Sauvons Kaddour Terhzaz
Sonia Terhzaz est la fille de l’ancien colonel-major Kaddour Terhzaz. La justice militaire marocaine a condamné son père à douze ans de réclusion pour le chef d’accusation d’«atteinte à la sécurité extérieure de l'État» («Maroc: Pourquoi sauver Kaddour Terhzaz»). Cette doctorante en Arts plastiques est la cheville-ouvrière du «comité sauvez Kaddour Terhzaz» qui remue ciel et terre pour qu’enfin son père soit rendu à la liberté et aux siens. Nous l’avons interviewé à ce propos. Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Solidarité Maroc.
Aziz Enhaili: D’entrée de jeu, pouvez-vous nous présenter M. Kaddour Terhzaz? Qui est-il en fait?
Sonia Terhzaz: Mon père, Kaddour Terhzaz, est né le 11 avril 1937 à Tahala au Maroc. Tout a commencé au village berbère de Sméa, à 4 km du centre de Tahala, dans le Moyen Atlas, entre Fez et Taza. Ses parents, agriculteurs et éleveurs, vivaient sous le protectorat. Il vient d'un milieu très modeste et s'est battu durant toute son enfance pour suivre une scolarité normale. Il est ensuite entré au Collège Berbère d’Azrou.
En 1956 (date de l’indépendance du pays), il a décroché un Baccalauréat Math Elem au lycée de Meknès et rejoint l’École de l’Air de Salon de Provence, en France. Il a fait partie de la «promotion Mohamed V», la 1ère promotion des Élèves Officiers de l’Aviation des Forces Armées Royales (FAR). Il a été nommé au poste de Commandant de la première base aérienne de l'Armée de l'Air, à Rabat Salé, à l’âge de 24 ans seulement!
Entre tous, il a été choisi pour porter sur son épaule le cercueil du défunt roi Mohammed V, et, autre insigne honneur, de superviser la garde de son catafalque.
Il a gravi les échelons un à un, à force d'honnêteté, de travail, de sérieux et de persévérance. Son efficacité, dans les différentes missions qui lui ont été attribuées, lui ont valu de recevoir les plus hautes distinctions militaires: la Croix de Guerre de la guerre des sables, la Médaille Militaire du Sahara, La Gran Cruz de Espana, la Légion d'Honneur française et la Legion of Merit américaine.
Il a parfait son instruction militaire dans les plus prestigieuses écoles militaires du monde: dans différentes écoles d’État Major américaines (1967 et 1968) et à l’École de Guerre de Paris (1970-1972).
Commandant en second des FAR de 1972 à 1973, il a été désigné par le roi Hassan II pour diriger l’aviation militaire, aux côtés du général Kabbaj. Après avoir été attaché militaire à Washington, D.C. de 1973 à 1976, il a été ensuite nommé Inspecteur en Second de l’armée de l’Air marocaine, charge qu’il a assumé brillamment de 1977 à 1988.
Sa biographie montre un parcours sans faute. C'était une personnalité militaire reconnue et appréciée de tous, pour ses compétences et sa probité.
Il a été mis à la retraite, à l’âge de 58 ans, c’est-à-dire un âge légal, et vivait une retraite heureuse et sans histoires, à Rabat, avec ma mère.
Et subitement, sans que rien ne le laisse présager, en un sombre jour de novembre 2008, le 9 très exactement, des gendarmes vinrent l’arrêter devant chez lui, alors qu’il sortait pour acheter ses journaux. Ma mère l’a attendu, sans comprendre, toute la journée…
Tout s’est enchaîné très, trop vite: arrestation, interrogatoire succinct au commissariat, incarcération à la prison de Salé, et, 19 jours plus tard seulement (malgré sa demande de repousser la date du procès pour préparer convenablement sa défense), condamnation à 12 ans de prison ferme par le tribunal permanent des Forces Armées Royales!
Le procès s’est déroulé en deux heures, et mon père n’a pas eu le droit de présenter des témoins à décharge!
