” Et les
manuels, eux aussi, sont sous le feu de la critique : “Les livres sont
vieillots, tristes, parfois rétrogrades, et ne correspondent sûrement
pas à des enfants nés au 21ème siècle. Même moi, ils m’effraient !”,
assène notre institutrice rbatie.
Aïe ma langue
Autre
problème auquel se heurte l’école marocaine, la langue d’apprentissage.
Certains des étudiants et lycéens qui ont manifesté durant le mois
d’août 2012 ont soulevé cette question. Ils se sont également plaints du
décalage constant entre le français et l’arabe, l’un étant plus
valorisé que l’autre, et des difficultés pour changer de langue
d’apprentissage en fonction des niveaux et des voies choisies une fois
arrivés aux études supérieures. Sans oublier, selon certains
spécialistes, que même l’apprentissage de la langue nationale n’est pas
idoine dans les étblissements publics. Selon eux, pour une meilleure
assimilation de l’arabe littéraire, il faudrait plutôt avoir recours à
des manuels et des cours en dialecte marocain. “J’utilise de moins en
moins les manuels d’arabe et je parle avec mes élèves en darija, pour
leur apprendre le littéraire. Sinon, ça ne rentre pas. L’arabe
littéraire reste tout bonnement une langue étrangère pour eux”, nous
raconte cette enseignante d’arabe en primaire. Moulay Ismaïl Alaoui,
lui, soutient que si les enfants étaient bien entourés, ils n’auraient
aucun mal à apprendre l’arabe littéraire, l’amazigh et une langue en
plus, l’espagnol ou le français par exemple. Pour lui, tout est question
de méthode.
Fracture socio-spatiale
C’est
la raison pour laquelle de nombreux parents choisissent de fuir le
système public, aux méthodes “désuètes”, et inscrivent leurs bambins
dans des écoles privées. Pour faire face à cette demande grandissante,
de nombreux établissements privés sont créés chaque année : on compte à
présent quelque 1800 institutions, encadrant près de 500 000 enfants. Ce
qui fait de ce secteur une véritable mine d’or. D’ailleurs, des
milliers de profs du public n’hésitent pas à enseigner en parallèle dans
le privé. Cette pratique est si répandue que le ministre de l’Education
nationale, Mohamed El Ouafa, a menacé récemment d’interdire aux
enseignants fonctionnaires d’effectuer des heures supplémentaires dans
le privé. Car, aux yeux des administrateurs et des spécialistes, ce
cumul d’heures se fait forcément au détriment des élèves du public, qui
reçoivent alors un enseignement de moins bonne qualité. Cette
institutrice dans une école primaire publique, très militante, accuse :
“Nombreux sont mes collègues à travailler en parallèle dans le privé, et
comme les parents y sont forcément plus exigeants, ils passent bien
plus de temps à préparer les cours destinés aux élèves du privé”.
D’autre part, malgré lui, le privé accentue cette fracture que Moulay
Ismaïl Alaoui qualifie de “socio-spatiale”, puisque tout le monde n’a
pas les moyens de mettre ses enfants dans une école privée. D’autant que
la qualité de l’enseignement délivré est très différente d’un quartier à
un autre. Une étude récente a souligné ces décalages. Moulay Ismaïl
Alaoui, encore sidéré par sa lecture, relève : “Des écoles du quartier
Agdal de Rabat sont au même niveau que des écoles japonaises, tandis que
d’autres du quartier Yakoub El Mansour équivalaient à des écoles
yéménites.” Une enseignante se plaint : “Je travaille dans un quartier
populaire de Casablanca et j’ai jusqu’à 48 élèves par classe. Des
collègues qui sont dans des quartiers plus huppés ne vivent pas ces
conditions de travail.” Une carte scolaire inégale, un manque de
structures dans certaines zones très habitées créent un système scolaire
“à deux vitesses”, où tous les enfants ne partent pas sur un pied
d’égalité…
Monde rural. Le parent pauvre de l’éducation
En
plus de souffrir de manques de structures et d’équipements au niveau
(en 2008, 80% des écoles rurales ne disposaient toujours pas de
sanitaires et 75% n’avaient pas d’eau potable selon le rapport du
Conseil supérieur de l’enseignement), les écoles du monde rural
pâtissent de décisions prises par des administrations qui ne tiennent
pas compte des réalités du terrain. Le phénomène grave de l’abandon
scolaire s’explique bien souvent parce que les enfants participent à la
vie économique (travail aux champs ou encore cueillette). Pour Moulay
Ismaïl Alaoui, c’est aux institutions de prendre en compte cette donne
et d’adapter les horaires et les dates de vacances pour qu’elles
répondent à celles de l’économie locale. Il précise : “Pourquoi
maintenir le jour de relâche le dimanche dans des villages où la vie
s’organise autour du souk hebdomadaire qui a parfois lieu en semaine ?”
Idem pour la prise en compte des trajets des enfants : “Comment exiger à
un bambin de marcher une heure à pieds, à sept heures du matin en plein
hiver pour assister au cours de huit heures ?”, questionne Alaoui. Le
constat est clair : ce qui peut fonctionner en zone urbaine ne
s’applique pas forcément en zone rurale.
|
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Prix UNESCO au Maroc pour l’alphabétisation
Une reconnaissance de la justesse de la vision royale
Le Prix UNESCO d’alphabétisation décerné au Maroc jeudi
à Paris est «une reconnaissance internationale de la justesse de la
vision royale» en matière d’éducation, a affirmé l’ambassadrice déléguée
permanente du Royaume auprès de l’Organisation des Nations unies pour
l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Zohour Alaoui.
