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mardi 27 décembre 2011

Au cœur du Haut Atlas 38.000 ruraux enclavés à -15 °C

Par Abdelaziz GHOUIBI, leconomist,27/12/2011

«Donnez-nous du bois, on s’occupe du pain»

5 douars de la tribu Aït Abdi et 2 de celle de Aït Hdiddou isolés pendant 20 jours.
Analphabétisme, exode rural, pauvreté absolue, le lot d’une population vieillissante.
Au cœur du Haut Atlas «Donnez-nous du bois, on s’occupe du pain»

La réputation d’Imilchil dépasse les frontières grâce à l’organisation annuelle du festival des fiançailles. Seulement la région vit un calvaire à chaque saison froide qui s’étale sur six à sept mois. Viennent après les pluies diluviennes qui charrient les maigres cultures.
A 13 heures 30, le mercure affichait 4 degrés centigrades. Le village d’Imilchil grouillait déjà ce vendredi 9 décembre la veille du souk hebdomadaire qui se tient chaque samedi. Les montagnards des douars environnants affluent avant même le lever du jour. Car ici «la circulation» s’arrête avant la prière d’Al Asr soit 15 heures. A cette heure la vie s’arrête ou presque. Personne ne peut rester dehors. Le froid glacial et les sentiers sinueux des reliefs trop escarpés empêchent en effet tout mouvement dès lors que les lueurs du soleil commencent à perdre de leur intensité. 

D’ailleurs, ce vendredi beaucoup de montagnards n’ont pu quitter leurs douars encerclés par la neige depuis le 21 novembre. C’est le cas de la tribu Aït Abdi dont cinq bourgades étaient encore enclavées. Au total, 2.000 personnes subsistaient avec les maigres provisions larguées par un hélicoptère de la Gendarmerie royale : 5 litres d’huile végétale, 5 kilos de fayots et autant de lentilles et de pois chiche. Les habitants ont eu aussi droit à des couvertures à raison d’une unité par foyer. «C’est plus que dérisoire quand on sait que chaque ménage abrite 8 personnes en moyenne», s’indigne Moha. Mais les autorités ont précipitamment redistribué ce qui restait des donations de la Fondation Mohammed V lorsqu’ils ont eu vent de la présence des journalistes dans la région.
Outre l’isolement et la marginalisation, les contrées du Haut Atlas oriental font également l’objet de divers crimes économiques, selon les acteurs associatifs locaux. «Corruption, détournements de fonds publics et népotisme constituent le lot quotidien des 38.000 âmes qui vivent dans des conditions extrêmes. Le chiffre qui ressort du recensement de 2004 est toutefois contesté par le réseau des Associations de développement des oasis du sud-est d’Errachidia. Selon les représentants de la société civile, «plusieurs douars difficiles d’accès ou trop excentrés n’ont pas été visités par les enquêteurs». Dans ces zones montagneuses l’unité de mesure de la distance n’est pas le kilométrage mais les heures de marche à pieds ou à dos de mulet.
Sur les 130 km qui séparent la ville de Ksiba, sise à 31 km de Béni Mellal, et le village d’Imilchil, il a fallu trois heures et 30 minutes de route. Bien évidemment à bord d’un véhicule tout-terrain. Depuis cette ville, située en contre-bas du piémont qui sépare la plaine de Béni Mellal des hauteurs d’Azilal, la montée commence avec des suites de virages aussi aigus que tortueux jonchant les flancs de la montagne. La «route» datant de l’époque coloniale est totalement délabrée sur les deux côtés et n’offre le passage qu’à un seul véhicule de dimension moyenne. Si par hasard deux véhicules se rencontrent, ils doivent absolument s’arrêter pour se frayer chacun de son côté le passage salutaire. Parfois l’un d’entre eux doit reculer. Mais il faut dire que cette route est peu desservie par les gros véhicules. Du moins les bus. Pas de ligne régulière de transport de voyageurs entre Ksiba et Imilchil. Même le transport mixte (marchandises et voyageurs) utilisant des fourgons y est aussi peu actif à partir d’Aghbala, ce village situé à 50 km de Ksiba. D’ici, les voyageurs partent vers les villes et contrées mieux accueillantes en termes de climats et de relief : Midelt, Errich et Errachidya. A partir de ce village, c’est le silence montagnard. Pas de véhicules dans le sens contraire, pas de gendarme non plus. Seuls les bergers surveillent leurs petits troupeaux d’ovins et de caprins.
C’est là où commence le versant nord de la partie centrale du Haut Atlas (du Toubkal jusqu’à Imilchil). Le climat y est humide avec des précipitations espacées de type orageux. Des conditions idéales pour la forêt (pins, chênes verts, thuyas, etc.) mais celle-ci décline dès lors qu’on aborde le Haut Atlas oriental. Montagnes dégarnies sous le triple effet du froid de la surexploitation (chauffage et construction) et surpâturage.
Néanmoins le paysage est féerique avec tous ces sommets peints en blanc. Mais que de misères se cachent derrière. «Les manifestions de mars 2003 ont amené, quatre années plus tard, l’électrification et l’adduction d’eau potable au centre d’Imlchil ainsi qu’à quelques douars proches. Les plus excentrés ont eu droit à l’énergie solaire», rappelle Lahcen Ouabbou, acteur associatif et employé de la commune du village. Mais dans l’ensemble l’énergie électrique, quelle qu’en soit la source, vaut de l’or ici. Et les fluctuations permanentes de tension ainsi que le faible ensoleillement en rendent éphémère l’utilisation. Il est fréquent de dormir sans électricité. C’est que le Haut Atlas oriental s’étend sur une région de plateaux très isolés, habités depuis des siècles par des berbères d’Aït Hdiddou, Aït Marghad, Aït Abdi et les Ihansallen. Ces derniers sont des semi-nomades dont la seule activité est l’élevage d’ovins et caprins. Les autres sont éparpillés sur une vingtaine de bourgades dans un rayon de 50 kilomètres. C’est dire la difficulté d’en relier les populations par des infrastructures routières des temps modernes.

