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jeudi 12 avril 2012

La police française sommée de justifier ses contrôles au faciès devant la justice

Par Louise Fessard, mediapart, 11/4/2012


Ils sont noirs ou arabes et estiment avoir subi un ou des contrôles d’identité au faciès. Attestations de témoins à l’appui, quinze Français de 16 à 47 ans ont assigné mercredi matin l’Etat pour pratiques discriminatoires. Ils demandent au ministère de l’intérieur de prouver que les contrôles d’identité subis n’étaient pas fondés sur leur couleur de peau et avaient un motif légal (lire en prolonger).
 Un policier d'une brigade anticriminalité (Bac) effectue un contrôle d'identité lors d'une patrouille de nuit, 1998.© REUTERS/Philippe Wojazer

«C’est le principe même de la liberté de mouvement : quand quelqu’un est arrêté, il a le droit de savoir pourquoi, explique Me Slim Ben Achour, qui mène les assignations avec Me Félix de Belloy. Sur le plan judiciaire, la plupart des contrôles n’ont pas de suite. En revanche pour la personne contrôlée au vu et su de tous, très souvent avec une palpation et des propos blessants de la part des policiers, c’est une violation de sa dignité.» Contrôlés dès qu’ils se rendent en centre-ville, au Mac Do du coin avant un départ en soirée, au sortir du métro, ou tout simplement dans leur quartier, la plupart racontent l’«humiliation» de ces contrôles répétitifs, «jusqu’à dix fois par mois» pour un jeune Lyonnais de 19 ans (lire leurs témoignages).

Cette action en justice, portée par le Syndicat des avocats de France (SAF), Open Society Justice Initiative (la fondation du milliardaire George Soros) et le jeune “Collectif contre le contrôle au faciès”, est inédite en France. «L’idée est d’utiliser le droit de façon stratégique, là où les manifestations et les mobilisations classiques ont échoué», explique Lanna Hollo, représentante d'Open Society à Paris. «Les contrôles d’identité au faciès sont dénoncés depuis trente ans sans aucun effet», remarquent également les deux coordinateurs du Collectif contre le contrôle au faciès, qui ont, de par leur réseau national, collecté les cas portés en justice.

En 2009, une étude du CNRS avait montré que, sur cinq sites parisiens étudiés, les Arabes et les Noirs avaient respectivement 7,8 et 6 fois plus de chance d'être contrôlés que les Blancs. «Cette étude est la première qui prouve sur le plan statistique que les contrôles ne sont pas neutres, qu’il y a des mécanismes discriminatoires à l’œuvre, remarque Me Slim Ben Achour. Nous avons une base scientifique permettant de dire que les contrôles au faciès ne sont pas une vue de l’esprit.»

Mais trois ans plus tard, les pouvoirs publics persistent dans leur déni. Le 31 janvier 2012, aux vœux du principal syndicat de gardiens de la paix, le ministre de l’intérieur Claude Guéant qualifiait ainsi de «préjugés délétères» un récent rapport d’Human Rights Watch sur les contrôles au faciès. «Je connais la déontologie des policiers, ils ont le républicanisme ancré en eux», balayait l’ancien directeur général de la police nationale.

Face à ce mur, les organisations déjà citées ont donc décidé de porter le problème sur le plan judiciaire. Au civil, plus précisément. «C’est plus porteur que de déposer plainte au pénal contre des policiers, car les autorités ne pourront pas s’en sortir en nous répondant “Pas de chance, vous êtes tombés sur une brebis galeuse”, explique Slim Ben Achour. Attraper quelques policiers racistes ne nous intéresse pas. L’assignation vise à attaquer le cœur du contrôle au faciès, à savoir le ministère de l’intérieur qui est responsable des forces de l’ordre et doit être confronté aux règles de l’Etat de droit.»

Mais comment attaquer un contrôle d’identité, le seul acte de procédure pénale sans trace écrite ? «Quand il n’y a pas de suite, il n’y a aucune trace du contrôle, donc il est très difficile, voire impossible, d’aller contester ce contrôle devant la justice alors qu’il s’agit de droits fondamentaux», reconnaît Lanna Hollo.

Pour contourner cet obstacle, les avocats se sont appuyés sur des attestations de témoins présents au moment des contrôles. Et sur les nombreux rapports d’organisations des droits de l’homme, d’instances internationales, comme la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, et nationales, comme feu la CNDS, constatant «l’indéniable réalité des contrôles au faciès en France».

