Lettre à Monsieur Abdelilah Benkirane
Chef du gouvernement marocain
Par Abdelhak SERHANE (Ecrivain et universitaire, 18/12/2011
«Tout le monde prie dans ce pays parce que plus personne ne croit plus en rien (…). Ce pays est dépecé comme un fruit de razzia. Il entrera dans l’Histoire quand le dernier des membres de cette tribu d’«historiques» sera mort.» Mohamed Kacimi
Monsieur,
L’alternance consensuelle de 1998 entre Hassan II et les socialistes avait suscité en nous, les victimes des années de plomb, l’immense espoir, naïf certes, que l’USFP changerait les choses en faveur des faibles. Longtemps dans l’opposition pure et dure, seul parti n’ayant jamais été aux commandes depuis la dissolution du gouvernement Abdallah Ibrahim, nous croyions en eux, en leurs positions critiques vis-à-vis des gouvernements et des partis du Palais. Ils sont arrivés au pouvoir, sont restés le temps de faire fortune, renier leur passé, discréditer leur idéal socialiste. D’opposant historique, Youssoufi s’est converti en valet du makhzen. Devenu royaliste dans le tard, l’ancien opposant a fini par être jeté comme un vieux linge, laissant derrière lui les relents d’une amère déception populaire et d’un échec politique cuisant. Le pacte qu’il a passé avec Hassan II a entravé sans doute sa démarche et restreint sa marge de manœuvre.
Votre parti a gagné les élections législatives du 25 novembre grâce à la peur du printemps arabe et au mouvement du 20 février que vous n’avez jamais soutenu mais que vous avez manipulé en l’incitant à ne pas lâcher la pression. La volonté des urnes ? S’il aspire au changement, le peuple a été mesuré dans son vote. Personne n’est dupe. Les résultats des législatives, comme ceux du référendum, ne sont ni significatifs ni indiscutables. L’Intérieur est habitué à faire monter la mayonnaise au profit du Palais pour désamorcer la colère populaire et étouffer le mouvement du 20 février. N’ayant pas une majorité confortable, vous êtes déjà pénalisés, fragilisés, car contraint à des alliances contre nature. Tous les partis politiques ont vendu leur âme au diable depuis longtemps. Une chose est sûre. Le PJD ne représente pas le peuple dans sa majorité. Sur 21 millions de Marocains en âge de voter, seulement 8 sont inscrits sur les listes électorales. 6 millions sur 8 ont voté dont 1,5 millions de votes blancs. 13,5 millions de citoyens ont boycotté les élections comme ils ont boycotté le référendum malgré ce qui a été annoncé par le ministre de l’intérieur. Votre victoire, si elle évidente, n’est pas pour autant absolue.
Depuis quelque temps, votre discours et votre attitude ont changé. Vous n’avez pas soutenu les révoltes du peuple dont la destinée est entre vos mains aujourd’hui. Vous n’avez pas cessé de faire l’éloge de la nouvelle constitution alors qu’elle ne règle pas les problèmes de fond du Maroc. A chaque occasion, vous avez adressé vos remerciements au roi pour son discours du 9 mars alors que sa démarche n’a fait que repousser l’échéance du rendez-vous. Vous avez imploré Dieu pour que le malheur qui a frappé les autres chefs d’Etat arabes l’épargne, défendant sa sacralité et la légitimité de sa commanderie des croyants... Vous avez même justifié l’absolutisme d’Hassan II. Il y a ce que veut le roi et ce que revendique le peuple. Vous avez fait le choix du roi et vous êtes arrivé au pouvoir. L’Histoire va-t-elle récidiver avec les pratiques détestables du makhzen ? J’espère me tromper. Après l’annonce des résultats des élections, vous avez fait allégeance au roi, à Midelt, là où un maire PJD a été arrêté pour corruption. Et, comme Youssoufi, vous avez prêté sermon devant lui avant même l’investiture de votre gouvernement. Quel a été le pacte passé entre vous ? Youssoufi n’a jamais révélé le secret. «Le chat et le rat, dit le proverbe hébreu, font la paix sur une carcasse.» On ne reste pas vertueux dans un système où un homme monopolise tous les pouvoirs. Vous savez que le discours du 9 mars, la révision light de la Constitution, les élections législatives anticipées et la victoire de votre parti ne peuvent, à eux seuls, assurer la stabilité du pays. De Tanger à Laayoun en passant par Séfrou et Sidi Ifni, la voix du peuple marocain n’a cessé de gronder avant même le printemps arabe. Imprévisible, la réaction de la rue, car le ras-le-bol est général.