«Petit Tibet»
Le cercle d’Imilchil, dont la réputation dépasse les frontières, compte 3 caïdats (Imilchil, Outerbat et Amouggar) et cinq communes rurales : Imil, Bouzemou, Outerbat, Amouggar et Aït Yahia. Mais les douars qui ont souffert le plus cette année du froid et de l’enclavement sont Akanouanine et Imintakkat de la tribu d’Aït Hdiddou ainsi que les cinq bourgades de la tribu Aït Abdi.
Dans ce petit «Tibet», les gens restent très attachés à leurs coutumes ancestrales, chaque tribu se différencie des autres par les couleurs de la handira, un manteau en laine rayée que portent les femmes. Avec, toutefois, une forte dose commune: la grande générosité.
Akanouanine, cette bourgade située à une quinzaine de kilomètres d’Imilchil qui a été isolée pendant 20 jours, on n’hésite pas à partager le peu de nourriture disponible. «Durant cette période, les 16 foyers qu’elle compte ont dû venir à bout des maigres réserves acquises avant la chute des neiges: farine, huile et sucre», confie Ikssassen Bassou, chef du douar et «juge» coutumier. Les mieux lotis disposent d’un peu de beurre ranci, une matière grasse qui permet d’atténuer la rigueur du froid. Car, ici, le bois de chauffage coûte son pesant d’or: la nourriture. Le quintal du bois coûte en effet 120 DH. Mais peu de foyers l’utilisent. Non seulement pour son prix exorbitant mais pour sa rareté, faute de moyens de transport. «Le gaz n’arrive que lorsque la nature et l’état des routes le permettent», renchérit Ouaddou Zaïd Ouhaddou, conseiller communal. Il en est de même de l’aliment de bétail et autres denrées subventionnées. Du coup, les habitants se rabattent sur «Izri», une plante épineuse qu’ils utilisent pour se chauffer.

