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vendredi 15 octobre 2010

Pourquoi le Canada n’a pas eu un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU

par Aziz Enhaili, tolérance, 13/10/2010
La Canada n’a pas réussi ce 12 octobre 2010 à décrocher un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Cet échec est notamment le fruit de choix diplomatiques du gouvernement de Stephen Harper.

Durant les soixante dernières années, le Canada briguait tous les dix ans un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce 12 octobre 2010, le Canada a fait de même. Il pensait (comme dans le passé) avoir, dès le premier tour de l’élection, toutes les chances de son côté. En vain! Ses résultats décevants, notamment au deuxième tour de l’exercice électoral onusien, l’ont amené à jeter l’éponge. Cédant la victoire, par défaut, au (modeste) concurrent portugais. À la satisfaction de plusieurs pays et groupes de pays critiques, du moins insatisfaits, de la politique étrangère d’Ottawa des dernières années.

Une défaite amère pour le gouvernement Harper

Le Conseil de sécurité est l’organe exécutif des Nations unies. Il est responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi que de la déclaration de guerre et du vote de sanctions internationales contre un acteur mis au ban de la «communauté internationale». Tous les États membres de l’ONU sont tenus de se conformer à ses résolutions.

En son sein siègent cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France, des puissances nucléaires disposant du droit de veto) et cinq autres membres non permanents. Tous les deux ans, cinq nouveaux États remplacent cinq sortants, en fonction d’une distribution par bloc géographique. Cette année, deux sièges de la zone géographique «Europe occidentale et autres pays» étaient convoités par l’Allemagne, le Portugal et le Canada. Pour pouvoir succéder à l'Autriche et la Turquie, il fallait récolter deux-tiers des 192 votes, soit 128 suffrages. Si l’Allemagne était chanceuse dès le premier tour (elle a obtenu tout juste les 128 appuis exigés), le Portugal et le Canada ont quant à eux récolté respectivement 122 voix et 114 suffrages au premier tour (contre 113 voix et 78 appuis (!?) au second round). Avec cette déconfiture, Ottawa n’avait plus le choix. Elle a jeté l’éponge, permettant au Portugal de représenter, au côté de l’Allemagne, le bloc occidental.

Cette défaite n’est pas à l’avantage de la réputation du Canada dans le monde. Elle envois le signal de la perte d’influence du pays de Lester B. Pearson au niveau international. Elle plombe également la stratégie du Parti conservateur qui voulait se servir d’une victoire (considérée acquise) au Conseil de sécurité pour marquer des points lors des prochaines élections législatives face à ses adversaires politiques sur la Coline parlementaire.

Raisons de l’échec de la candidature canadienne

La position des représentants des 192 États membres de l’ONU face aux candidats aux sièges non permanents du Conseil de sécurité est notamment influencée par l’attitude du pays candidat vis-à-vis à la fois de l’institution onusienne et des enjeux internationaux qui comptent aux yeux de cette importante organisation internationale. À cela s’ajoute des considérations d’intérêt pour tel État ou groupe d’États. Des enjeux variables, évidemment.

D’abord, l’ONU. À ce forum international, on n’a pas compris (ou apprécié) la décision du Premier ministre canadien de s’absenter l’année dernière de l’Assemblée générale. Alors qu’un nouveau venu (mais déjà une star mondiale) faisait son entrée dans cette enceinte prestigieuse, M. Stephen Harper se trouvait en Ontario, dans un centre d'innovation de… Tim Hortons, à Oakville. Il s’est fait alors représenter par le ministre des Affaires étrangères, M. Lawrence Cannon. Pis, en 2008, cette tâche était revenue à un simple fonctionnaire. Ces gestes ont, à tort ou à raison, laissé l’impression aux autres États membres de l’ONU que le Canada (et non seulement son Premier ministre) est dédaigneux à l’égard des Nations unies.

Ensuite, les enjeux internationaux. Les options privilégiées dans plusieurs dossiers de politique étrangère ont également coûté très cher au Canada. Au niveau de l’image et des alliances. Plombant plusieurs objectifs d’Ottawa.

En bloquant les négociations cruciales sur le climat (dossier prioritaire pour l’ONU) à la Conférence de Copenhague, le Canada a déçu plusieurs de ses alliés, y compris en Europe. Tout comme c’était le cas aussi de nombreux pays insulaires, tes les Caraïbes et les îles du Pacifique, qui seront à terme (si on ne fait rien) les premiers menacés de disparaître le jour où le niveau de mer montera de quelques mètres. La croisade de Stephen Harper au G8 et au G20 contre l’adoption d'une taxe bancaire, chère à plusieurs pays européens (dont la France), a également mécontenté plus d’un.

