Par Anne-Sophie MARTIN , 5/4/2012 |
Quand on pense tourisme, beaucoup voient tout de suite apparaître des images (clichés) quasi paradisiaques de palmiers, d’un transat installé au bord d’une piscine, dans un complexe hôtelier de luxe où tout est prévu pour limiter les efforts du touriste venu se reposer. Et, pourtant, une autre façon de voyager existe. Jusqu’à très récemment, rares étaient ceux qui envisageaient de voyager sac sur le dos à la découverte d’une région au potentiel patrimonial riche. Le tourisme durable, également baptisé tourisme alternatif, vert ou éco-tourisme, est pourtant rapidement devenu à la mode, notamment dans les pays occidentaux. Nombreux sont les touristes en partance d’Europe ou des États-Unis qui voyagent à la recherche d’une bouffée d’air pur et d’une immersion dans la population locale. «68% des Français sont prêts à payer plus pour un tourisme écologique», nous apprend ainsi le docteur Mtir Abdellah, chercheur en développement territorial dans les oasis marocaines.
L’organisation du premier forum du tourisme durable et du développement local, qui s’est tenu du 29 mars au 1e avril à Zagora, a justement été l’occasion pour réunir l’ensemble des acteurs concernés par le développement touristique au Maroc, qu’ils soient marocains ou étrangers. Organisée par la wilaya du Souss-Massa-Drâa (SMD), la province de Zagora, la commune urbaine de Zagora, le Conseil provincial du tourisme (CPT) de Zagora, l’association de développement de la vallée du Drâa (ADEDRA) et l’agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier (ANDZOA), la manifestation a ainsi connu la participation de nombreux intervenants, dont l’université Ibn Zohr, le Conseil régional du tourisme, le Conseil régional de SMD ou encore le centre d’études et de recherche sur le développement durable. À travers la tenue de différents ateliers et tables rondes, l’idée était d’instaurer une culture touristique solidaire, écologique et rurale, porteuse d’opportunités de développement local intégré pour les populations locales de la région. À l’issue du forum, une réflexion globale s’est mise en place pour mettre en valeur le potentiel du tourisme durable dans les vallées du Drâa et du Maidr et réfléchir à la préservation du patrimoine naturel et culturel de la région des oasis. Pendant ces 4 jours, chercheurs, ONG, professionnels du tourisme, associations professionnelles et administrations publiques se sont attelés à mettre le tourisme au cœur d’une problématique plus vaste, le développement durable. À ce titre, il faut noter que le concept de tourisme durable a été officialisé en 1995 par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), après l’organisation de la première rencontre sur ce thème.
Combiner durabilité et tourisme
Au Maroc, la combinaison de l’industrie touristique avec la préservation des richesses environnementales et culturelles est devenue un enjeu majeur pour les zones oasiennes. Réparties sur une diagonale nord-sud, de Figuig à M’hamid El Ghizlane, les oasis marocaines souffrent de la pression urbanistique et du manque de mise en valeur. «3% des palmeraies disparaissent chaque année», explique ainsi Aziz Bentaleb, professeur-chercheur à l’unité des études et des recherches environnementales de l’institut royal de la culture amazighe (Ircam). «Les unités hôtelières détruisent l’environnement car les investisseurs recherchent la rentabilité», poursuit-il. Pour limiter les dégâts d’un tel tourisme, l’idée est de privilégier le développement du logement chez l’habitant. La durabilité du tourisme passe également par la mise en place de règles strictes. «Il nous faut élaborer une charte du touriste responsable. Il est par exemple anormal qu’un touriste consomme 400 litres d’eau lors de son séjour, alors qu’un habitant de la région n'en consomme que 60», regrette le docteur Mtir Abdellah. De la même façon, l’installation de bivouacs doit être réglementée. «Certains ne sont distants que de 50 mètres. D’autres peuvent parfois accueillir une centaine de voyageurs ! On est loin du concept de tourisme durable», s’insurge Halim Sbaï, directeur financier du projet Taragalte, une fondation qui lutte ardemment pour la préservation des oasis de la région de M’hamid El Ghizlane. Des pistes pour les circuits en 4x4 doivent être délimitées. La question de la formation de l’ensemble des acteurs et celle de la création de labels éco-touristes sont également plus que nécessaires.
Manque de communication
«Le touriste venu séjourner au Maroc doit faire son choix entre le tourisme de luxe, le tourisme de masse et le tourisme durable. Les trois sont possibles. La région du Souss-Massa-Drâa est d’ailleurs très adaptée au développement d’un tourisme durable au Maroc. Cependant, beaucoup reste à faire», précise le docteur Mtir. «La région de Zagora a été découverte par coïncidence à la fin des années 80. C’est le contexte international de l’époque avec les problèmes d’instabilité des pays du Sahel ou encore la question de l’intégrisme en Algérie, qui ont reporté le tourisme saharien vers le Maroc. Il ne s’agit pas d’une destination bien définie - Les tours opérateurs ont trouvé toute une topographie qui peut répondre aux marchés qu’ils ont», explique pour sa part Ahmed Chahid. Néanmoins, dans sa stratégie de promotion du tourisme, le Maroc fait encore peu de place aux possibilités du tourisme durable. À l’étranger, le pays mise essentiellement sur le tourisme de masse pour recevoir des devises. Ces dernières semaines, les promoteurs touristiques marocains et les institutionnels étaient d’ailleurs en campagne de promotion en Russie, à la recherche d’un potentiel de 2 millions de touristes. Or, cette clientèle semble bien trop exigeante pour s’aventurer dans un bivouac. Au salon international du tourisme de Berlin, qui a eu lieu du 7 au 9 mars dernier, l’occasion était trop belle pour séduire les marchés intéressés par le concept du tourisme durable. Mais là encore, le Maroc n’a pas saisi sa chance. La difficulté du Maroc est que les institutionnels sont très peu intéressés par la problématique environnementale du tourisme. «Le Maroc mise principalement sur le tourisme de masse pour drainer des devises. Le pouvoir central néglige le tourisme durable, d’où la nécessité de renforcer les capacités des populations locales», affirme Aziz Bentaleb. Les bénéfices d’un tel tourisme iraient enfin aux bonnes personnes : les chameliers, les guides, les restaurateurs, les chauffeurs, etc.
