Par Salah Elayoubi, demainonline
Opinion. En dix-neuf secondes et trente-deux centièmes (19’32’’),
Usain Bolt a proprement satellisé ses concurrents, les reléguant au rôle de
figurants, à la finale du 200 mètres, où se bousculait, pourtant, le gratin
mondial de la discipline. Que peut faire le commun des mortels en moins de vingt
secondes ?
Rien ! Ou pas grand-chose, sinon échanger un regard, émettre une pensée ou
encore se gratter une partie de l’anatomie. Sauf lorsqu’il se nomme Hosni Benslimane. Car dans la catégorie des fugaces, notre homme est un champion qui
a assurément raté sa vocation.
Une fuite vaut mieux que deux tu l’auras
En moins de temps qu’il n’aura fallu au fantasque jamaïcain, pour survoler
le demi-tour du stade olympique, le général s’est déguisé en courant
d’air.
Plus question de réception, de cocktail ou de parade dans les salons VIP du
complexe olympique londonien.
Mis au parfum, par ses réseaux, de la demande d’assistance du juge
français, Patrick Ramaël, en charge de l’affaire Ben Barka, à la justice
anglaise, l’homme s’est tout simplement évaporé, et la plupart des « Huiles
rances » qui l’accompagnaient dans ce périple, dont notre pays aurait pu faire
l’économie, ignoraient tout du sort du patron du Comité olympique
marocain.
Le juge français qui s’était pris à espérer voir enfin, le premier gendarme
du royaume s’expliquer sur son rôle dans l’enlèvement de l’opposant de Hassan
II, devant la brasserie LIPP, le 29 octobre 1965, puis son assassinat dans la
villa du truand français Boucheseiche, à Fontenay-Le-Vicomte, en sera donc pour
ses frais !
Mais si l’homme a réussi à échapper à la justice, il n’en a pas moins,
signé un aveu explicite d’implication dans les faits qui lui sont reprochés,
éclairant, du même coup, ses contempteurs sur sa lâcheté.
La défense de son honneur, perdu depuis belle lurette, importe en effet,
peu ou prou, à ce vieillard indigne de 77 ans, qui sévit depuis cinquante ans et
dont le refus obstiné de passer la main, dissimule mal la peur de se voir
rattraper, un jour, par la justice et les nombreux crimes qu’il a sur la
conscience. D’autant que sa présence dans le cabinet d’un juge d’instruction
pourrait encourager ses anciennes victimes ou leurs familles à déclencher contre
lui une avalanche de plaintes pour tortures et crimes contre l’humanité.
C’est pour épargner de pareils tortionnaires que le régime marocain a
imaginé cette mise en scène grotesque, pompeusement baptisée » Instance Equité
et Réconcilation » et dont les recommandations n’ont jamais été suivies
d’effet.
Un général indigne et incompétent
Benslimane est l’archétype même du militaire marocain. Il en est
l’incarnation et la caricature: bardé de décorations, de médailles et
d’étoiles, sans avoir jamais quitté son fauteuil de l’Etat-major et sans avoir
jamais mis le pied sur un théâtre d’opérations, ni comptabilisé un seul fait
d’armes à son actif, autres que ceux d’avoir fait battre, enlever, arrêter,
torturer et tuer ses malheureux compatriotes.
Ailleurs, ce genre de militaire sans compétence aucune, hormis peut-être
celui de gardien de but qu’il fut dans l’équipe des FAR de
Rabat de 1958 à 1961, ne trouverait ni droit de cité, ni employeurs. Tout au
plus commanderait-il une sombre section où végéteraient des troufions,
épluchant des pommes de terre. Mais le Maroc, est un pays d’exception, et cette
maxime, distillée par le Makhzen et inscrite au fronton de la monarchie
marocaine, n’est pas tombée dans les oreilles d’un sourd :
« Le silence tu observeras, la tête tu baisseras, les mains tu
baiseras, et l’argent tu feras »
Contrairement à tous ceux qui l’ont précédé, Benslimane se tait depuis
toujours. Il observe même un mutisme assourdissant, depuis le premier
jour.
Discret et manipulateur tel un marionnettiste, il a placé à tous les
rouages de l’armée, de la police et de l’administration publique, ses fidèles,
ses amis et les membres de sa famille. Un maillage si fin et si étendu qu’il a
rendu son concepteur indéboulonnable. Il est partout, de la sécurité du palais,
à l’organisation des festivités, cérémonie de l’allégeance, comprise. A lui
tout seul, l’homme a réussi le coup d’Etat parfait, au point qu’une espèce de
Modus Vivendi s’est installé entre le palais et lui-même, une sorte de pacte, en
vertu duquel, le roi et son clan peuvent continuer de s’enrichir, pendant que
le Général veille au grain, tout en échappant à la justice. Ce n’est pas pour
rien qu’à chacune de ses entrevues avec le roi, on devine chez ce dernier, une
gêne manifeste confinant à la timidité, voire à la crainte.
