Par Ibtissame Betty Lachgar, 28/12/2011
En terre d’Islam, la laïcité est un travail de longue haleine. Avec vous, comme chef de gouvernement, elle en devient Chemin de croix, si vous me passez l’expression. En fait, le sécularisme semble, à vous, ce qu’une paire de chaussures, en guise de cadeau, est à un cul-de-jatte : pure provocation
Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, disait de votre parti, au lendemain des élections, qu’il est celui « qui a des positions modérées. On ne peut partir du principe que tout parti qui se réfère à l’islam doit être stigmatisé». Intérêts économiques obligent, il en a oublié les propos discriminatoires, réactionnaires et misérablement démagogiques que vous avez tenus, au cours de votre campagne électorale.
Exit les Droits de l’Homme, les lumières et les leçons de démocratie dont se fendait, il n’y a pas si longtemps, le même Juppé sur le dossier libyen, syrien, égyptien. Sans doute attend-il que les morts se comptent par centaines, les blessés et les prisonniers par milliers pour s’offusquer
Discours discriminatoire disais-je, et mentalité rétrograde, compléterais-je, à vous entendre lier le sort de mon pays à la Commanderie des Croyants, ce pitoyable concept d’un autre temps imaginé après l’indépendance par des esprits machiavéliques pour vendre au peuple le pack Islam-Monarchie, En constitutionnalisant le concept jusqu’à la sacralité celui-ci devient La Vérité et quiconque s’en écarte et refuse le monarque, descendant du prophète, refuse l’Islam et la loi divine !
Tout est bon pour défendre cette monarchie qui vous le rend bien mal, à vous infliger des camouflets en série, depuis votre nomination. Mais vous n’en avez cure, tant vous paraissez, subitement avoir retrouvé et le sourire et la sérénité.
« Plus près de toi, Mon Seigneur ! » me semble-t-il vous entendre jubiler
A défendre, bec et ongles, l’objet de votre fascination, vous semblez, en bon encenseur, avoir perdu toute faculté de discernement, lorsque vous dites :
«Si la Constitution est contre les fondements de ce pays, à savoir la profondeur de notre appartenance arabe, notre islamité et la pureté de notre identité, nous voterons contre ».
D’autres avant vous se sont essayés à ces discours racistes et malodorants sur la pureté de l’identité. Ils comptaient vivre mille ans, ils n’en ont pas vécu vingt.
Votre séquence apologie des douze siècles de monarchie n’aura pas, non plus, échappé aux descendants des premiers habitants de notre pays, les Amazighs, que vous semblez comme dans un mauvais tour de magie avoir escamotés et dont vous moquez l’alphabet disant qu’il ressemble au chinois.
Émanant de vous, l’insulte se fait compliment !
Je ne vous remercierais jamais assez de cet hommage, qui, pour involontaire qu’il est, n’en est pas moins une forme de reconnaissance et de réhabilitation d’une langue dont les lettres, les caractères et les idéogrammes, en rappellent une autre, parlée par près d’un milliard et demi d’habitants.
Dans le même chapitre de l’opprobre jeté sur votre prochain, j’ai retrouvé cette perle datant du mois de juin 2011 qui en dit long sur la haine et la violence verbale qui vous habitent:
« Les laïcs veulent répandre le vice parmi ceux qui ont la foi, ils veulent que dorénavant les citoyens puissent proclamer le pêché. Que ceux qui veulent manger pendant le Ramadan le fassent chez eux ! Leur a-t-on jamais reproché pareille chose ? Mais ces gens-là veulent faire des pique-niques pour manger pendant le Ramadan, pourquoi ? Pour que vos enfants les voient et osent violer les interdits de Dieu. Et ils veulent, probablement, du moins d’après ce que nous avons entendu, proclamer la liberté sexuelle. Ils veulent que la déviation sexuelle (l’homosexualité), qui certes a toujours existé, devienne répandue et qu’elle se proclame publiquement. Cela, le PJD le refuse. Que celui qui porte en lui de telles immondices se cache, car s’il nous montre sa face, nous lui appliquerons les châtiments de Dieu ».
Simple rappel, l’article 222 du Code pénal qui prévoit la condamnation à la prison ferme de toute personne notoirement connue pour son appartenance à l’islam et qui rompt ostensiblement le jeûne en public est un héritage colonial mis en place par le maréchal Lyautey.
Je ne vous remercierais jamais assez de conforter, ainsi, la thèse des démocrates marocains quand ils dressent le constat que le colonialisme français n’a jamais quitté le pays, ayant trouvé son prolongement dans le régime marocain.
Monsieur Le Chef du Gouvernement,
En laïque convaincue, je considère que l’Etat et la religion sont deux choses totalement incompatibles. Séparer l’une de l’autre préserve les libertés et les convictions de tous. La religion relève de la sphère privée et le fait qu’elle reste à la maison et à la mosquée ne constitue pas une menace pour l’Islam.
A contrario, qu’elle s’invite dans le champ politique et la vie publique, constitue la pire menace pour les libertés individuelles. Il n’y a qu’à vous regarder hurler et inciter vos semblables à la haine en son nom pour me convaincre du danger réel qui menace notre société :
Le festival L’Boulvard en 2007 ? Débauche et souillure !
Elton John au Festival Mawazine 2010 ? Incitation à l’homosexualité !
Shakira au Festival Mawazine 2011 ? Favorise les mœurs légères !
What else ?
Najib Boulif, l’un de vôtres faisant référence à cette pièce théâtrale donnée à Marrakech : « Nous n’acceptons pas que Latifa Ahrar se déshabille sur scène au nom de l’art ».
Que de paradoxes pour un parti qui aura choisi comme emblème une lampe qui éclaire les sentiers de l’obscurantisme plutôt que ceux de la lumière
Séquence humour, tout de même, après ce tombereau de reproches, ce moment de grande légèreté, qui n’en demeure pas moins consternant autant que pitoyable, lorsque vous évoquez les attitudes de certaines femmes qui, prétendez-vous, vous admirent, exhibant un peu trop leur gratitude à votre goût.
Même pas digne de figurer dans un catalogue de propos phallocrates, mais tout juste dans le vocabulaire d’une cour de récréation d’une école enfantine, où le chérubin esseulé, se tient à l’affût du moindre signe d’estime de la maîtresse de classe.
Discours empreint de phallocratie archaïque, tout de même !
Narcissisme hypertrophié, mâtiné d’opportunisme et de vénalité politiques oblige, vous vous êtes cru obligé de lancer cet appel aux relents messianiques sur les ondes d’une radio française après vous être, des mois durant, fourvoyé corps et âme dans des déclarations où la haine de la différence le disputaient à la menace de vos contemporains :
« Cessez d’écouter ceux qui agitent l’épouvantail. Vous allez être agréablement surpris. N’ayez pas peur !».
Quand toutes vos turpitudes vous auront rattrapées, comme elles l’ont fait avec ceux qui, avant vous, se sont faits les complices de la dictature, vous vous souviendrez, sans doute alors, de la chute de l’histoire en forme de soupir tout aussi messianique :
« Mon dieu, pardonnez-moi, je ne savais pas ce que je faisais ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire