Dans les geôles du roi
Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE L'Expression 24/12/2011
Sahara Occidental - En beige clair : les territoires libérés |
La question sahraouie relève fondamentalement d'un problème de décolonisation non résolu.
«A Tifariti, je me sens libre; j'ai l'impression de connaître tout le monde et d'être connu de tous. Parmi les Sahraouis, j'ai appris à connaître le prix de la liberté, mais surtout à comprendre le fait d'être un «colonisé», disait Pierre Toutain, un ami de longue date des Sahraouis, rencontré à Tifariti, dans les territoires libérés du Sahara occidental.
Il est aussi l'un des responsables de l'Association des Amis des Sahraouis de France, présidée par sa femme. «Ma femme n'a jamais cessé de crier haut et fort les violences commises par l'occupant marocain dans les territoires libérés», témoigne-t-il. Hostile et contrarié par les positions officielles de son pays manifestées en faveur du Maroc, Toutain accuse son pays d'avoir trahi son histoire et les principes de la République, berceau des droits de l'homme.
Et de s'interroger: «Qu'en est-il de la mission de la France pour soutenir les opprimés et veiller au respect des droits de l'homme?» soulignant que la question sahraouie relève fondamentalement d'un problème de décolonisation non résolu. Elle illustre également l'incapacité de l'ONU à faire respecter le droit international et les compromissions de la France ou de l'Espagne avec le Maroc. «Dans toutes les circonstances, Toutain et sa femme ne ratent pas une occasion de s'envoler droit vers les terres sahraouies, situées aussi bien dans les territoires libérés ou occupés», témoigne Nadjet Keribika, ex-prisonnière politique, arrêtée de 1982 à 1991. La soixantaine entamée, Nadjet, représentante venue de Laâyoune, a témoigné que «les deux Français (Toutain et sa femme) nous connaissent parfaitement et sont connus même par nos bambins». C'est dire que même de l'autre côté de la Méditerranée, le peuple du Sahara occidental compte des amis et des organismes non gouvernementaux fort déterminés à le soutenir dans sa longue marche pour le recouvrement de son autodétermination.
Cette ex-prisonnière politique, qui nous a accueillis dans sa tente, entourée d'une foule de femmes habitant les camps du réfugiés, profite, à l'occasion, dit-elle, de ce congrès, de rencontrer des membres de sa famille, qu'elle n'a jamais rencontrés. «Après avoir été chassée de nos terres, ma famille s'est fractionnée. Une partie de mes oncles et tantes se sont réfugiés en Algérie et en Mauritanie.
Certains d'entre eux ont été piégés dans les territoires occupés par le Maroc, mais en revanche, d'autres se sont installés en Espagne ou dans les pays d'Amérique latine», raconte-t-elle, les larmes aux yeux.
Les longs chemins de la liberté
Et d'ajouter avec désolation: «On est le seul peuple en Afrique encore en pleine résistance contre la colonisation.» Drapée dans sa tenue traditionnelle, aux couleurs arc-en-ciel, elle renchérit: «C'est dur de vivre séparée des siens par ´´un mur de la honte´´, long de 2400 km et dépendre des aides humanitaires.» Peu bavarde, Nadjet ayant perdu toute sa jeunesse en prison, considérée même morte par ses parents, nous a fait savoir avec conviction: «Aucun Sahraoui ne souhaite la reprise de la violence, mais personne ne l'exclut, si les voies pacifiques de négociations qui ont été choisies ne conduisent pas rapidement le peuple sahraoui sur les chemins de la liberté et de l'indépendance.» Lui emboîtant le pas, Salha Boutiguiza, une jeune et splendide étudiante, issue du désert et parfumée des vents de l'Atlantique, le visage souriant, la jeune femme est d'une beauté ensorceleuse. C'est ce genre de vénusté qui naît de la résistance et de l'orgueil. Yeux en amande soulignés de khoul, nez de félin et lèvres roulées, sur une peau douce et soyeuse aux couleurs chocolat, la femme sahraouie est la rose du désert. C'est dire que quand la beauté naît de la rudesse, elle ne peut que subjuguer. Salha, née en 1984 compte déjà 2 arrestations allant de 6 mois à une année. Elle a été violentée, maltraitée et torturée rien que pour, dit-elle, avoir rendu visite à Aminatou Haïder chez elle. Accroupie sur un tapis rouge, derrière un foyer de braises et un plateau à thé, la jeune femme sahraouie prépare, avec des gestes lents et précis, le breuvage presque sacré. «J'ai été enlevée à ma sortie de la maison de Aminatou Haider. On m'a bandé les yeux et jetée dans un véhicule jusqu'à mon réveil dans un commissariat, avant d'être transférée dans la ´´prison Lakehak´´ à Laâyoune. Là, j'ai subi toutes sortes de tortures. Injures, fouet...», révèle la pauvre femme d'une voix douce, alors que son regard s'immerge dans l'infini. Assises face à nous, quatre ou cinq femmes sahraouies, enveloppées dans leur voile, serrées les unes contre les autres, comme en témoignage de leur solidarité féminine, racontent leur combat.