Pourquoi cette condamnation? Parce qu’il avait, disait-on, «divulgué», dans une lettre adressée en 2005 au roi Mohammed VI, et destinée à attirer son attention sur les conditions de retour faîtes aux anciens pilotes prisonniers du Polisario à Tindouf pendant 25 ans, et rentrés sans honneur, des informations militaires qui portaient soi-disant «atteinte à la sécurité extérieure de l’État». En fait, il s’agissait d’une simple lettre de solidarité, qui sollicitait une amélioration de ces conditions de retour. Mon père n’avait fait que son devoir d’ancien chef hiérarchique solidaire de ses officiers, en répondant à leur demande d’aide: en effet, menée par Ali Najab, une délégation de ces anciens pilotes prisonniers était venue le solliciter, pour qu’il intervienne auprès de Sa Majesté. Ali Najab avait été capturé le 10 septembre 1978 par le Front Polisario, alors qu’il effectuait un vol de reconnaissance à vue, à bord d’un avion F-5, et n’avait été libéré qu’en 2003. Et mon père lui avait remis une copie de cette lettre.
Quel est le fameux «secret» divulgué? C’était l’«absence de protection anti-missiles» des avions de combat pendant le conflit au Sahara, leur sous-équipement. Or «divulguer» une telle information à un pilote qui était lui-même aux commandes de ces avions ne peut évidemment pas être une divulgation de secret! Quant à l’unique destinataire de cette lettre, il n’est autre que Sa Majesté le roi Mohammed VI lui- même: il ne peut bien sûr y avoir aucun secret dans son cas puisque c’est lui qui est à la fois Chef suprême et Chef d’état-major des forces armées! Sachant, en outre, que ce fameux «secret» avait déjà été révélé dans la presse un an avant l’envoi de cette lettre par mon père…
Tout cela ne tient pas debout. C’est complètement kafkaïen. Comme le vieux diction le dit si bien: «Qui veut noyer son chien l’accuse de rage»! Avant même le procès, et dès le lendemain de son arrestation, un communiqué de la MAP, l’agence officielle, l’avait accusé de tous les maux… Qu’y a-t-il derrière cette condamnation?
Aziz Enhaili: Pourquoi se trouve-t-il depuis plusieurs mois, selon vous, en prison?
Sonia Terhzaz: Nous donnons plusieurs interprétations à cette condamnation:
-La question de ces anciens officiers prisonniers du Polisario, les plus anciens prisonniers de guerre au monde, est devenue taboue. La libération de ces héros de la nation, de retour dans la Mère Patrie et mis à la retraite d’office sans décoration aucune, ni médaille, ni ajustement de carrière, a pour eux un goût amer. Mon père a donc pointé du doigt un sujet sensible au Maroc. On parle souvent du conflit avec le Polisario, mais on parle moins de ces prisonniers de guerre marocains qui ont servi le Maroc fidèlement, et qui sont retournés, après 25 ans de détention, dans leur pays, sans les honneurs qu’ils méritaient.
-Il semblerait que mon père soit victime d’un règlement de compte de la part de personnes très influentes dans l’armée. Cette condamnation aberrante (12 ans de prison pour une simple lettre, à l’âge de 72 ans!) ne peut se justifier autrement. Mon père est connu pour son intégrité et sa grande moralité: mais malheureusement, en contrepartie, cela lui a, semble-t-il, attiré d’injustes inimitiés. Sa devise constante au sein de l'armée de l'Air a toujours été: «Servir, et non s’en servir». Il suffit de questionner le monde militaire: chacun saura dire l’honnêteté et la droiture de mon père, et son indéfectible attachement à son pays. C’est pour toutes ces raisons que nous avons un tel soutien.
