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mardi 13 septembre 2011

Comment le 11 Septembre a changé le Maroc

par Ali Amar, Slate, 9/9/2011
Rabat a toujours été proche des États-Unis. L’après-11 Septembre en a fait un allié dans la lutte contre la terreur et un modèle dans un monde arabe en effervescence. A quel prix?
Mohammed VI et George W. Bush, le 23 septembre 2033 à New York
REUTERS/Larry Downing


«Soyez certain, Monsieur le Président, que le Maroc fera tout pour soutenir les États-Unis dans leur guerre contre la terreur».

Le 23 avril 2002, dans le bureau ovale, ces quelques mots de Mohammed VI, quelque peu intimidé par la forêt de micros que lui tend la presse, provoquent un large sourire de George W. Bush. Il sait que ce jeune roi arabe qui lui rend visite se pliera aux volontés de l’Amérique vengeresse, encore groggy des attaques de Ben Laden sur le World Trade Center et le Pentagone.

Un allié contre la terreur

A la veille de l’investiture de Barack Obama à la présidence américaine, Thomas Riley, l’ambassadeur des États-Unis à Rabat confirmait que l’engagement pris par le successeur de Hassan II serait toujours honoré:
«Dans le combat contre l’extrémisme et le terrorisme, le Maroc est un modèle dans la région».
Ces échanges d’amabilité résument à eux seuls les relations entre la première puissance du monde et son allié nord-africain durant cette décennie 11 Septembre. Un allié qui, en contrepartie de son alignement, compte sur le soutien de Washington pour assurer la pérennité de son régime et convaincre la communauté internationale du bien-fondé de l’annexion du Sahara occidental au royaume depuis 1975, handicap majeur de sa diplomatie, mais surtout fermement propagandiste de l’unité nationale autour du trône.
Sous-traitance de la torture
21 juillet 2002. Un jet d’affaires Gulfstream V immatriculé N379P venant d’Islamabad au Pakistan atterrit sur la piste de l’aéroport de Rabat-Salé. A son bord, Mohamed Binyam Al Habashi, citoyen britannique d’origine éthiopienne, yeux bandés et pieds entravés, n’a aucune idée d’où il se trouve, ni de ce qu’il va endurer dans les cachots de la prison verte de Témara, siège de la DST marocaine et centre de détention secret. Il y passera dix-huit mois de calvaire avant d’être transféré comme des centaines d’autres à Guantanamo.

Binyam est, pour l’administration Bush, un «combattant illégal d’al-Qaida», qui a eu le malheur de tomber entre les mains de la CIA et du MI5 britannique qui l’expédient au Maroc, un des pays qui a accepté de participer au programme «restitutions extraordinaires» pour les interrogatoires musclés de djihadistes capturés en Afghanistan. Un programme révélé dès 2002 par le Washington Post et qui incluait la sous-traitance de la torture à des pays peu regardants en matière de droits de l’homme. A Témara, durant sa longue captivité, rapporte son avocat Stafford Smith, patron de l’ONG Reprieve, Binyam y a subi les pires supplices.

Des «pratiques médiévales»: scarifications au scalpel sur les parties génitales, privation prolongée de sommeil, températures excessives, administrations forcées de drogues et musique rock à plein volume, écouteurs plaqués sur les oreilles jour et nuit. Binyam a décrit divers centres secrets où il a été détenu au Maroc. Entre juillet 2002 et janvier 2004, il a été torturé à maintes reprises par une équipe d’interrogateurs américains et britanniques ainsi que d’autres agents, pour la plupart marocains. Son cas a été reconnu par un tribunal de Londres, mais jamais au Maroc…
Rabat face au «péril vert»
Selon le rapport de la commission du Parlement européen chargée d’enquêter sur les vols secrets de la CIA en Europe, les avions qui ont transporté des supposés terroristes vers des «sites noirs de torture» ont effectué 40 escales au Maroc entre 2001 et 2005.

Rabat s’était rallié sans conditions à la «guerre contre le terrorisme» menée par George W. Bush et son administration, le régime de Mohammed VI se sentant tout aussi menacé par le «péril vert». Les attentats de Casablanca en 2003 et 2007 et plus récemment celui du café Argana de Marrakech abondent dans ce sens, mais leurs circonstances demeurent toujours opaques.

