Plaidoyer
Par Fouad Abdelmoumni, 22/1/2011La question majeure qui taraude les élites, la rue et les dirigeants marocains depuis la fuite de Ben Ali est : « Ce qui s’est passé en Tunisie est-il envisageable au Maroc ? ». Avec espoir ou effroi, ils pèsent les ressemblances et les différences pour, espérons-le, ajuster leurs cadres de prédiction et leurs options d’action stratégique.
Nous sommes comme eux !
Notre culture, nos institutions et nos élites, comme les leurs, ont été dévoyées, et notre système politico-économique a été verrouillé et mis au service d’une infime oligarchie dominante.
Nous sommes aussi peu confiants dans nos capacités de changement lourd et aussi pacifistes qu’ils l’ont été, mais nous sommes autant qu’eux en demande insistante et persévérante de reconnaissance de notre dignité et de respect de nos droits et libertés.
Nous sommes comme eux en héritage : nous avons réussi notre mutation démographique mais nous ne sommes toujours pas sortis de la culture patriarcale. Nous sommes amazighs, arabes, musulmans, juifs, africains et méditerranéens, et nous n’avons pas encore digéré notre richesse et notre unicité. Nous avons subi des vagues de colonisations et retenu beaucoup de beaux butins de guerre, dont l’héritage de Voltaire et de Rousseau ne sont pas des moindres.
Nous sommes comme eux en économie : nous n’avons pas de pétrole, pas de richesses naturelles majeures. Nous avons adopté le choix d’intégration à l’Occident, en comptant beaucoup sur le tourisme et les financements étrangers. Nous subissons une prédation systématisée des richesses nationales et une éviction de la compétition au profit des intérêts liés à la monarchie ou prétendus tels.
Nous sommes comme eux en dévoiement des institutions : nous prétendons à l’Etat de droit, au libéralisme et à la démocratie, et nous avons un régime politique ultra personnalisé. Nous avons grandi à l’ombre du Père protecteur, dominateur et castrateur, que nous avons remis en cause par notre discours sur la démocratie, sans le déboulonner dans nos têtes, nos institutions et nos pratiques. Notre justice est aussi influençable et inefficace que la leur, et notre Parlement aussi fantoche.
Nous sommes comme eux en politique : nos élites ont aussi été avilies par un pouvoir cynique qui a fait le vide des alternatives, pour prétendre que ne reste que lui ou le chaos. Comme chez eux, la censure s’exerce chez nous contre les prétendus hérétiques, nihilistes, envieux et autres ennemis de la patrie. Nous avons peur de diverger ou simplement de nous exprimer, nos journaux indépendants disparaissent ou vivent sous la menace, et nos capitaines d’industrie ont été matés par l’instrumentalisation de la justice et de l’administration fiscale.
Nous sommes comme eux en idéologie : notre jeunesse est aussi désabusée après avoir tâté les modes « panarabistes », nationalistes, socialistes et islamistes. Comme eux, on nous a souvent servi le cliché de « Regardez autour de vous : vous ne pouvez prétendre à beaucoup mieux lorsque vous appartenez au même monde que la Lybie et l’Arabie Saoudite ». Comme eux, nous avons subi un matraquage médiatique systématique, un discours phénoménal d’autosatisfaction et de congratulation des dirigeants pour tout et n’importe quoi. Comme pour eux, le formatage des esprits a mis a contribution les média publics et les copains et les coquins, nationaux et étrangers.
Nous sommes comme eux en tensions et agitations sociales : nous avons aussi eu nos émeutes de la faim, et nos mouvements de masse ont subi une répression féroce. Comme eux, le flambeau de nos résistances a été porté par les partis majeurs, puis par les groupes universitaires, puis par les militants associatifs, dans les capitales et puis par les populations des laissés pour compte aux marges de la nation. Nous avons aussi eu, dans tous les milieux, nos veilleurs de la dignité, que ce soit parmi les opposants de toujours, la jeune garde intellectuelle, les militants des associations et des quartiers, les journalistes indépendants, les activistes des droits humains, etc.
Nous sommes différents mais….
