Propos recueillis par Dominique Lagarde, publié le 01/03/2012
Le roi Mohammed VI, premier investisseur de son pays, est à la tête d'une immense fortune.
Écrivain et grand reporter, auteur il y a quelques années d'un livre-interview avec Hassan II, Eric Laurent vient de publier aux éditions du Seuil, avec la journaliste Catherine Graciet, "Le roi prédateur". L'ouvrage dénonce l'affairisme de l'entourage du roi du Maroc et du souverain lui-même.
S'il est vrai que le roi Mohammed VI est aujourd'hui le premier investisseur de son pays, et qu'il contrôle à travers ses sociétés holding plusieurs secteurs clé de l'économie marocaine, peut-on pour autant, comme vous le faites, parler de "hold up"?
Avant de vous répondre, je voudrais préciser qu'à l'origine notre propos n'était pas du tout d'écrire un livre sur la fortune du roi. Nous voulions faire une sorte d'état des lieux de la monarchie marocaine à l'heure des printemps arabes, essayer de comprendre comment elle s'adaptait, quelle était sa marge de manœuvre, dans quelle mesure elle parvenait à conserver sa légitimité. C'est au fil de notre enquête, à travers les témoignages recueillis, que nous nous sommes rendus compte que le roi était à la tête d'une énorme fortune et surtout que celle-ci avait considérablement augmenté en l'espace de quelques années, alors même que les ressources et les revenus du pays sont assez faibles. Cela nous a surpris. En creusant, nous nous sommes aperçus que les pratiques impulsées par le roi et son entourage relevaient véritablement d'une forme de détournement: sujets devenus les clients de sociétés royales en situation de quasi-monopole, captation, au profit de ces sociétés, d'une partie importante des subventions de l’État et des fonds de la coopération, française ou européenne. On est vraiment dans la prédation.
Les défenseurs de ces sociétés royales disent qu'elles jouent le rôle de locomotive en investissant là où d'autres n'iraient pas...
Non. L'argument de la locomotive était déjà utilisé du temps d'Hassan II, mais il ne tient pas davantage aujourd'hui qu'à l'époque. Le but de ces sociétés a toujours été d'augmenter la fortune royale.
Ce goût des affaires que vous décrivez chez Mohammed VI existait donc aussi chez Hassan II que vous avez bien connu?
Hassan II avait le goût de l'argent et du luxe. Mais pas exclusivement. Sa priorité était de construire une monarchie stable et durable et d'asseoir sa légitimité, ce qui à l'époque n'allait pas de soi. Mohammed VI, lui, n'a aucun intérêt pour la chose publique et pas la moindre fibre politique. Seules comptent les affaires.
Est-on aujourd'hui au Maroc dans une situation où les investisseurs se détournent à cause de la place prise par les holdings royaux?
Un investisseur étranger ne peut pas faire d'affaires au Maroc s'il n'est pas en relation avec Mansour Majidi, l'homme chargé de gérer la fortune du roi, Fouad Al Himma, son conseiller politique, ou le souverain lui-même. Ce sont les trois hommes incontournables sans lesquels rien n'est possible. A l'étranger, c'est quelque chose dont on est très conscient, comme l'ont d'ailleurs révélé les télégrammes américains publiés dans le cadre de WikiLeaks. Du côté des entrepreneurs marocains on note une certaine frilosité, un découragement certainement lié au nombre de plus en plus grand de secteurs confisqués.
Au printemps dernier les manifestants du mouvement du 20 février réclamaient, entre autres, le départ de Mounir Majidi. Qui est-il vraiment?
C'est l'homme des affaires. Il a voué sa vie au monarque. Son appétit est inextinguible. Le roi dit de lui qu'il "sait faire de l'argent". Mais cela n'est pas très difficile quand on a le sésame de la puissance royale et tous les passe-droits! Le Maroc d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec une économie réelle, ouverte, compétitive.
L'affairisme et cette prédation que vous décrivez sont-ils aujourd'hui le vrai talon d'Achille de la monarchie?
Sans aucun doute. Dans le contexte social qui est celui du Maroc, cet enrichissement sans limite du souverain ne peut pas ne pas être ressenti comme une provocation et alimenter les extrémismes. C'est allé trop loin.
Cela pose aussi une autre question: comment fait-on pour gouverner avec un groupe de conseillers qui ne sont qu'une bande de copains?
Depuis vingt-cinq ans le roi se retranche derrière le même groupe, qui lui sert en permanence de filtre. Ce groupe le protège sans doute, lui qui n'aime pas être exposé au regard des autres. Mais il le maintient aussi dans une certaine immaturité, ce qui est très dommageable.
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