Patron discret de toutes les barbaries
A la rubrique répression, on doit à cet homme retors, vicieux et
foncièrement méchant, tous les actes criminels à mettre au compte du régime
marocain, depuis 1965, lorsqu’il est nommé à la tête des Compagnies Mobiles
d’Intervention, les fameux CMI, de sinistre mémoire, dont la réputation est
associée à leur brutalité légendaire. Il est de tous les mauvais coups de Tanger
à Lagouira. Paradoxalement, ses apparitions sont rarissimes. Même lorsque les
troupes de la gendarmerie, dont il devient le chef en 1972, mettent une ville à
feu et à sang, comme ce fut le cas à Nador et à Fez, respectivement en janvier
1984 et décembre 1990, l’homme reste tapi dans l’ombre, s’arrangeant pour
laisser aux seconds couteaux la responsabilité de signer les ordres de mission
et d’accomplir les basses besognes : le massacre des manifestants et leur
enterrement furtif dans les fosses communes.
Dans la nuit du 17 juillet 1975, selon Ali Bouraquat, Benslimane assiste
personnellement à l’exécution extrajudiciaire du Lieutenant-Colonel
Ababou, du Capitaine Chellat, de
l’Aspirant M’Zireg, ainsi que l’un de leurs
geôliers Ali Fahim, après leur évasion du « Point Fixe
numéro deux » (PF2), où ils étaient détenus, après le coup d’Etat de juillet
1971. Houcine Manouzi, célèbre contradicteur du régime,
qui accompagnait les fuyards, est également porté disparu, depuis son
arrestation à un barrage. Il y a fort à parier qu’il a subi un supplice
similaire.
Pour toutes ces raisons, l’Association marocaine des droits humains (
AMDH), considère l’officier, comme celui qui a le plus violé les droits de
l’homme dans notre pays.
La ruine du sport marocain
Le baise-main, autre spécialité avérée du patron de la gendarmerie royale.
C’est à lui que l’on doit, pour l’essentiel, l’image indigne du militaire
prosterné, buste cassé, genoux à terre et baiser appuyé. C’est le seul moment
d’ostentation, face caméra qu’on lui reconnaît. Une manière de marquer sa
reconnaissance, au « parapluie » qui lui permet de s’enrichir en pillant les
réserves halieutiques marocaines et le réservoir de terres de fermes et
d’immeubles, appartenant au domaine de l’Etat marocain.
Après avoir ruiné les espoirs du football marocain, à la tête de la
Fédération de football, Benslimane en est sorti, comme à son habitude, par la
petite porte, discrètement après une passation de pouvoirs entre lui et un
autre courtisan notoirement incompétent, Ali Fassi-Fihri.
A sa nomination à la tête du Comité Olympique, Benslimane s’est attelé à
l’une de ses spécialités, éliminer tous ses contradicteurs et placer ses fidèles
aux postes clés. Sa première victime, Saïd Aouita qui, pour avoir tenu à
l’homme, un langage de vérité, n’a du son salut qu’à un exil forcé.
L’indigence intellectuelle de l’équipe en charge du destin du sport
marocain est tout simplement stupéfiante, tout comme sa propension à
l’obséquiosité. Et le bilan est à l’avenant, entre un Président despotique, muet
et affairiste, une Nawal El Moutaouakel, aux déclarations courtisanesques,
qu’elle entame et achève par « Qala sahib al jalala », pour seul bilan et un
Hicham El Guerrouj, cet ex Dieu du stade, au quotient intellectuel inversement
proportionnel à cette foulée magnifique, qui nous a tant fait vibrer et aimer
le drapeau qu’il brandissait après chacun de ses triomphes.
A quelques jours de la clôture des jeux olympiques, mis à part l’exploit
rocambolesque de Benslimane, qui a mis en lumière le côté sombre du régime
marocain, l’espoir se réduit comme peau de chagrin, de voir notre pays engranger
quelque hypothétique victoire. Un fiasco de plus à imputer au compte de la
dictature marocaine qui accepte d’abriter sous ses lambris tout ce que le pays
compte d’incompétents, pourvu qu’ils se taisent et de brutes, pourvu qu’ils
répriment les amis de la liberté.
Mais il me suffit de me consoler en pensant, un instant que les médailles
qui récompensent les vainqueurs, sont peut-être frappées de ce métal provenant
de la mine d’Imider, cette région où mes malheureux compatriotes endurent les
affres de tellement de souffrances, d’injustices et d’ignominies qu’il
m’apparaîtrait plutôt indécent, que nos athlètes se les passent au cou !
URL Source :
http://www.demainonline.com/?p=20043
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