Le refus d’Ottawa en 2008 d'adopter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones a elle aussi été mal vu par plusieurs pays aux Nations unies. Rappelons que c’est un sujet très sensible dans des régions comme les Amériques, la Russie, le Caucase et l’Afrique du Nord.

Au niveau de l’aide au développement, de nombreux pays africains bénéficiaient d’une importante contribution du Canada. Mais avec l’arrivée de Stephen Harper au pouvoir, le Continent arc-en-ciel était largement mis de côté. Au nom de l’efficacité économique, Ottawa a préféré à la place, aidé l'Amérique latine en général et la Colombie en particulier. En plus de chercher à trouver de nouveaux débouchés pour ses marchandises dans cette partie des Amériques, Ottawa voulait éviter que le vacuum laissé par une administration américaine obnubilée par le Grand Moyen-Orient ne profite aux adversaires du consensus de Washington. Mais en réduisant drastiquement ses programmes d’aide au Continent arc-en-ciel (notamment la zone Afrique de l’Ouest), Ottawa a mécontenté plusieurs de ses pays.

Lors du dernier Sommet du G8 en juin 2010, Stephen Harper s’est retrouvé isolé. Son refus d’inclure dans son initiative le financement de l'avortement légal dans les pays en voie de développement afin d'améliorer la santé des femmes et des enfants, lui a attiré les remontrances, à peine voilées, de la secrétaire d’État américaine, Mme Hillary Clinton. Cette décision a également mécontenté plusieurs autres pays.

Le refus du Canada, pays inventeur des casques bleus, de diriger la mission de paix en République démocratique du Congo a mécontenté le Secrétariat général de l’ONU. Le déplacement à cet effet à Ottawa de Ban Kee-moon n’y a rien changé.

On est donc là très loin de l’époque où le fier pays du regretté Lester B. Pearson avait joué un rôle de leadership dans des dossiers internationaux d’importance, dont la Cour pénale internationale, la Convention internationale des droits des enfants et la Convention sur l'interdiction des mines anti-personnelles.

Le conflit israélo-palestinien est un autre dossier qui a coûté cher à Ottawa. Avant l’arrivée des conservateurs de Stephen Harper au pouvoir la position canadienne avait les apparences de neutralité, même si dans les faits elle avait toujours été plus proche du point de vue israélien que de celui palestinien (ou arabe). La nouveauté avec l’équipe Harper, c’est qu’elle a exprimé lors de différents épisodes dramatiques (la guerre du Liban de 2006, la guerre de Gaza de 2009, etc.) un soutien inconditionnel à la politique d’Israël. Allant jusqu’à se montrer plus pro-israélien que même le protecteur américain de l’État d’Israël. Provoquant la colère du monde musulman. D’ailleurs, la rencontre en janvier 2009 du ministre canadien des Affaires étrangères, M. Cannon, avec une délégation de quinze ambassadeurs arabes accrédités à Ottawa, rencontre qualifiée par eux de «décevante», n’a pas permis de calmer les inquiétudes du monde arabe à l’égard de ce qui est perçu là-bas comme un penchant trop pro-Israël.

Cette déception a visiblement laissé des traces sur les relations canado-islamiques. C’est pourquoi on peut dire sans hésiter que ce penchant «trop pro-israélien» a coûté au Canada les voix de la plupart (sinon de tous les) 57 pays membres de l’Organisation de la conférence islamique, États habitués dans le passé à voter en faveur du Canada et se satisfaisant alors de sa position dite «équilibrée».

Les diplomates des États musulmans accrédités à Ottawa ne sont en revanche nullement dupes. Ils sont conscients de l’influence au moins partielle des jeux politiques intérieurs au pays sur sa politique étrangère. Ils savent d’ores et déjà toute l’énergie mise dans une campagne incessante de charme par les conservateurs de Stephen Harper en vue d’attirer dans leur giron l’appui d’une partie au moins de la communauté canadienne juive, une clientèle traditionnelle pour le Parti libéral du Canada.

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Comme nous venons de le voir, les (ré-)orientations de la politique étrangère canadienne dans plusieurs dossiers cruciaux pour la «communauté internationale» ont mécontenté plusieurs États et groupes d’États. L’effet cumulé de ces frustrations a coûté cette année à Ottawa un siège de membre non permanent au sein du Conseil de sécurité. Au lieu de se contenter d’en jeter l’odieux sur le chef libéral fédéral, Michael Ignatieff, le gouvernement conservateur devrait plutôt se pencher sérieusement sur ce qui s’est passé cette journée du 12 octobre pour jeter une lumière crue sur les véritables raisons de l’échec de sa candidature et tirer les leçons qui s’imposent pour se donner plus de chances la prochaine fois.

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