Zohour Alaoui. |
Cette récompense «représente également une reconnaissance de la volonté royale d’améliorer la condition des femmes au Maroc qui ne saurait être possible sans l’accès à l’éducation et à l’enseignement», a relevé la diplomate marocaine qui se félicite que le Royaume soit le seul pays arabe à être distingué cette année par l’UNESCO, grâce aux efforts et aux progrès réalisés en la matière, sous la conduite de S.M. le Roi Mohammed VI.
D’ailleurs, rappelle-t-elle, «c’est à juste titre que S.M. le Roi
Mohammed VI a consacré l’essentiel de Son Discours du 20 août à la question de l’éducation et de l’enseignement».
Reconnaissance
De son côté, le directeur de la lutte contre l’analphabétisme, El Habib Nadir, s’est félicité de la reconnaissance par les membres du Jury des résultats obtenus, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif, dans le cadre du programme d’alphabétisation et de post-alphabétisation supervisé par sa direction. «Ceci ne peut que nous réconforter dans notre action quotidienne et nous encourager à davantage d’efforts pour relever les défis qui restent encore dans le domaine de l’alphabétisation», a-t-il affirmé, ému après avoir reçu le Prix des mains de la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova.
Présidé par l’universitaire burkinabé, Norbert Nikièma, le jury international de l’édition 2012 du Prix Confucius-UNESCO a vivement reconnu le programme pour son impact fort sur la réduction des taux d’analphabétisme dans le pays et pour sa contribution à l’intégration socio-économique des femmes. Ces résultats, salués ainsi par la communauté internationale, sont également le fruit d’un fructueux appui de partenaires techniques et financiers, notamment l’aide financière fournie par l’Union européenne depuis 2008 et l’accompagnement technique assuré par l’UNESCO par le biais de son Bureau Multipays à Rabat, dans le cadre de l’Initiative LIFE. Grâce aux efforts déployés par les différents intervenants dans ce domaine (ONG, ministères, privé...), le taux d’analphabétisme de la population âgée de plus de 10 ans a été ramené de 43% en 2004 à près de 30% en 2011, selon la Direction de la lutte contre l’analphabétisme.
Encouragement
De même, le nombre de bénéficiaires augmente année après année pour atteindre 732 000 personnes au titre de 2011-2012, un chiffre record jamais atteint, portant ainsi le cumul des bénéficiaires des programmes d’alphabétisation pendant les 10 dernières années à plus de 6 millions de personnes. En outre, sur les 732 000 bénéficiaires des programmes d’alphabétisation, près de 380 000 (52%) l’ont été grâce à l’effort de plus d’un millier d’ONG et associations.
Les ministères et établissements publics tels que les Habous et affaires islamiques, l’Éducation nationale, l’Entraide nationale, l’Agence de partenariat pour le progrès, la Jeunesse, l’Agriculture, la pêche maritime, l’Artisanat, les collectivités locales et l’INDH, ont totalisé plus de 350 000 bénéficiaires (48%). Les femmes représentent plus de 80% des bénéficiaires et 49% des bénéficiaires sont issus du milieu rural. Les cours d’alphabétisation ont été encadrés par près de 18 000 formateurs/alphabétiseurs dans plus de 16 700 centres d’alphabétisation, dont plus de 8 700 en milieu rural.
Appel à déployer davantage d’efforts
Créé en 2005 à la faveur d’un financement de la République populaire de Chine, le Prix Confucius UNESCO d’alphabétisation récompense les projets particulièrement remarquables réalisés à l’initiative de personnes, de gouvernements ou d’institutions gouvernementales et d’organisations non gouvernementales (ONG) dans le domaine de l’alphabétisation des adultes et des jeunes déscolarisés en milieu rural. Il valorise en particulier les projets ciblant les femmes et les filles. Chaque année, à l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation (8 septembre), l’UNESCO attribue des Prix internationaux d’alphabétisation à des établissements, organisations et personnes qui, par leurs efforts, contribuent à la promotion de sociétés alphabétisées et dynamiques.Soucieuse de soutenir des politiques et des programmes d’alphabétisation «efficaces», l’Organisation onusienne rend hommage, à travers cette initiative, à «l’excellence et à l’innovation à travers le monde dans le domaine de l’alphabétisation».
«L’éducation apporte la durabilité à tous les objectifs de développement et l’alphabétisation est le fondement de tout apprentissage. Elle fournit aux individus les compétences nécessaires pour mieux comprendre et former le monde. Elle permet également aux individus de participer au processus démocratique, leur donne une voix et renforce leur identité culturelle», a souligné la DG de l’UNESCO dans son message à cette occasion.
Alors que cette année marque la fin de la décennie des Nations unies pour l’alphabétisation, proclamée en 2002 afin de mobiliser les gouvernements du monde entier dans la lutte contre l’analphabétisme, Mme Bokova déplore qu’«au cours de la décennie, et en dépit des efforts considérables et quelques grandes réalisations, 775 millions de personnes sont toujours considérées comme analphabètes et 85% d’entre elles vivent dans 41 pays».
«Ces chiffres sont bien en deçà des objectifs de l’Éducation pour tous (EPT) établis en 2000, qui visaient une amélioration de 50% des niveaux d’alphabétisation dans le monde d’ici 2015», constate-t-elle, en encourageant les gouvernements à déployer davantage d’efforts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire