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lundi 27 février 2012

Les barbouzes marocains enlèvent un Français en Espagne et le torturent à Témara

par Zineb El Rhazoui, Vox Maroc,  27/2/2012

El Mostafa Naïm, arrêté illégalement par le Maroc sur le sol espagnol, condamné à 8 ans pour trafic de drogue et incarcéré depuis 16 mois à la prison d'Okacha à Casablanca
El Mostafa Naïm
Décidément, la police secrète marocaine n’a plus de frontières. El Mostafa Naïm, 28 ans, français d’origine marocaine, en fait le douloureux récit depuis sa cellule de la prison d’Oukacha à Casablanca, où il purge depuis 16 mois une peine de détention de 8 ans.

L’affaire, rapportée par le quotidien Le Parisien, laisserait cois les plus fins exégètes du droit international. Le 1er novembre 2010, El Mostafa quitte le Maroc par voie terrestre avec son épouse Nora, enceinte de 8 mois, en direction de Vaulx-en-Velin (région de Lyon) où ils résident. Ce cuisinier de métier venait de passer des vacances en couple dans sa ville natale de Mohammedia et s’apprêtait, avec sa femme, à retourner en France pour accueillir la naissance de leur petite fille, aujourd’hui âgée de 13 mois. Mais le destin, et surtout la DST (Direction de Surveillance du Territoire), en ont voulu autrement. El Mostafa ne verra pas naître sa petite, ni même son petit chez lui dans la région de Lyon.

A peine débarqués à Algeciras à bord de leur véhicule, ils sont interpellés à la sortie du bateau par deux policiers marocains en civil. Non, ils ne se sont pas trompés de destination, ils sont bel et bien en Espagne, mais ce sont des agents marocains qui les arrêtent. Contrôle d’identité, puis les policiers ordonnent à El Mostafa de rembarquer vers le Maroc. Le jeune homme demande des explications, s’indigne, descend de sa voiture, refuse d’obtempérer, mais rien n’y fait. La Guardia Civile espagnole est étrangement absente, et le personnel espagnol du port ne voit rien et n’entend rien. El Mostafa qui n’est pas un enfant de chœur, se débat, se défend, mais trois autres policiers marocains en civil arrivent, le mettent à terre, et l’embarquent par la force à bord d’un autre bateau d’une compagnie espagnole. Direction le Maroc.

Nora, l’épouse d’El Mostafa, se résout à remonter avec lui dans le bateau au volant de leur voiture. Une fois à bord, le franco-marocain est emmené à la cale, menotté et attaché au poteau, sous la supervision du commissaire de Tanger qui était du voyage. Arrivé dans la ville du détroit, il est conduit dans un commissariat où il doit « patienter » dans un bureau avec 3 policiers en civil. Quelques instants plus tard, des renforts arrivent : 8 policiers en civil identifiés par El Mostafa comme étant des agents de la BNPJ (Brigade Nationale de la Police Judiciaire).

Le jeune homme ne comprend toujours pas ce qu’on lui reproche. Il demande à aller aux toilettes : 10 personnes l’escortent. « J’ai commencé à me dire que ça devait être grave », confie-t-il. Quelques instants plus tard, les mêmes agents le font monter à bord d’un véhicule et prennent l’autoroute. « Pendant le trajet, je n’ai pas cessé de m’inquiéter du sort de ma femme, ils m’ont dit qu’ils l’avaient mise dans un taxi pour aller chez des membres de la famille à Tanger », raconte El Mostafa.

« Avant d’arriver au péage de Rabat, ils m’ont mis un bandeau sur les yeux et m’ont obligés à me baisser ». Fort de ses connaissances sur le Maroc, El Mostafa commence à se douter qu’il se dirigeait tout droit vers le sinistre bagne de Témara*. La suite du trajet n’allait pas le démentir. Peu après la capitale, la voiture bifurque sur une piste. « Je ne saurais dire exactement pendant combien de temps, peut-être 5 minutes. Une fois arrivés à destination, les policiers qui m’escortaient n’ont même pas franchi le portail de la prison, ils m’ont confié à une autre équipe », raconte-t-il. « Pour entrer dans l’enceinte, je devais baisser la tête, je n’ai pas compris pourquoi ». Arrivé dans le saint des saints de la torture made in Morocco, le Lyonnais a eu droit à 11 jours de sévices non stop. « On ne me reprochait rien de particulier pendant les interrogatoires, ils ont parlé de trafic de drogue, de terrorisme, ils prêchaient le faux pour avoir le vrai. J’ai été tabassé, électrocuté et filmé. Ils m’ont apporté des vêtements propres qui étaient dans mon coffre, j’ai donc compris que ma voiture était à Témara aussi », poursuit-il.