-Qui aurait pu s’attendre ou même imaginer que mon père, ancien numéro deux de l’armée de l’Air, puisse tomber en disgrâce de la sorte? Cette condamnation ne sert-elle pas à décourager d’éventuelles velléités de rétablissement de vérité, dans l’armée marocaine? Elle se veut de dissuader quiconque oserait s’exprimer sur les affaires militaires du royaume, que ce soit dans la presse ou au travers d’une lettre destinée à Sa Majesté le roi. Mon père, quant à lui, n’a jamais contacté le moindre journaliste. Il n’a jamais enfreint la loi de la «Grande muette». La lettre était uniquement destinée à Sa Majesté le roi, Chef Suprême et Chef d’État Major des Forces Armées Royales, et la copie a été remise à un militaire qui était directement concerné par le contenu de ladite lettre.
Aziz Enhaili: Comment qualifieriez-vous les conditions actuelles de sa détention?
Sonia Terhzaz: Ses conditions de détention sont extrêmement difficiles. Après une année passée dans une cellule classique, il a été subitement placé, sans aucune raison, dans une cellule d’isolement. Depuis le 30 novembre 2009, donc, il a été soumis à diverses pressions psychologiques ainsi qu’à une grande détérioration de ses conditions matérielles: il dort sur une banquette en ciment au ras du sol, dans un semi couloir traversé par les courants d’air. Ses fenêtres sont cassées, et il est sans cesse surveillé, comme le pire des criminels. Les visites hebdomadaires que ma mère a légalement le droit de lui rendre ont été parfois interdites, toujours sans aucune raison, souvent très réduites. Et il vient d’avoir 73 ans! Pourquoi lui faire subir un tel traitement? De plus, ni ses avocats ni le Consul de France à Rabat n’ont l’autorisation de lui rendre visite, contrairement à la lettre de la loi.
Suite à sa mise à l’isolement, Amnesty International a d’ailleurs décidé d’engager une «Action Urgente» compte tenu de l’état préoccupant dans lequel il était maintenu. Elle vient d’envoyer une deuxième «Action Urgente», en voyant que sa situation carcérale n’a pas évolué. Comment peut-on traiter de la sorte une personne de cet âge? Dans certains pays, un homme qui a passé 70 ans ne peut plus faire l’objet de poursuites judiciaires. Que dire alors de cette condamnation?
Aziz Enhaili: À quand remonte votre dernière visite à sa prison? Quelles sont vos craintes à ce propos?
Sonia Terhzaz: Je retourne au Maroc au minimum une fois par mois pour rendre visite à mon père, à la prison de Salé. Je l’ai vu il y a deux semaines. Ma mère le voit chaque jeudi, lorsqu’elle a l’autorisation, en espérant à chaque fois une amélioration de ses conditions de détention. Chaque matin, nous caressons l’espoir que mon père nous sera rendu, et chaque soir, c’est la même cruelle déception. Mais ces vagues d’espoir nous aident à supporter cette situation, cette situation pourtant inacceptable.
Aziz Enhaili: Comment interprétez-vous la nouvelle campagne de titres marocains de presse contre M. Kaddour Terhzaz ?
Sonia Terhzaz: Vous voulez sans doute parler du communiqué du ministre de la Communication. Comment peut-on justifier un tel communiqué? Comment le gouvernement peut il prendre la responsabilité de riposter de la sorte? Le «bon» côté de ce communiqué, si tant est que l’on puisse en trouver un, est que, pour la première fois, nous avons enfin une réponse à nos si nombreuses lettres de demandes d’explication, adressées à différentes personnes du gouvernement. Mais quelle réponse!!! Donnée par l’intermédiaire de la MAP, elle est complètement manipulatrice, ne reposant que sur des contre-vérités et tente de salir mon père. Au début de son communiqué, le gouvernement tient à «rétablir la vérité» concernant certains propos tenus par «certains organes de presse français». Mais ce qu’il occulte délibérément, ce sont les dizaines et les dizaines d’articles sortis dans la presse marocaine. Les propos des journalistes en France ou au Maroc sont tous les mêmes. Ils racontent ce qui s’est réellement passé. Et «cette campagne indigne de dénaturation de la vérité» n’est autre qu’une campagne en vue du rétablissement de la vérité.
