Par APSO, 8/11/2011
Il y a un an, le Maroc attaque Gdem Izik, et c'est la guerre civile à El Aaiun
Le 8 novembre 2010, au Sahara Occidental, les autorités marocaines lancent l'assaut contre un village de 7000 tentes dans lesquelles dorment des civils sahraouis, femmes enfants et vieillards.
20 000, 30 000 Sahraouis s'étaient rassemblés dans le désert à proximité d'El Aaiun pour protester contre la confiscation de tous leurs droits dans leur pays occupé, dont celui primordial à l'autodétermination.
L'attaque a été d'une violence sans commune mesure, doublée d'un blocus sur la ville empêchant les familles sahraouies de venir secourir les leurs. Les colons marocains ont surenchéri à la violence, comme dans le plus mauvais des scenarii d'une occupation armée. Les scènes de guerre civile qui ont suivi ont laissé des traces encore visibles aujourd'hui sur la ville occupée.
Lors de l'attaque du campement par toutes les forces répressives marocaines associées, ce sont les postes de surveillance qui ont été d'abord neutralisés.
Parmi les jeunes hommes qui composaient les équipes de protection, Lfrir Kaziza, 21 ans, explique aujourd'hui comment la violence s'est déchaînée sur lui et ses compagnons, le 8 novembre avant l'aube et les jours suivants.
Les blessures et tortures que lui ont infligé les militaires marocains, restées sans réels soins depuis un an, le font souffrir constamment surtout après qu’il ait été récemment roué de coups par la police. Mais aller à l'hôpital pour les Sahraouis, c'est risquer d'y être refusé ou enlevé, torturé par les forces répressives marocaines.
Si c'est aujourd'hui le bras en écharpe de Lfrir qui attire l'attention, la douleur qui lui fait perdre connaissance quand il s'agit de changer ses bandages, l'insensibilité dans sa main qui semble morte, on remarque aussi ce qu'il tait. Une boiterie dont il dit finalement que c'est une autre trace de violence de la police marocaine, dans une bataille précédente pour l'indépendance de son pays.
Il est amaigri, fragile et comme aiguisé, mais la conscience de son identité sahraouie, l'aspiration à la liberté de son peuple, pour laquelle il agit depuis son adolescence ont lentement forgé une force qui dépasse sa souffrance, et qui le pousse à agir, et à oser parler aussi.
Témoignage de Lfkrir KAZIZA
Je suis né le 15 octobre 1990 à El Aaiun, au Sahara Occidental occupé, j’ai 21 ans.
J’habite Avenue Smara, quartier Qouts, El Aaiun
En 2005, j’ai participé à l’intifada. J’étais dans les manifestations au collège et toutes les manifestations dans la rue. Je n’étais pas connu de la police marocaine qui ne m’a jamais attrapé.
En 2008, tous les Sahraouis ont commencé à parler de la question sahraouie : des violences et de la revendication pour l’autodétermination.
J’étais en 4ème dans un collège public, et j’ai été exclu de l’école.
Je participais puis j’organisais les manifestations dans mon école depuis 2005. On appelle ça les manifestations scolaires.
Je faisais aussi les drapeaux sahraouis sur les murs de la ville, mais personne ne savait que c’était moi.
La police venait régulièrement me chercher à l’école parce que je participais aux manifestations dans les rues et je me sauvais à chaque fois.
Une nuit, je suis entré dans l’école pour descendre le drapeau marocain et le remplacer par le drapeau Sahraoui. Le directeur m’a vu.
Ensuite il m’a convoqué pour me dire que j’étais exclu. J’ai demandé un document pour changer d’école, ce que le directeur m’a remis. Mais aucun directeur des autres écoles n’a accepté de me prendre.
Depuis que je suis jeune, je suis musicien, je joue de la guitare et je chante dans un groupe avec des amis.
Après 2005, nous avons écrit et composé des chansons pour la résistance et l’intifada.
Nous avons enregistré les chansons et filmé. Nous les avons mises sur youtube, et les Sahraouis se les transmettaient par leurs téléphones. Beaucoup de Sahraouis connaissaient nos chansons qui parlaient de la révolution, du pays, de chaque actualité, des événements de la lutte, comme Aminatou Haidar, les violences sur les militants…
En octobre 2010, je suis allé avec les premiers qui ont planté la tente à Gdem Izik. Nous avons planté la tente avec des amis.
Quand les familles ont commencé à être nombreuses, j’ai appelé ma mère qui est venue aussi avec la famille.
Je participais à l’organisation de notre campement et ma fonction était la surveillance du barrage des Marocains. Je faisais aussi les patrouilles qui surveillaient les alentours du camp pour la sécurité des femmes, des enfants et des vieux dans le camp.
La nuit d’avant l’attaque du campement par les forces de sécurité marocaines, j’étais de garde pour la sécurité d’une partie du campement.
Les Marocains nous ont attaqués en premier avant d’entrer dans le campement.
Nous étions 4 jeunes Sahraouis, les soldats marocains sont arrivés dans deux camionnettes pour nous frapper et nous emmener dans les voitures.
A ce moment-là, j’ai été frappé violemment à l’épaule, avec la crosse d’une Kalachnikov.