Pression sur les candidats

En matière de discrimination, le droit européen a prévu un aménagement de la charge de la preuve favorable à la victime. Il “suffit” à celle-ci d’apporter un faisceau d’indices permettant de penser qu’il y a eu discrimination, et c’est à la partie défenderesse de prouver que sa décision n’est pas fondée par un motif discriminatoire. «Ce sera au ministère de l’intérieur de justifier qu’il y avait un motif objectif à chaque contrôle d’identité, par exemple, un cambriolage venait de se produire et la personne contrôlée correspondait au profil du voleur», explique Me Slim Ben Achour.

Interrogé par les avocats sur les motifs de chacun des contrôles, le ministère de l’intérieur a temporisé, répondant par courrier mi-mars 2012 que la direction générale de la police nationale avait été saisie pour un «examen approprié» de la «démarche».
               
A l’origine de cette action, le collectif contre le contrôle au faciès a mené un vrai travail de terrain et mis en place au printemps 2011 un numéro spécial pour les victimes de contrôles d’identité abusifs.

«Vous êtes sur le répondeur du collectif contre le contrôle au faciès. Après tout contrôle d’identité hors véhicule et sans motif, retenez la date, l’heure, le lieu, les personnes qui étaient avec vous ou les caméras à proximité, le motif annoncé, le déroulement du contrôle et le résultat, et envoyez “contrôle” par SMS. Vous serez rappelé en 24 heures.»
Depuis le lancement de ce numéro, le collectif a reçu quelque 500 SMS pour signaler des contrôles d’identité sans motif, perçus comme abusifs, ou accompagnés de violences policières. Une série vidéo, où des sportifs, comédiens, humoristes et musiciens racontent leur premier contrôle, a contribué à faire circuler ce numéro sur Internet.

«C’est là qu’on s'aperçoit qu’il existe une véritable attente et un sentiment d’injustice des citoyens, qui ne savent pas vers qui se tourner, explique le collectif. Le plus jeune était un petit de 11 ans à Belleville. Nous avons aussi eu des mamans pour leurs fils de 12 ans. Quand ce sont des enfants, ils ne comprennent pas forcément, surtout si les policiers sont en civil. Ils pensent qu’ils vont se faire kidnapper !»

Selon les cas, le collectif a ensuite orienté les personnes qui le souhaitaient vers des avocats travaillant sur les contrôles abusifs, ou vers des avocats pénaux pour les allégations de violence. «Nous faisons aussi de l’éducation civique sur ce qui est légal ou pas, explique le collectif. C’est rappeler aux jeunes que les policiers font leur métier et que s’ils voient une dizaine de jeunes dans un hall à 23 heures, ils peuvent légitimement se poser des questions.»

Les quinze premières assignations ont été envoyées au trésorier payeur général et déposées symboliquement devant le Palais de justice de Paris ce 11 avril. «D’autres personnes vont se joindre à nous dès qu’elles auront connaissance de la procédure et le courage de dépasser leurs peurs», espère Me Slim Ben Achour.

L'an passé, un collectif d'une cinquantaine d'avocats avait tenté une autre offensive contre les contrôles d'identité au faciès, en déposant des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour chaque dossier présenté devant les tribunaux d’Ile-de-France, de Lyon et de Lille. La démarche était légèrement différente : il s'agissait d'attaquer la loi elle-même, et non pas la pratique policière. Pour les avocats concernés, l'article 78-2 du code de procédure pénal, qui encadre les contrôles, est «rédigé de façon tellement vague qu’il permet potentiellement un abus».

La Cour de cassation a toutefois refusé en 2011 de transmettre ces QPC au Conseil constitutionnel. Les avocats ont donc changé de stratégie et décidé d'attendre le «dossier parfait» pour déposer une nouvelle requête. «Nous attendons le dossier où le contrôle s'est fait exclusivement au faciès, précise Me Joseph Breham, membre du collectif. J'ai, par exemple, eu un cas où les forces de l'ordre écrivaient : “Avisons trois personnes d’origine nord-africaine, attablées à la terrasse d’un café, qui se passent un sac. Dès lors, décidons de contrôler l’identité.” Il est évident que la seule raison qui a poussé les policiers à contrôler ces personnes est le fait qu'elles étaient nords-africaines. Ce n'est pas l'une des “raisons plausibles” prévues par la loi.»

Pour lutter contre ces dérives, plusieurs organisations préconisent la remise d’une attestation à chaque contrôle d’identité, un dispositif qui a fait ses preuves en Espagne, ainsi qu’un encadrement législatif plus strict des contrôles.

L'idée est d'obliger les candidats à la présidentielle à se positionner, et notamment François Hollande qui a promis, en cas de victoire de la gauche le 6 mai, une «circulaire sur la lutte contre les “délits de faciès” lors des contrôles d’identité». Sans plus de précisions.
http://www.mediapart.fr/journal/france/100412/la-police-sommee-de-justifier-ses-controles-au-facies-devant-la-justice

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