La posture xénophobe du chef de l’Etat pose un énorme problème dès lors que ce dernier a la responsabilité constitutionnelle de veiller, entre autres, à l’unité de la Nation.
Les récentes déclarations du président de la République à Grenoble ne peuvent être prises à la légère au motif qu’elles auraient été exprimées sous le coup de l’émotion (émeutes dans une cité), ou encore dans un objectif politicien (la reconquête de l’électorat du FN). Que Nicolas Sarkozy tienne des propos du niveau du café du commerce peut faire hausser les épaules. Que ces propos soient l’expression du chef de l’État pose un énorme problème dès lors que ce dernier a la responsabilité constitutionnelle de veiller, entre autres, à l’unité de la Nation.
En annonçant la déchéance de la nationalité française à des citoyens Français d’origine étrangère ayant commis des actes criminels graves, il veut donner satisfaction à ceux des Français qui se laissent convaincre par le discours xénophobe. Il ne dit certes pas la suite que ces mêmes Français entendent pourtant dans le discours présidentiel : la perte de la nationalité veut dire pour eux « se tenir à carreau ou sinon il y aura perte des protections sociales voire expulsion du territoire national ». Il faut d’ailleurs voir la mine déconfite de
Marine Le Pen commentant le discours du président Sarkozy pour voir que ce dernier a fait mouche dans son objectif d’apparaître comme le « défenseur des Français contre ces étrangers coupables qui ne méritent pas d’être Français ».
Ce faisant, M. Sarkozy établit une distinction totalement inacceptable entre citoyens français. Dans sa vision, il y a ceux qui sont de vrais Français (qui ne peuvent donc perdre leur nationalité) et ceux qui ne le sont pas vraiment (à qui l’on peut donc retirer leur nationalité).
Notre République prescrit que tout acte criminel doit valoir sanction à son auteur selon les dispositions du code pénal et de sa procédure et cela, de façon égale et identique pour tous les individus (quelle que soit d’ailleurs la nationalité). Avec le schéma défendu par M. Sarkozy, un même acte criminel sera jugé en intégrant la question des origines de son auteur et entraînera donc des conséquences différentes selon qu’il soit citoyen français d’origine étrangère ou pas. Il y a là une évolution juridique considérable qui soulève de graves questions.
Et il faut immédiatement se poser la question suivante : comment l’administration va-t-elle s’y prendre pour déterminer le niveau de « francité » d’une personne ? Mentionnera-t-on désormais dans un fichier de police à créer la généalogie de chacun, sur 3 ou 4 générations par exemple, pour mesurer ce « taux » de francité ? Et l’autre conséquence majeure de ce type de logique (la nationalité Française selon le mérite) conduit immanquablement à créer progressivement des catégories nouvelles de sous citoyens sur des critères additionnels : la religion, l’orientation sexuelle, l’infirmité mentale, etc… Cela ne vous rappelle rien ? Les Allemands s’en souviennent eux !
Il ne s’agit pas ici de se jouer à se faire peur. La discrimination entre citoyens français a eu des précédents dans notre pays, il n’y a pas si longtemps : aux 19ème et début du 20ème siècle, le code indigène appliqué en Algérie faisait que les habitants berbères ou Arabes se voyaient attribuer le statut de « Français musulman » sur leur carte d’identité leur donnant un statut de sous citoyens quasiment sans droits civiques voire civils. Sous Vichy, le gouvernement avait engagé la création d’un fichier tentant de recenser tous les Français de confession israélite en vue de les écarter des responsabilités, de les spolier et, pour beaucoup, de les éliminer.
Naturellement, on nous objectera que M. Sarkozy ne veut pas de cela. Mais l’impact de son propos est énorme et la récente interview de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, exprimant sans détour que la question de l’immigration était posée ne peut que nous alarmer. Si le pouvoir actuel vérifie le constat fait par le philosophe Alain selon lequel « en tout homme l’action éteint la conscience », il est alors de notre responsabilité de rappeler à ce pouvoir la mise en garde prémonitoire de Nietzsche : « prenons garde qu’à combattre les monstres nous ne devenions nous-mêmes des monstres » !
Ce qui est sous-jacent dans le discours présidentiel, c’est que l’on n’est pas français par le droit du sol seulement : il faut aussi le mériter. Or, pour M. Sarkozy, la question doit être posée pour chaque Français issu de l’immigration.
Mais de quelle immigration parle-t-il ? Il en fixe les contours dans son discours : celle venue depuis 50 ans et qui manifestement est en échec d’intégration. La définition est donc précise : cinquante ans ? cela nous renvoie au lendemain des décolonisations en Afrique et, plus particulièrement, à la dramatique séparation de l’Algérie en échec d’intégration ? cela vise tout fils ou petit-fils d’immigré vivant dans une cité ghetto, citoyen français mais avec une couleur de peau, un faciès, un nom et prénom, un accent, etc…, ayant fréquenté une école publique qui arrive de moins en moins à réduire l’échec scolaire de masse, qui galère de petits boulots en petits boulots, confronté à des discriminations réelles…
Le président de la République justifie son propos stigmatisant les Français d’origine immigrée sur le constat que les statistiques de la délinquance montrent bien que ce sont des individus issus de cette immigration (celle depuis 50 ans et en échec d’intégration) qui en sont les auteurs. Il y aurait donc un lien de cause à effet évident, statistiquement prouvé. La délinquance est le fait de cette population : elle mérite donc un traitement spécial avec notamment, pour commencer, la déchéance de la nationalité.
M. Sarkozy ne se demande pas un instant si l’échec de l’intégration tient au fait que la République qu’il préside n’assume pas son devoir d’intégration de tous ses citoyens par le respect des droits sociaux, culturels et économiques fondamentaux que pourtant elle est censée garantir à tous ? Évidemment, cela porterait un regard cruel sur ses politiques économiques et sociales régressives et foncièrement inégalitaires qui enferment toujours plus les catégories sociales pauvres dans l’impasse et le désespoir.
Non, il est plus commode pour lui de faire droit à un discours de plus en plus répandu selon lequel il y aurait une immigration « inintégrable » par définition. Certains intellectuels, pas tous classés à droite d’ailleurs, assurent depuis quelques années (dans la ligne de la « guerre de civilisations » revendiquée par les néo-conservateurs anglo-saxons) qu’une partie de l’immigration en France n’était pas intégrable à la République et à ses valeurs, notamment en ce qu’elle est composée de musulmans. Ce discours doctement théorisé permet de donner une légitimité intellectuelle (la défense de la démocratie) à une attitude politique soi-disant rationnelle (les statistiques supposées non ethniques). Le tour est joué.
Mais adopter une politique d’État fondée sur de telles prémices, signifie que la France peut rentrer dans un système politique post-démocratique. Je ne dis pas dictatorial dès lors que la forme démocratique resterait respectée. Mais tous les ingrédients de la ségrégation pourront se mettre en place, dans tous les domaines, processus qui serait hautement facilité par les technologies de l’électronique et de la biologie applicables à chacun des citoyens.
Si nous n’y prenons pas garde, la voie tracée par l’idéologie qui semble se concrétiser dans le propos de M. Sarkozy, mènera vers une impasse démocratique majeure qui sera un immense défi lancé à notre République.
Nous ne pouvons nous taire devant une telle perspective. Et les responsables politiques progressistes n’ont aucune raison de se retrancher dans une position de prudence. Car l’essentiel est bien en jeu.
La machine est lancée et il faut la stopper tant qu’il en est temps.
Georges Sali, Président des élus socialistes de Saint-Denis
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