La « Princesse des pauvres » s’en est
allée. Comme elle avait vécu. Dans la discrétion ! Sans bruit, elle a
tiré la porte derrière elle, après avoir perdu son ultime bataille,
celle qui l’opposait à la maladie. Jusqu’au bout, la tante de Mohamed
VI, aura gardé ce regard espiègle et moqueur qui savait se faire dur,
lorsqu’elle avait vent qu’une injustice touchait ses compatriotes.
A la fin de sa vie, souffrance oblige, c’est tout juste si ses yeux, d’habitude si pétillants, s’étaient faits un peu moins rieurs.
A la fin de sa vie, souffrance oblige, c’est tout juste si ses yeux, d’habitude si pétillants, s’étaient faits un peu moins rieurs.
La princesse était la cadette des enfants de Mohamed V. A la mort de
ce dernier, Hassan II prend en charge le destin de sa demi-sœur, née à
Madagascar, le 8 avril 1954, alors que la famille y est en exil. Le
changement est brutal. La fillette pleure son père et Hassan II qui
prétend le remplacer, est despotique et la terrorise, à l’instar de tous
les autres membres de la famille. Il n’est pas rare de le voir ordonner
à ses « esclaves du feu » des corrections mémorables aux récalcitrants
ou aux rebelles, quand il ne s’en chargeait pas lui-même, à coups de
ceinturons, de gifles, de coups de poings ou de pieds.
L’exceptionnelle intelligence de la fillette s’accommode mal du
despotisme et lui permet de faire le distinguo entre éducation et
cruauté. Elle concevra de cette période une profonde aversion pour toute
forme d’injustice et de violence.
Son mariage avec Driss El Ouazzani, qui « passait par là », lui
permet d’échapper à l’emprise de son frère et du protocole du palais. Il
demeurera son autre blessure, malgré la naissance d’une petite fille.
Sa silhouette toute de noire vêtue et sa casquette à visière frappée
de l’emblème de la Fédération des Sports Equestres, ne hanteront plus
les allées de Dar Essalam, ce magnifique club qu’elle a monté de toute
pièce, dans un coin reculé du Golf royal.
Toujours ce souci de ne pas déranger le grand frère, ce monstre de susceptibilité et d’ombrage.
Elle affectionnait tant son club où elle passait le plus clair de son
temps, entre les affaires courantes de la Fédération, la gestion de ses
écuries ou celle de sa ferme équestre de Sidi Berni, l’organisation de
grands événements comme la semaine du cheval ou la saison des concours
hippiques.
C’est en partie grâce à ce travail patiemment conduit, loin de tout
protocole, avec une poignée de fidèles, que le Maroc a pris sa place
comme pays d’élevage de chevaux d’exception, malgré la suspicion, les
doutes, le peste équine et le reste !
Nul n’oubliera ces moments de kermesse, lorsque le club équestre de
Dar Essalam s’ouvrait à la semaine du cheval ou lorsque la caravane des
concours hippiques atteignait les villes marocaines.
Il n’était alors pas rare, de la voir déambuler, le plus
naturellement du monde, parmi la foule des amoureux du cheval, dont
beaucoup ignoraient, alors que le maître d’œuvre de cette fête
exceptionnelle était ce petit bout de femme d’à peine un mètre soixante.
Lors de la semaine du cheval, c’est dans son petit Club-house cosy,
du centre équestre de Rabat, qu’il fallait se trouver, pour l’entendre
entonner, dissimulée derrière un pilier, la chanson des vieux amants,
de jacques Brel, des trémolos plein la voix, trahissant alors, le spleen
qui s’emparait d’elle à l’évocation de ce refrain nostalgique :
« Mon amour, mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour,
de l’aube claire, jusqu’a la fin du jour, je t’aime encore, tu sais ! »
Mais c’est en enfourchant un autre cheval de bataille que la défunte a
gagné ses lettres de noblesse et mérité amplement, le titre de
« Princesse des pauvres ».
Acquise à la cause des damnés de son pays, « Lalla Mina » a été de
tous les combats, volant au secours des orphelins, des mères
célibataires, des femmes battues, violées, ou répudiées. Elle doit la
réussite de son action caritative, à la propension qu’elle a toujours
eu à déléguer aux autres les prérogatives qu’elle savait ne pouvoir
assumer, une autre démonstration de son intelligence. Et même si
certains de ceux ou celles qu’elle avait choisis, en ont profité pour se
tailler une carrière ou « manger au râtelier », le résultat est plus
que probant : des centaines de mères célibataires, de veuves, de
divorcées et d’orphelins ont été sauvés des griffes de la misère, de la
prostitution, de l’anathème, de la délinquance, voire de la mort, grâce
au combat courageux de cette hyperactive du social. Par ricochet, des
milliers d’autres ont pu accéder à un minimum de dignité humaine.
Contrairement à tant d’autres membres de sa famille, épris des
objectifs et des feux de la rampe, aucune caméra n’est jamais venue
humilier qui que ce soit en saisissant ces moments où la Princesse
tendait la main à un destin brisé, une vie qui chavirait ou une
existence au bord du chaos. Son bureau résonne encore de tant de coups
de téléphones à cet agent d’autorité despotique, ce policier véreux, de
tant de séances de conciliations entre époux au bord de la rupture, de
froissements discrets de dirhams ou de chèques qui passaient
discrètement de sa poche à celle d’interlocuteurs, menacés par la faim
ou la banqueroute.
Si le Maroc avait été un pays démocratique, la Princesse aurait eu
droit à sa légende, quand tant d’autres s’en sont confectionnés une,
factice, à coup de marketing et de mensonges.
Elle s’est éteinte après en avoir inspiré plus d’un !
Puisse-t-elle continuer depuis là où elle repose jusqu’à ce que la
justice et la dignité qu’elle a tant défendues, embrassent, à tout
jamais, sa patrie.
Salah Elayoubi
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