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Ahmed Chahid,
Président du Conseil provincial du tourisme (CPT) de Zagora.
«Rendement durable plutôt que rentabilité»
Les Échos quotidien : Quelle est la situation actuelle du secteur touristique, dans la région de Zagora?
Ahmed Chahid : En 2011, nous n’avons malheureusement pas atteint le chiffre de l'année 2000. À l’époque, nous avions réalisé 100.000 nuitées. Mais jusqu’à aujourd’hui, nous n’en avons pas dépassé 50.000. En 2010, le taux d’occupation dans les hôtels classés de Zagora n’a pas dépassé 14%. En 2011, les estimations font état d’un taux d’occupation de 12%. Mais le taux d’occupation des maisons d’hôte est en forte croissance, avec un taux d’occupation estimé à 65%.
Pourquoi cette baisse de fréquentation dans la région ?
Pendant l’âge d’or du tourisme de la région, le tourisme de masse régnait. Les hôtels 4 ou 5 étoiles se sont multipliés. Les promoteurs ont profité de la région. Ce ne sont pas les populations locales qui ont investi dans le tourisme, mais des sociétés anonymes, soit étrangères soit nationales. Depuis, la demande a chuté et nous ne sommes pas parvenus à la récupérer, à cause de la crise économique de ces dernières années. Néanmoins, il faut savoir que beaucoup d’activités ne sont pas chiffrées. L’informel domine dans la région. Ces prestations ont vu le jour grâce aux autochtones mais nous n’avons pas de possibilité d’avoir les statistiques.
Pourquoi réfléchir aujourd’hui à un tourisme durable ?
Nous n’avons pas choisi notre secteur du tourisme. Nous n’avons pas d’infrastructures capables de concurrencer les autres destinations, qu’elles soient étrangères ou marocaines. Il faut chercher la meilleure façon d’exploiter notre potentiel, d’où l’idée de cumuler tourisme et durabilité. D’un côté, notre écosystème est trop fragile. De l’autre, nous avons un patrimoine naturel, culturel et civilisationnel qui constitue une richesse incroyable pour notre région. Le patrimoine des kasbahs n’est malheureusement pas encore valorisé. Aujourd’hui, il nous faut une vision stratégique globale. Il faut impliquer les populations locales, les institutionnels, les promoteurs, etc. D’où l’organisation de ce premier forum. Il a été organisé pour convaincre l’ensemble des acteurs de se mobiliser pour l’élaboration d’une stratégie pour un tourisme durable.
Qu’en est-il de la question de la rentabilité pour les investisseurs ?
Jusque là, nous n’avons de toute façon pas profité des recettes issues du tourisme. La question est plutôt de savoir comment nous pouvons avoir un rendement durable. Que nous apporte le tourisme de masse ? Les packages se vendent en France à 400 euros pour 8 jours. Ces prix-là ne peuvent même pas payer l’amortissement d’un établissement hôtelier. Ce tourisme de masse n’est pas rentable. Nous visons le militantisme en ciblant une certaine clientèle.
Point de vue
Philippe Voisenet,
Vice-président de l’ONG Tourisme sans frontières
Nombreuses sont les ONG qui pourraient mener des projets microlocaux de tourisme durable. Néanmoins ces derniers seraient trop locaux. Qui viendrait en Afrique pour un seul village ? Il faut au contraire faire en sorte que le pays ou la région deviennent une destination dédiée au tourisme durable. Regrouper les ambitions dans une même stratégie reste la meilleure solution. Au Maroc, les compétences sont là. Cependant le manque de collaboration entre les différents acteurs freine l’élaboration d’une stratégie globale pour le tourisme durable. Il ne restera alors que le passage de la pensée à l’acte. Cela serait par exemple possible par la création d’un réseau d’agences de voyages marocaines, qui reçoivent les touristes. C’est dans cette optique que nous avons signé une convention avec le réseau de développement touristique rural. Nous sommes là pour les aider à réfléchir à la création d’une stratégie, à la formation des acteurs et à la mise sur le marché de l’offre. L’intérêt du tourisme durable va grandissant. Ce n’est pas pour rien si le Salon du tourisme et de l’économie solidaire, Solidarissimo, qui se tient chaque année à Colmar, accueille 30.000 visiteurs en 3 jours.
Le cas du village touristique de N’koob
Situé au nord de Zagora et à 220 km de Merzouga, la communauté rurale de N’koob fait figure d’exemple en matière de tourisme durable. Sur les 45 kasbahs que compte la commune, 24 ont été rénovées. Chacune aura nécessité un investissement de près de 1,5 MDH. La première, Baha Baha, a ouvert ses portes en 1999. Une seule est détenue par un étranger. Et toutes sont devenues des gîtes ruraux. La zone offre aujourd’hui une capacité de 270 lits. En travaillant avec différents centres de réservation et une trentaine d’agences de voyage, ces gîtes ont réussi à attirer des visiteurs venus des quatre coins d’Europe. Néanmoins, le taux d’occupation reste inégal selon les kasbahs. Le manque de formation reste un frein important au développement de ce village. En vue de promouvoir le développement touristique de la zone, l’association village d’accueil touristique durable N’koob, a été créée en 2010.
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