Avec l'implication de Rabat dans des activités illégales commandées par les stratèges de Washington, la question du fonctionnement de ses services de sécurité revêt une importance particulière. Le cas de Binyam n’est pas le seul répertorié: de nombreux témoignages de «déportés de la torture» au Maroc existent, mais aussi de salafistes locaux. Ces affaires prouvent que le régime marocain ne s'est ménagé aucune peine pour éradiquer la menace islamiste, mais également pour plaire et se plier aux exigences de l’Amérique.

Une vassalisation contrainte
Deux raisons expliquent cette vassalisation. La géostratégie d'abord. Le Maroc est un petit pays dans le concert des nations. Embarrasser les États-Unis peut lui être dommageable. A l’époque, Paul Wolfowitz, un des faucons néoconservateurs, avait été placé à la tête de la Banque mondiale par Bush. Le Maroc ne pouvait alors se mettre à dos l’institution qui l’accompagne dans ses réformes économiques.

Et puis, il y a encore et toujours l'affaire du Sahara occidental. Avec une Algérie qui soutient les irrédentistes du Front Polisario, forte de ses pétrodollars et donc plus solvable que le Maroc —acheteuse massive d'armes de surcroît et tout aussi prête à aider Washington dans sa croisade contre Ben Laden —, la marge de manœuvre était vraiment faible.

Le risque politique pris par Mohammed VI vis-à-vis de son opinion publique n’est pas négligeable. Depuis une certaine révolution iranienne, tout le monde sait ce qu'il en coûte à une monarchie absolue en terre d’Islam de trop se prosterner devant les Américains. La deuxième raison est liée aux tensions que subit l'appareil sécuritaire dans sa relation avec le jeune roi. Il n'est un secret pour personne que la rhétorique des droits de l’homme si chère au roi a toujours rendu nerveuse sa garde prétorienne.

Les piliers militaires de Hassan II, sur lesquels s'appuie toujours Mohammed VI, ne se sentent plus en totale impunité. La volonté ostentatoire du général Hamidou Laânigri, alors patron de l’antiterrorisme marocain, à collaborer étroitement avec les Américains, faisait dire qu'il se cherchait une assurance-vie. En exécutant les basses besognes de l'administration Bush, il était ce que Roosevelt disait de Somoza: «C'est un salopard, mais c'est notre salopard».
La nouvelle Constitution qui sanctuarise l’appareil sécuritaire (forces de police, renseignement et armée) a sans aucun doute apaisé les craintes des caciques du régime. D’ailleurs, depuis les premiers attentats de 2003, vécus dans le royaume comme un «mini 11 Septembre», le Maroc a pris un tournant sécuritaire qui en plus de vouloir endiguer l’islamisme rampant a surtout fortement réduit les maigres espaces de liberté, au point que la monarchie est sur cet aspect et sur celui de l’affairisme accusée de «bénalisation», du nom de l’ex-dirigeant tunisien.
La rue marocaine «anti-impérialiste»
Les candidats au protectorat de la Maison-Blanche oublient cependant que les administrations américaines changent et que les crimes restent. La loi internationale permet l'arrestation de chefs d'État et d'anciens généraux comme de vulgaires petits délinquants. Le risque pour le roi et ses hauts gradés a toujours été quasi nul, mais il existe dans l’absolu lorsque l’on constate les actions de justice engagées contre les dictateurs et les criminels de guerre.

Sur cette question, le régime a toujours su réprimer brutalement sans dépasser les limites de l’acceptable aux yeux d’un Occident indulgent et bienveillant. Mohammed VI n’est certes pas Kadhafi ou Assad…

A la possibilité d'une pression internationale s'ajoute celle de la rue marocaine, qui exècre voir ses sécuritaires jouer les valets de service d'une Amérique honnie. Elle aussi commence à demander des comptes.

Les plus grandes manifestations qu’a connues le pays depuis des années, rassemblant des millions de personnes battant le pavé des artères des grandes villes ont souvent été en réaction à la politique américaine au Proche-Orient, jugée impérialiste, arrogante et systématiquement pro-israélienne. Mais depuis les révolutions arabes, c’est le régime lui-même qui est pris à parti, notamment par le Mouvement du 20 février.

