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vendredi 28 mai 2010

Zahra sur la route de la liberté

Par Jules Crétois,envoyé spécial de TelQuel   à Zagora

La jeune militante à sa sortie de prison, le 15 mai. (DR)
Zahra Boudkour, la plus jeune détenue politique du royaume, a retrouvé sa liberté en même temps que huit de ses camarades. TelQuel a suivi la caravane qui l’a conduite de la prison de Ben Guerir à Zagora, sa ville natale. Reportage.
Ben Guerir, sa base militaire, sa prison et sa détenue politique, la plus jeune et certainement la plus célèbre du pays. Ce samedi 15 mai à 8h30 du matin, Zahra Boudkour, 23 ans, sort sous les applaudissements et les chants révolutionnaires après deux années de réclusion. Arrêtée
le 14 mai 2008 à Marrakech, suite à un mouvement de protestation universitaire, Zahra avait longtemps attendu son procès avant d’être définitivement condamnée pour port d’armes, insultes à magistrat et constitution de groupe armé. Un périple judiciaire accompagné d’une grève de la faim, qui avait suscité des inquiétudes jusqu’au sein des organisations internationales de défense des droits de l’homme. Aux quelques militants et à ses amies de la faculté se sont joint la présidente de l’AMDH, Khadija Ryadi, et l’humoriste Bziz pour accueillir la jeune femme qui se jette dès sa sortie dans les bras de sa sœur Ghalia. Devant les portes de la prison, Zahra, émue, prend la parole : “Les mots me manquent… Ils m’ont arrêtée pour mes convictions et ce n’était sûrement pas la dernière fois. La prison ne m’a rien pris. La lutte continue”. Sa santé en a pris un coup mais l’idéal demeure. Quand on l’interroge, Zahra insiste sur le sort de ses camarades : “Je n’étais pas seule. Nous sommes onze à avoir été emprisonnés. C’est important”.
Le groupe se disperse ensuite dans différentes voitures et prend la route du sud, en direction de Zagora. Le convoi fait halte à Marrakech pour récupérer Mohammed Jamili et Alaa Derbali, deux des onze prisonniers du “groupe Boudkour” libérés dans la matinée eux aussi. De jeunes étudiants “basistes” attendent dans des stations services de la ville pour monter en voiture. Pour l’un d’entre eux, il était “hors de question de rater la libération de Zahra qui est un symbole à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech”. C’est là qu’elle avait été arrêtée, avant d’être maltraitée dans le commissariat de la place Jammaâ el Fna : frappée, menacée de viol, laissée nue pendant des heures. Mais aujourd’hui, Zahra est emmenée chez le coiffeur pour préparer un retour en beauté à Zagora. Le long de la route, des membres de Annahj Addimoqrati rejoignent en marche la caravane qui s’étoffe peu à peu. Au coucher du soleil, le convoi s’arrête à Agdz, ville tristement célèbre pour son ancien bagne. Les militants forment une ronde et entonnent durant une petite demi-heure des slogans révolutionnaires dans ce qu’il reste des murs d’enceinte. Dans la voiture, la sœur de Zahra reçoit des appels : à Zagora, le comité d’accueil est prêt.
Une ville accueille sa fille
L’arrivée est fracassante. A quelques kilomètres de l’entrée de Zagora, des dizaines de voitures bondées attendent le convoi. Des femmes se ruent sur la voiture de Zahra pour la saluer. Drapeaux palestiniens et soviétiques au vent forment une haie d’honneur à l’énorme file automobile qui s’enfonce lentement dans la ville, sous un concert de klaxons, avant de s’arrêter devant une estrade montée pour l’occasion. Chauffés par l’immense foule, les intervenants ne mâchent pas leurs mots, certains se laissant aller à des discours d’une durée toute castriste. Tout y passe : des frais de scolarité trop élevés à la violence policière. La foule brandit des portraits de Guevara, Lénine et Abderrazak Al Gadiri, l’étudiant mort en 2008 pendant des manifestations, et laisse exploser sa joie lorsque Zahra monte sur l’estrade, drapeau rouge en main. Scandés par des militants chevronnés, les slogans ne s’arrêtent plus et sont repris par les enfants et les femmes de la ville : “Les années de plomb sont de retour !”, “Nouvelle ère, nouvelles tortures !”. La ville s’est politisée au fil des épisodes du feuilleton Boudkour. Ceux qui l’ont suivi tiennent à rappeler que le dossier n'est pas clos : si neuf des membres du “groupe Boudkour” ont été libérés ce week-end, deux autres, Mourad Chouiri et Khalid Miftah, sont encore retenus dans les prisons d'Essaouira et de Kalaat Sraghna, respectivement pour un et deux ans.
Autour de la place, les policiers se font discrets : seuls quelques officiers veillent de loin, bien que le rassemblement n’ait pas été autorisé. Peu avant minuit, la foule se disperse calmement au son d’un oud. L’effusion fait alors place à des retrouvailles plus intimes : les proches se rassemblent sous une grande tente près de la maison de Moulouda Boudkour, la grande sœur que Zahra, orpheline de mère, appelle “maman”. Tenue régionale traditionnelle de rigueur pour honorer le repas, sous le regard posé du père de famille, Khalifa, ancien résistant et militaire qui apprenait deux ans plus tôt l’arrestation de sa fille sur les ondes de la radio du Front Polisario. Un peu plus loin, les femmes en haïk chantent autour de Zahra qui savoure ses premiers instants en famille. Enfin libre.
Et après ? La faucille et le stylo
En prison, Zahra n’a pas chômé. Elle a rapidement obtenu, après quelques tracas administratifs, le droit de poursuivre ses études de droit français depuis sa cellule. Etudiante “comme les autres” avant son arrestation, elle prépare ses examens de fin mai, à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Mais pas question pour Zahra, qui se dit aujourd’hui renforcée dans ses convictions, de mettre de côté ses activités militantes. Pendant sa détention, malgré le bruit - elle partageait sa cellule avec six autres femmes - Zahra a beaucoup lu. Des romans russes, français et palestiniens, bien sûr, sans oublier quelques ouvrages marxistes

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