L’infirmier et les sages- femmes déclarent forfait
Bassou, ce septuagénaire qui officie en tant que juge selon les coutumes et les usages, encore ancrés dans la région, doit parcourir 15 kilomètres via des sentiers muletiers et pistes crevassées pour arbitrer les conflits à Imilchil. «Dans cette région, le mariage des mineurs prédomine à raison de 50%», révèle Ouabbou. Les divorces battent aussi des records. Souvent pour des motifs liés au pouvoir d’achat. Or, pour rejoindre le tribunal le plus proche il faut parcourir entre 150 et 250 kilomètres dans des conditions très difficiles. «Le juge désigné depuis 2003, suite aux manifestations qu’a connues le village d’Imilchil, ne veut pas regagner son poste même si le logement qu’il a exigé a été construit et se trouve actuellement à l’abandon», signale Ouhaddou. Le médecin nommé dans la même tourmente a aussi élu domicile à Midelt. Ses passages rarissimes à Imilchil où existe le seul dispensaire de la région, se comptent sur les doigts de la main.
Ce vendredi 9 décembre, le petit dispensaire pompeusement décrit comme «hôpital local» était carrément fermé alors que les aiguilles de la montre n’avaient pas encore dépassé les 14 heures 30 minutes.
Pourtant, le principe veut qu’il fonctionne selon l’horaire continu avec une permanence pour les urgences. Qu’à cela ne tienne. L’infirmier major, son suppléant et les deux sages-femmes qui se relaient tous les 15 jours ont tous déclaré forfait. Un jeune couple avec un bébé souffrant d’une piqûre d’insecte ont dû chercher le grand chef jusque chez lui mais en vain. Cependant, la file d’attente s’est grossie d’autres patients. Juste en face, une grande foule était massée devant le seul bureau de poste du village. Là, le motif était l’encaissement de l’aide à la scolarité des enfants dans le cadre du fameux programme Tissir. Cette aide de 60 dirhams par enfant en classe primaire et 100 dirhams pour les élèves du secondaire devait pourtant être servie la veille de la rentrée scolaire. Mais ici, le temps semble s’être arrêté. Un seul employé essayait tant bien que mal de servir la masse des parents d’élèves dont les allers-retours entre leur douar et le village d’Imilchil durent depuis le mois de septembre. Et dans quelles conditions de circulation! Le calvaire est devenu coutumier.
La saison froide commence généralement vers le mois d’octobre pour s’achever courant mai, voire un peu plus tard. «Suivront alors des pluies de type orageux qui se révèlent souvent dévastatrices», rappelle Ouhaddou. Car, les débordements de la rivière Assif Melloul sont fréquentes. Ce qui se traduit par la perte des cultures qui y sont pratiquées autour de ses bordures.
Au total, la superficie agricole utile ne dépasse pas 400 ha. La structure foncière des exploitations est de l’ordre de 0,5 ha. On y pratique des céréales (blé dur et orge) et la pomme de terre et le pommier comme arboriculture. Mais l’élevage demeure l’activité principale et la plus rémunératrice surtout pour les populations semi-nomades. Cette catégorie est considérée comme étant la plus riche après les employés de l’Etat et les transporteurs. Chaque année, ils transhument vers les plaines de Khénifra. «Là, les pâturages sont loués pour une période de 5 à 6 mois», signale Omar, un éleveur de 150 têtes d’ovins. Au bas mot il faut débourser 20.000 DH. Trop cher! Pas du tout, réplique l’éleveur. Dans la région d’Imilchil, le coût de l’aliment de bétail est deux fois plus cher: 350 DH/tête et pour la même période. Sans compter l’impact du froid sur les performances des animaux. Mais pour quel revenu? A peine 8.000 à 10.000 DH/an pour une famille d’une dizaine de personnes. «Faites le calcul et comparez avec le Smig ou le Smag», ironise Omar. Voilà donc le profil du mieux loti de la région. Qui de surcroît est obligé d’acheminer ses bêtes par camion jusqu’aux pâturages des zones les plus clémentes pour faire le retour à pieds. Et le calvaire est répétitif chaque année. Il n’épargne ni nomades ni sédentaires.
C’est à se demander pourquoi ces hommes et femmes persistent à survivre dans des conditions aussi dures que précaires. Surtout les plus âgés parmi eux. Car les jeunes ont déserté le territoire depuis belle lurette. Aujourd’hui, la population de ce Haut Atlas oriental est pratiquement désagrégée. Dans les artères du centre Imilchil on ne rencontre que les enfants et les vieillards. L’exode rural est très fort. A telle enseigne que le conseiller communal ainsi que d’autres acteurs associatifs estiment que les lieux seront entièrement désertés d’ici 2020. Ceux approchés par L’Economiste se déclarent tous partants pour vivre dans d’autres contrées plus clémentes. Surtout, que la majorité des habitants s’avère incapable de s’administrer ni de se gérer. Le taux d’analphabétisme culmine à 90% parmi les hommes et frise les 100% parmi les femmes. «Comment en dégager des élus à même de constituer une force de propositions pour un développement participatif»? s’interroge Lahcen Ouabbou. Or, jusqu’à présent, l’expérience a montré que la plupart des conseils élus ne sont en fait que des caisses de résonance de la tutelle. Mais l’attachement à la terre natale reste très fort. Pour un berbère, vivre hors de sa contrée c’est renier sa propre mère.