Des aides militaires substantielles
Dans les années 70, quand Hassan II a voulu remettre sur pied une armée décapitée par deux tentatives de coup d'État et se lancer dans l'aventure du Sahara, il a demandé le soutien de son vieil ami Vernon Walters, ex-patron de la CIA, pour convaincre le Congrès américain de lui permettre de moderniser son arsenal militaire. Le lobbying marocain à Washington n'avait besoin que d'un coup de fil à la Maison-Blanche, la logique de la Guerre froide s'occupait du reste.

Depuis, la donne géostratégique a beaucoup changé et Mohammed VI n'a plus les coudées franches avec son chaperon de toujours, même s’il reçoit autant d’aides substantielles. Au crépuscule de son long règne, Hassan II avait fini par assimiler que l'idée d'un Maroc tête de pont du «monde libre» au Maghreb avait, depuis la chute du mur de Berlin, fait son temps. Les rapports d’ONG internationales comme Amnesty et Human Rights Watch comparant le roi du Maroc aux plus infréquentables dictateurs de la planète n’étaient plus inaudibles aux oreilles de l’Occident, et des États-Unis en particulier.

Un «pays modèle», à quel prix?
Mais la nouvelle doctrine américaine, née sur les décombres du 11 Septembre, a donné davantage d'opportunités aux lobbyistes pour promouvoir un Maroc « modèle» dans un monde arabe en effervescence. Jusqu’au «printemps arabe», les régimes autoritaires de la région ont largement profité chacun à sa manière de l’épouvantail islamiste, notamment Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte.

En décembre 2004, le Forum pour l’Avenir se tenait à Rabat. Il était l’émanation de la politique du «Grand Moyen-Orient» des conseillers de Bush, qui voulaient instaurer un calendrier de réformes politiques à pas forcés de Rabat à Islamabad. Ce sera un échec cuisant: des poids lourds comme l’Égypte rejetteront l’initiative et ce n’est pas un hasard si Obama a décidé de relancer ce processus à sa manière à partir du Caire.

Le Maroc accepte, pour sa part, tout de son allié, comme par exemple un accord de libre-échange qui menace pourtant des pans entiers de son économie. Les Américains, plus intrusifs que jamais demandent d’intervenir directement dans le champ religieux, orientant la réforme de l’islam officiel et s’impliquant dans la confection des programmes scolaires. Ils obtiennent des fréquences FM pour Radio Sawa, qui en plus de l’antenne de Voice of America est censée contrecarrer l’influence des chaînes satellitaires panarabes comme Al Jazeera. Les installations près de Tanger du système d’écoute mondial Echelon sont renforcées.

Depuis 1972, les bases américaines, celle aéronavale de Kénitra en particulier avaient été fermées. Cependant, l’imposant camp retranché de Ben Guerir, près de Marrakech, a toujours accueilli des GI’s, des pilotes de l’US Air Force et une piste aérienne stratégique pour les navettes spatiales de la Nasa.

Mais après le 11 Septembre, les États-Unis ont eu l’ambition de reprendre pied sur le continent pour abriter leur commandement africain (Africom) installé temporairement en Allemagne. Les risques de voir s’installer dans le ventre mou du Sahel des cellules d’al-Qaida chassées d’Afghanistan et l’allégeance de groupuscules salafistes en Algérie à Ben Laden les ont convaincus. Le Maroc, encore une fois, est tout désigné comme candidat à un retour de l’US Army au Maghreb.

Ce que Washington veut, Dieu veut
Rien ne peut être refusé aux États-Unis contre leur indéfectible soutien au rythme des réformes voulues par le Palais et face à l’Algérie et au Polisario sur la question du Sahara Occidental. La politique marocaine va alors se draper de tout ce qui peut paraître positif aux yeux d'une Amérique à l'idéologie conquérante: réformettes institutionnelles, négociations directes avec les séparatistes sur le sol américain, plan d’autonomie des provinces du Sud, régionalisation, etc.

Malgré des rapports américains confidentiels qui prophétisent une déferlante islamiste ou la révélation par WikiLeaks de câbles diplomatiques peu avenants pour Mohammed VI, Rabat a toujours su se ménager les appuis de son suzerain impérial et profiter des aides économiques et militaires récompensant ses plus fidèles alliés de la région. Et ce n’est pas l’enlisement perceptible des transitions politiques en Tunisie, en Égypte, en Libye ou demain en Syrie qui changeront la donne.

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