La voiture dans laquelle j’étais et beaucoup d’autres sont allées dans le désert. Nous avons su après qu’il y avait une immense manifestation dans El Aaiun.
Dans le désert, nous sommes restés jusqu’à 16h.
Les soldats m’ont accroché les mains et bandé les yeux, et dans la voiture, ils m’ont frappé avec leurs mains, leurs pieds, les matraques.
Il y avait 8 soldats pour me battre, j’étais tout seul, et je ne savais pas ce qui se passait pour mes amis. J’ai su après que c’était la même chose pour eux.
Ils m’ont battu jusqu’à ce que je perde connaissance. Je me suis réveillé dans le bâtiment dans lequel je suis resté au secret pendant 20 jours. Ma famille pensait que j’étais mort.
Ce bâtiment, je l’ai reconnu en sortant, il est avenue de Smara, proche de la caserne militaire, et c’est un orphelinat qui n’a jamais été en service. Un bâtiment vide d’habitude mais nous savons que c’est un endroit où les militaires de renfort sont hébergés et cachés quand il y a la guerre ici (les manifestations).
Dans le bâtiment où j’étais retenu, j’étais dans un groupe de 40 personnes. Nous étions dans une petite pièce. Chaque jour à partir de 6h du matin, les soldats venaient nous chercher par 5 pour nous emmener et nous torturer pendant 1 à 2 h.
Tous les jours j’ai été torturé d’une manière différente. J’étais blessé à l’épaule droite, je n’avais pas été soigné et j’avais très mal.
J’ai été brûlé avec les cigarettes et suspendu et battu dans la position que nous appelons le poulet en méchoui.
Un jour, on m’a conduit dans une pièce dans laquelle des cordes descendaient du plafond.
Les soldats m’ont demandé à quelle épaule j’étais blessé et j’ai répondu en pensant que c’est par l’autre qu’ils voulaient me suspendre.
Pendant 7 heures, ils m’ont suspendu par le bras de mon épaule blessée et ils m’ont frappé jusqu’à ce qu’elle casse. Les os de ma clavicule sont sortis de ma peau et l’os de mon bras s’est détaché de mon épaule.
J’ai été libéré au bout de 20 jours, le 28 novembre 2010. Ils m’ont conduit jusque ma maison, les yeux bandés. Après la libération d’un premier groupe 15 jours après Gdem Izik, ma famille avait appris que j’étais dans ce lieu.
Je suis allé tout de suite à l’hôpital, mais il était plein de militaires qui m’ont empêché d’entrer.
Je suis retourné à l’hôpital deux semaines après parce que mon bras était tout bleu et très gonflé.
Le médecin a dit qu’il ne pouvait rien faire d’autre que me couper le bras, et qu’il fallait que j’aille chercher une autre solution ailleurs.
Je suis retourné plusieurs fois à l’hôpital et on m’a toujours dit la même chose.
J’ai décidé de rester à la maison et d’utiliser les médicaments sahraouis : dsem et el hemera. C’est comme une crème qu’on fait avec des herbes et de la terre, et qu’on m’a mis tous les jours sur mon bras et mon épaule avant de bander.
Les hématomes et les gonflements sont petit à petit partis. Mais l’épaule était toujours cassée.
J’ai peur d’aller à l’hôpital parce que qu’un ami y a été attaqué par la police qui a essayé de le tuer. D’autres amis y ont été frappés et torturés par la police marocaine.
C’est un ami infirmier qui m’a soigné. Mon bras est bandé. Mon épaule et mon bras sont immobilisés depuis un an. Le bandage sert à me protéger du froid.
Petit à petit j’ai perdu la sensibilité dans mon avant-bras et dans ma main droite. Maintenant je ne peux plus rien attraper ni rien faire avec ma main droite. La douleur est toujours très forte dans mon épaule.
Il y a une semaine, la police m’a attrapé et m’a frappé à nouveau sur tout le corps.
Nous avons fait une manifestation dans la cour de notre école avec tous les étudiants pour fêter le retour du prisonnier politique El louali Amaidan. Au début il n’y avait que nous puis tous les Sahraouis des environs sont arrivés.
J’ai fait monter le drapeau sahraoui et nous avons crié les slogans pour l’indépendance.
La police est arrivée et tout le monde a essayé de fuir. Les élèves sont entrés dans les classes et ceux qui n’étaient pas étudiants sont sortis en courant de l’école.
La police m’a attrapé et conduit au grand commissariat. Je suis resté là 1 jour et demi. Les policiers m’ont frappé avec la nouvelle arme qu’ils utilisent. Une grosse matraque en bois.
Ils m’ont interrogé pour savoir pourquoi nous étions calmes depuis un an et que maintenant nous faisons des manifestations.
La douleur à mon épaule est devenue plus forte après les coups. C’est difficile de changer mon bandage. Il m’arrive de perdre connaissance dans la journée.
Je n’ai pas le droit d’étudier, ni de travailler. Le Maroc occupe mon pays par la force. Plutôt lutter et risquer la mort plutôt que de ne rien faire.
Recueilli par APSO Sahara, le 21 octobre 2010, à El Aaiun.
Pour tout complément d’information
Lfkrir Kaziza : 00212 6 23 43 75 09
Sliman Kaziza 00212 6 70 52 91 16
http://ap-so.blogspot.com/
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