Géographie

LE village d’Imilchil est situé à 2. 200 m d’altitude au cœur du Haut Atlas oriental dans le territoire des Aït Hdiddou. Le nouveau découpage régional l’a rattaché à la province de Midelt. La région se présente sous forme d’une chaîne de montagnes, située à une altitude moyenne de 2.300 mètres, dans la partie septentrionale du Haut Atlas. Elle regroupe vingt et un hameaux aux maisons construites en pisé dans un rayon de 50 kilomètres environ. Le tout autour de la rivière, Assif Melloul (rivière blanche) ou de son affluent, Assif N’Tilmi.
Par temps clément, la région est relativement accessible suite à la construction de routes goudronnées en direction de Khénifra ou de Beni Mellal par Aghbala au nord, ou en direction d’Errachidia par Errich à l’est. Seulement, avant d’arriver à cette intersection (Aghbala), il faut 2 heures et 30 mn pour parcourir les 80 kilomètres, qui séparent ce point du village d’Imilchil. La voie de liaison avec Tinghir et donc avec le versant sud des montagnes du Haut Atlas, est en cours de construction. Celle en direction de Midelt par Tilmi est encore une piste.

Légende

LE festival des fiançailles d’Imilchil est né d’une légende : Aït Ibrahim et Aït Yaaza étaient les deux fractions de la tribu des Aït Hdiddou, en guerre l’une contre l’autre. Mais une jeune fille Aït Yaaza aimait Aït Ibrahim. Roméo et Juliette au Haut Atlas, ils connurent la même destinée tragique, de mourir sans pouvoir s’aimer ni se marier. Ils pleurèrent leur affliction, et toutes les larmes de leur corps, qui donnèrent naissance aux lacs jumeaux Isli (le fiancé) et Tislit (la fiancée). Ils moururent noyés dans leurs propres larmes. Leurs parents, repentis, décidèrent qu’une fois par an, jeunes gens et jeunes filles pourraient se choisir librement, et que ceux qui décidaient au moussem de se marier ne rencontreraient aucune opposition à leur union.
Aujourd’hui, la légende se perpétue grâce à ce festival appelé aussi le moussem d’Agdoug qui signifie fête et rassemblement. Pendant 3 jours se succèdent tous les événements de la vie familiale, circoncision des enfants, fiançailles et mariages.
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Il a aussi été couplé avec un festival de musique traditionnel berbère ou l’on peut admirer les chants et danses de cette population semi-nomade du Haut Atlas.

http://www.leconomiste.com/article/889821-au-coeur-du-haut-atlasbr-donnez-nous-du-bois-s-occupe-du-pain
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Video :  dans un village de montagne...

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