L'ombre d'Aminatou Haïder
L'une d'entre elles, c'est Lachegar Deguedja, ancienne prisonnière politique et membre de l'Organisation sahraouie des territoires occupés oeuvrant pour l'autodétermination du peuple sahraoui, a précisé, quant à elle: «Dans les territoires occupés, les femmes sahraouies se retrouvent encore coincées entre le marteau du colonialisme marocain et l'enclume de l'indifférence des Nations unies et le bâton de l'occupation marocaine». Lachegar Deguedja, enfermée dans les plus dures geôles marocaines entre 1980 et 1991, a été enlevée de chez elle devant son mari. Elle a été accusée de haute trahison par les autorités marocaines. Elle a été accusée de militer au sein de l'Union des femmes sahraouies activant sous les directives du Front Polisario. Comme toutes les femmes sahraouies enlevées, elle a subi les pires tortures dont elle garde encore un souvenir vivace. «Nous étions 28 femmes enlevées par les vigiles marocaines et arrêtées jusqu'au cessez-le-feu. Deux parmi nous ont trouvé la mort en prison à la suite des tortures subies», dit-elle, tout en lâchant un long soupir, avant de dire: «Je revois encore leur visage et j'entends encore leurs cris résonner dans mes oreilles.» C'est terrible et affreux, soutient-elle, ce que nous avons vécu en prison. Alors que de son côté, Ali Salim Tamek, qui est à la tête du groupe des femmes congressistes des territoires occupés, a estimé que ce que les autorités marocaines ont fait subir aux Sahraouis dans les territoires occupés est condamnable par toutes les lois, qu'elles soient humaines ou divines. Ali Salem Tamek est un militant sahraoui des droits de l'homme des territoires occupés et membre du Collectif des défenseurs des droits des l'hommes sahraouis (Co de sa), présidé par Aminatou Haider. Il a été à plusieurs reprises détenu dans les geôles marocaines depuis 1993 pour avoir tenté de rejoindre les rangs du Front populaire de libération de la Seguia El Hamra et Rio de Oro (Polisario), ainsi que pour ses activités de défense des droits sahraouis. Il a observé plus d'une quinzaine de grèves de la faim pour protester contre les conditions de sa détention.
Apostrophé au sujet de la décision américaine qui met en avant le préalable du respect des droits de l'homme dans les territoires sahraouis contre toute aide financière militaire au Maroc, il fera savoir que «cette décision est salutaire. Néanmoins, relève-t-il, elle représente le résultat de la lutte quotidienne des Sahraouis, qui, sans armes et sans défense, ont défié les vigiles de l'entreprise coloniale et terroriste marocaine».
Et d'ajouter enfin avec fermeté: «Ce n'est pas une fleur que viennent de nous faire les Américains, mais il s'agit d'une victoire arrachée par une lutte pacifique et d'énormes sacrifices des Sahraouis dans les villes occupées, le sud du Maroc et les campus universitaires».
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