Le 11 novembre, El Mostafa Naïm sera finalement conduit dans un commissariat de Casablanca où la police judiciaire établira un procès verbal attestant de son arrestation le jour-même à Mohammedia « en flagrant délit » de détention de drogue et de trafic de stupéfiants. Se basant sur des aveux obtenus sous la torture, la justice l’inculpera pour constitution de bande criminelle et trafic international de drogue. El Mostafa écopera de 8 ans de prison ferme. Le procès en appel, sans cesse ajourné depuis près de 4 mois, a peu de chances de rétablir la vérité, puisque la justice possède « des aveux ». Vox Maroc qui a pu examiner le dossier d'El Mostafa Naïm, a constaté l'inconséquence des arguments judiciaires avancés par le parquet et je juge d'instruction. L'enquête de la BNPJ a manifestement été bâclée, voire caviardée.

En France, l’avocat d’El Mostafa Naïm, Me François Heyraud, a déposé plainte auprès du parquet de Lyon pour enlèvement, séquestration et usage de faux.

Le passeport d’El Mostafa comporte un tampon de sortie du territoire marocain le 1er novembre, et aucun tampon d’entrée après cette date. Les documents judiciaires marocains affirment pourtant qu’il a été arrêté le 11 novembre à Mohammedia. Quoi de plus facile pour la justice française de prouver l’illégalité totale de son arrestation ?

Dans l’attente du dénouement de cette énième affaire kafkaïenne qui éclabousse la justice du royaume, les autorités marocaines et espagnoles expliqueront-elles selon quelles sombres pratiques policières des barbouzes marocains peuvent opérer en toute impunité sur le sol espagnol ?

http://voxmaroc.blog.lemonde.fr/tag/violations-des-droits-de-lhomme/
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 Par Ali Amar,Slate Afrique, 28/4/2011

*Rappel : Témara, le centre de torture du Maroc

Le Maroc nie l’existence d’un centre de détention près de Rabat où la police secrète torture sans limite. Pourtant, témoignages et rapports d’enquête accablants se multiplient.
A l'époque de Hassan II, Témara, à quelques kilomètres au sud de Rabat, était plutôt synonyme de farniente et de douceur de vivre. Cette petite agglomération doublée d’une agréable station balnéaire a depuis radicalement changé de réputation. Au bout d’une longue et sinueuse route qui la borde, se cache, niché au fond des bois qui ceinturent la capitale, un centre de détention secret qui pourrait ravir la palme de l’horreur au tristement célèbre bagne de Tazmamart, symbole des années de plomb.
 
Sous Mohammed VI, les services secrets marocains y perpétuent la pratique de la torture, les sévices les plus sadiques, dans des conditions de détention effroyables. Des centaines d’hommes et de femmes –aucun chiffre précis n'est connu– y sont passés, dans des cellules exiguës qui ne seraient guère plus que des culs de basse-fosse.
Le bagne localisé via Google Earth

Le bloggeur et juriste Ibn Kafka en a fait le sombre décryptage. Dans une vidéo utilisant la technologie satellitaire Google Earth, Mamfakinch, un Citizen media créé dans le contexte du «printemps arabe» et qui s’inspire dans sa démarche des Anonymous, en révèle la localisation exacte.
Le complexe de Témara –officiellement siège de la Direction de la sécurité du territoire (DST, rebaptisée DGST depuis 2003)–, «n’est pas seulement un simple complexe de bureaux. Il est étalé sur plusieurs hectares où sont installées des antennes satellitaires. On peut remarquer également d’autres types d’antennes et même une sorte de route à deux voies qui peut permettre l’atterrissage de petits avions, genre Cessna», commente pour sa part le site d’information Demain.

«Ce que l’on ne voit pas, par contre, c’est la prison souterraine dont les cellules servent de salles de torture, comme ont pu témoigner plusieurs hôtes, marocains et étrangers, qui y ont été "invités"», ajoute Demain.

La vidéo montre que le site de Témara n’est qu’à 2 km à vol d’oiseau de la résidence royale de Dar-Es-Salam.

Un Abou Ghraib à la marocaine
Depuis que la chasse aux islamistes s’est intensifiée après les terribles attentats de Casablanca en 2003, des milliers de personnes –y compris des femmes et des adolescents– ont été arrêtées lors de rafles effectuées par la police dans les principales villes du pays. Certaines d’entre elles ont été enlevées par les services secrets en violation totale des procédures légales, conduites à Témara, interrogées et torturées des jours durant avant d’être soit relâchées sans suite, soit présentées à la justice pour subir des procès d’abattage.

Les islamistes ne sont pas les seuls à avoir subi les affres de ce lieu souvent comparé à la prison irakienne d'Abou Ghraib et dont l’Etat nie toujours l’existence malgré les innombrables témoignages (vidéo sous-titrée en français) et les rapports d’enquête menés à son sujet par les ONG internationales, comme Amnesty International (PDF), et locales. A cette occasion, Amnesty International avait accumulé plus de 45 témoignages, dont 20 très détaillés, de détenus, de leurs familles, de leurs avocats et d'autres ONG marocaines, qui ont enquêté sur leurs cas.