Évidemment, nous ne sommes pas une copie conforme de la Tunisie, sans que cela remette en cause l’adhésion au même modèle. Nous n’avons pas aussi sérieusement qu’eux avancé dans l’alphabétisation et le statut de la femme, mais nous baignons tout autant notre jeunesse dans le chômage et la frustration. Chez nous, l’absolutisme est inscrit dans la Constitution et les pratiques, mais nos marges de libertés sont nettement plus réelles que les leurs depuis au moins le milieu des années 90. Nous sommes moins qu’eux un État policier primaire, mais nos élites civiles et militaires sont perçues comme étant plus corrompues et plus impliquées dans les crimes d’Etat accumulés au fil de l’histoire.
Nous sommes plus qu’eux en situation de tension avec notre voisinage, et nous diluons beaucoup plus qu’eux notre potentiel dans le conflit du Sahara, l’effort militaire, la corruption massive, les dépenses de prestige et les confrontations plus ou moins feutrées avec l’Algérie et l’Espagne. Plus qu’eux, nous continuons de souffrir de la pauvreté, de la marginalisation, du chômage et de la fracture sociale, mais sur la dernière décennie, nous n’avons pas une impression de régression aussi sévère que la leur…
Alors…
Constatons que la prétention d’absence d’alternative à l’Etat intégriste autre que la dictature de Ben Ali s’est avérée une grosse et veule manipulation qui ne visait qu’à servir les intérêts des potentats locaux et leurs affidés occidentaux.
Gageons que les barons des « pays amis » et des instances internationales auront dorénavant plus de retenue dans leurs déclarations à l’égard de nos dirigeants et feront preuve de plus de rigueur dans leurs actions.
Espérons que nos intellectuels et politiques s’imposeront plus de dignité, en tirant la leçon de ce qui arrive à nombre de leaders d’opinion tunisiens, qui ont signé il y a quelques jours ou semaines une supplique à Ben Ali pour une nouvelle candidature en 2014. Aujourd’hui, ils allèguent qu’ils y étaient contraints et forcés par la dictature…
Cessons de prétendre que le Maroc est à l’abri des coups de tonnerre de l’histoire et œuvrons à ce que nos décideurs précèdent et évitent la déferlante, en instaurant une monarchie parlementaire dans laquelle l’ensemble des responsables seraient éligibles, responsables et révocables et où chacun des pouvoirs disposerait d’une réelle indépendance.
Poussons pour l’installation d’un véritable État de droit démocratique, moderne, solidaire, porteur de progrès et d’équité, débarrassé des scories moyenâgeuses.
Osons le développement par la levée des hypothèques et du coût prohibitif du Sahara, de la corruption, de la répression, de la manipulation, du militarisme, du non Maghreb...
Et arrêtons de prétendre que l’absolutisme est le seul horizon que le Maroc et l’ensemble du monde arabe puissent espérer.
Les révolutions telles qu’on les aime…
Les révolutions inquiètent par leur coût humain et leurs errements et excès. La tunisienne, sans avoir été une partie de plaisir, demeure une expérience tout à fait séduisante parce qu’elle a eu :
1 - Des gens du peuple pour symboles et pour leaders.
2 - Un souffle long et une détermination inébranlable.
3 - La conviction, la volonté et la rue pour seules armes.
4 - Un prix en vies humaines réduit au minimum.
5 - Une tendance à la normalisation rapide de la vie courante, sans remettre en cause le droit du peuple à s’exprimer et à manifester.
6 - Une contribution majeure des mouvements sociaux, des femmes, des intellectuels et des droits humains.
7 - Un processus de changement profond, graduel, cumulatif et intelligent.
8 - La découverte et le partage de l’information sur les compromissions des uns et les sacrifices des autres.
9 - Une capacité à unifier les révolutionnaires, à rallier les indécis, à neutraliser les pleutres d’hier et à mettre à l’index les criminels.
10 - L’acquis devenu intangible de la totale liberté d’expression pour toutes.
11 - Un cap assumé sur la démocratie (qui inclut les droits des minorités), l’égalité (notamment entre les femmes et les hommes) et les libertés (dont celle de conscience).
12 - Et un triptyque gagnant : Neutraliser les tortionnaires et les prédateurs, récupérer les libertés et biens spoliés, garantir la sécurité et le droit à la parole aux citoyens.
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