Le mépris du Palais pour la culture est effarant. Apres une presque illettrée à la tête du ministère de la culture, un pseudo philosophe est arrivé pour dégouter les âmes charitables de ce cirque qu’il a géré comme un héritage de famille. Avant de dégager, il vous a adressé une lettre pour vous mettre en garde contre les intellectuels et les journalistes « dont la relation, exécrable avec les gouvernements antérieurs, a empiré avec le gouvernement sortant. Des ministres ont été l’objet de toutes sortes d’injures et de calomnies de leur part, offensant leur amour propre et portant atteinte à leur vie privée ». Il a mille fois raison. Nous n’avons jamais toléré les opportunistes, ni les narcissiques instables, les suffisants et les lâches. Et nous les avons toujours combattus. Un Himmich, qui n’a fait la promotion que de SA propre inculture en tant que ministre, nous donne de l’urticaire. Plusieurs fois, des voix furieuses se sont élevées pour qu’il « dégage ». Lui qui a manqué de discernement, vous exhorte à « avoir du courage et d’oser régler les dysfonctionnements du système. » Pauvre époque ! Je ne ferai pas comme cet individu. Je ne vous demanderai pas de lutter contre les désordres du l’Etat ; corruption endémique, injustice, inégalités sociales, misère, passe-droits, mépris, chômage, dépenses publiques, détournement des richesses du pays, abus de pouvoir, manque de liberté, prohibition… A coups de répression, nous avons intégré ces pratiques honteuses du système dans notre vie quotidienne au point qu’elles font partie intégrante de notre identité et de notre inconscient collectif. Je sais par expérience que rien ne changera fondamentalement dans la vie des sans défense. Depuis cinquante ans, le mal a pris racines dans notre société par les méfaits du makhzen.
Mais je vous demanderai une chose : sauver le système éducatif. Les nantis, notables et intouchables, ont le collège royal, l’Université Al Akhawayn, l’université internationale, la mission française, l’école américaine, les écoles privées et tant de possibilités à l’étranger. Nos enfants n’ont que l’école publique, devenue une fabrique de générations sacrifiées de chômeurs et d’incultes. De grâce, que le PJD n’enterre pas l’école des pauvres que la politique démagogique de Hizb l’Istiqlal a anéantie à coups d’arabisation et d’islamisation abusifs alors que sa progéniture fréquente les établissements non marocains qui leur ouvrent les portes de l’emploi et de l’avenir. Si vous sauvez l’école vous sauverez le Maroc. Le citoyen cultivé, éduqué, bien formé est un homme libre. Il peut avoir la vertu de refuser corruption, injustice, inégalités, atteintes aux droits de l’homme... Le défi est énorme, certes. Mais la solution existe. Demandez-vous pourquoi l’instruction publique aujourd’hui est un échec total, une catastrophe nationale, alors que celle de notre génération permettait aux enfants des classes défavorisées l’accès aux grandes écoles et aux plus hautes fonctions… En ruinant l’école, l’Istiqlal a fait place nette pour sa descendance dans la haute administration, les affaires, la politique, la finance, les entreprises… convertissant nos enfants, au mieux en lecteurs de coran dans les cimetières et pendant les veillées funéraires, au pire en terroristes ou en kamikazes. Le salut de la nation réside dans le salut de tous ses enfants à qui l’école peut rendre l’intégrité qui leur fait défaut, la fierté, le bonheur d’être enfin des citoyens et non de misérables diplômés-chômeurs qui s’immolent par le feu devant le Parlement et les ministères. C’est mon cri pour vous. Sauvez l’école publique et vous nous sauverez tous ! C’est notre seule richesse et notre unique chance !
Le Himmich a raison de vous mettre en garde contre nous. Nous ne laisserons pas ce pays aller à la dérive. N’oubliez pas une chose. Avec le printemps arabe, la peur est tombée et le souvenir d’Omar Benjelloun est vivant en nous. Nos slogans est Nos banderoles sont prêts depuis le 20 février. Nous descendrons tous dans la rue pour défendre nos droits et notre liberté. La rue marocaine qui n’adhère à aucun parti, à aucun mouvement religieux, sera désormais votre seule et véritable opposition. Alors, quand nous descendrons en masse dans la rue pour crier notre désarroi, enverrez-vous les services de sécurité pour nous tabasser et nous tuer ? Et quand nous publierons une caricature ou un article contre le roi ou son entourage, allez-vous nous arrêter, nous juger et nous écrouer ? Les regards ne se sont pas détournés du printemps arabe. Ben Ali est en fuite. Moubarak est jugé dans son pays sur une civière. Kadhafi est tué comme un sale rat par les rebelles. La rue au Yémen revendique la tête d’Ali Abdallah Saleh pour ses crimes. Saïf al Islam est fait prisonnier. Bacha el-Asad finira comme Kadhafi. Gbagbo est jugé par la Cour internationale de justice de La-Hay. Les familles de ces charognards sont décimées ou en fuite. A qui le tour demain ? La liste est longue et la révolution n’épargnera aucun chef d’Etat, qu’il soit d’Orient ou d’Occident. Et le ras-le-bol du peuple marocain aura raison des iniques et des cyniques. Mohammed Khair-Eddine écrivait :
« Toutes les nomenclatures tombent
Au pied d’un mur incandescent
Ces sacs de son qui te condamnaient, peuple,
Ne furent jamais que ton sinistre bâillement »
Je vous souhaite, Monsieur le Chef de gouvernement, de réussir là où tous les autres ont échoué. Je suis marocain comme vous, musulman comme vous. Mais ma marocanité est désintéressée et mon islam n’est pas politique. C’est un islam de tolérance, d’ouverture, de liberté, de respect de la différence. Défendons ensemble ces valeurs, elles relèvent d’un humanisme universel.
Ne faites pas du Maroc un second Iran détestable et détesté !
انني احييي شجاعتك لكني ارى ان ما طلبته ليس رهينا بالتعليم فقط ولكن هناك 3 ركائز التعليم والصحة والعدل
RépondreSupprimerبدون الثلالة لايستقر اي نضام ربنا يوفقك يا اخي