«Des fonctionnaires conduisent la personne interpellée à bord d’une voiture banalisée (comme dans les années 70). Parfois même, les agents DST les brutalisent avant de leur bander les yeux et de les emmener vers un lieu inconnu (…). Outre les sévices que subissent les détenus, il y a surtout les menaces de viol auprès de leurs épouses et autres abus sexuels dont ils sont victimes sur place», avait rapporté l’ONG, qui exhortait le Maroc à «reconnaître les agissements de la DST et à enquêter sur les agissement des agents concernés».

«Presqu’un an avant les événements du 16 mai 2003, l'opinion publique marocaine découvre que les méthodes d'interpellation et le phénomène de la détention arbitraire qu'elle croyait quasi révolues avaient fait leur réapparition. C'est dans ce contexte que se multiplient les témoignages sur l'existence d'un centre en particulier, dirigé par la DST et situé à la périphérie de Rabat, à Témara plus précisément. Alors même que des pèlerinages symboliques sont organisés sur les lieux qui avaient servi de prisons secrètes (Tazmamart, Kalaat M'gouna, etc.) dans les décennies précédentes, cette découverte constitue un véritable choc, d'autant plus fort qu'il semble attesté que ce lieu, où la torture est pratiquée, a été très utilisé après les attentats criminels de Casablanca», avait pour sa part rapporté en 2004 la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) dans un rapport de mission accablant (PDF).

La torture «sous-traitée» au Maroc
Les victimes de Témara se répartissent en gros en quatre catégories: les islamistes de la mouvance jihadiste accusés de fomenter des actions terroristes, les détenus sahraouis indépendantistes pour irrédentisme, des activistes de la gauche radicale et un petit nombre d'individus livrés par la Central Intelligence Agency (CIA) ou le MI5 britannique dans le cadre du fameux programme américain de sous-traitance de la torture à des alliés comme le Maroc, peu soucieux de respecter les droits des prisonniers durant leurs interrogatoires.

Pour ces derniers, Témara a servi de «site noir» dans la «guerre contre la terreur» menée par les Etats-Unis sous l’administration Bush Jr et certains de ses alliés comme le Royaume-Uni. C’est-à-dire faire à Témara ce que les législations occidentales ne permettent pas en Europe ou sur le sol américain pour extirper des aveux à des «combattants d’al-Qaida» capturés en Irak, au Pakistan ou en Afghanistan.

Selon un rapport parlementaire européen chargé d'enquêter sur les vols secrets de la CIA en Europe, quelque 40 escales d'avions de la Centrale de renseignement auraient été effectuées au Maroc de 2001 à 2005.

Mohamed Binyam, un Britannique d’origine éthiopienne, suspecté de terrorisme, avait été arrêté au Pakistan en 2002 avant d'être emmené au Maroc à bord de l’un de ces avions et détenu illégalement à Témara durant dix-huit mois. Premier détenu de la prison américaine de Guantanamo à avoir été libéré par le président Barack Obama en 2009 –après quatre ans de calvaire, toutes les accusations de terrorisme à son encontre ont été abandonnées–, il raconte son «séjour» à Témara:

«J'ai vécu une expérience que je n'aurais jamais pu imaginer dans mes pires cauchemars (...). Il est toujours difficile pour moi d'imaginer que j'ai été enlevé, transporté d'un pays à un autre, et torturé de façon médiévale, tout cela étant orchestré par les Etats-Unis, avait-il déclaré à son retour au Royaume-Uni. Pour moi, le pire moment a été celui où j'ai compris au Maroc que les gens qui me torturaient recevaient des questions et des documents des renseignements britanniques.» Binyam affirme que ses tortionnaires lui ont tailladé le sexe à l’aide d’un couteau affuté.

Rabat nie, encore et toujours
Les sévices sous supervision étrangère, le recours à des «kapos» marocains entraînés pour la torture tels que les a décrits Binyam à l’association Reprieve, qui a fourni une aide juridique à de nombreux détenus de Guantanamo, tendent à confirmer que les geôliers de Témara agissent bien dans le cadre d'un système carcéral hors-la-loi assumé en secret par l’Etat marocain, avec la bénédiction de ses chaperons américain et britannique.

Malgré tout ce faisceau de preuves, Rabat, par la voix de son ministre de l’Intérieur, Taieb Cherakoui, continue de s’enferrer dans ses dénégations, alors que Mohammed VI vient de céder à la pression de la rue en accordant sa grâce à de nombreux prisonniers politiques. Des prisonniers qui ont pour la plupart goûté aux charmes de son mouroir de Témara.

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