Nous n’avons eu d’autre choix que de nous défendre, puisqu’ on nous attaque de la sorte. Jamais mon père n’a voulu porter préjudice à son pays. Bien au contraire! Mais, voila que certains ont décidé de faire croire le contraire. Mon père n’a jamais été un militant ou un opposant! Et pourtant, le voici tombé en disgrâce, sans aucune justification. Une année entière, nous avons attendu, avant de médiatiser notre cause, parce que, dans notre grande naïveté, nous croyions qu’il allait être gracié. Pour nous, ce malentendu ne devait que cesser! Mais, au bout d’un an, las d’attendre, épuisés par tous ces espoirs déçus, nous avons décidé de rompre le silence. Répétons-le haut et fort: loin de nous l’idée de nuire à notre très cher pays! La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la mise en isolement de mon père. Là, nous nous sommes résolus à tirer la sonnette d’alarme.
Deux choix s’offraient alors à nous: le premier (qui aurait été de ne rien faire, d’«accepter» cette condamnation, en espérant la grâce), à attendre humblement, et le second qui aurait privilégié l’action, la réaction même, pour porter l’affaire à la connaissance de tous et réclamer publiquement sa libération. Nous avons choisi le second.
Nous avons décidé, envers et contre tout, de médiatiser et de porter à la connaissance de tous cette injustice. Les jours de mon père sont précieux: il a 73 ans! Nous ne pouvons nous résoudre à ce que cet homme innocent croupisse en prison! Il est inconcevable de penser qu’il purgera une peine de 12 ans de prison! Combien de temps va-t-il tenir, malgré son courage? C’est pour cette raison que nous n’avons plus d’autre choix que de médiatiser notre cause. Nous brandissons l’étendard de la vérité. Et nous nous battrons jusqu’au bout pour sa libération!
Aziz Enhaili: Quelles sont à ce jour les initiatives engagées par la famille ainsi que le comité de soutien de M. Terhzaz en vue de sa libération? Vous ont-elles permis d’enregistrer des avancées?
Sonia Terhzaz: Certaines personnes nous disent que ce dernier communiqué de la MAP, accablant, n’est que le résultat de notre campagne, laquelle n’a fait que braquer davantage les autorités. Certes, il est désagréable de voir toute une famille contester une décision de justice, manifester, s’entourer de personnalités ou d’organisations compétentes pour défendre leur cause, et leur réaction illustre parfaitement cet agacement. Mais la vérité, c’est qu’il ne nous reste que cette option! Nous resterons inflexibles et déterminés jusqu’au bout. Nous ne cherchons pas à causer du tort à notre pays. Bien au contraire, c’est rendre justice à notre pays que de défendre un homme qui a tant œuvré pour lui. Mon père aime profondément son pays. Le gouvernement du Maroc se trompe d’ennemis.
Les initiatives ont commencé au Maroc, avec l’aide de notre avocat Maître Abderrahim Jamai. Nous avons adressé des demandes de grâce, des courriers au ministre de la Justice. Nous avons bénéficié du soutien de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) qui a écrit à l’Inspecteur général des forces armées royales, le général Abdelaziz Bennani. Contrairement à ce que dit le communiqué de la MAP, ce n’est pas «une» seule demande de grâce qui a été envoyée «par son épouse française» à Sa Majesté le Roi, mais des dizaines, écrites par mon père à la prison, par moi-même, mes frères, la famille, des amis. Nous avons également eu le soutien de nombreuses personnalités en France qui ont manifesté leur vive préoccupation concernant l’affaire de mon père. Pour la France, mon père est un Français (il bénéficie également de la citoyenneté française), d’autant plus qu’il a été décoré de la Légion d’Honneur. L’intérêt qui lui est porté est tout à fait logique. De nombreuses lettres ont également été envoyées au ministre français des Affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, pour l’alerter sur cette situation.
Le Parlement Européen s’est également manifesté en évoquant le cas de Kaddour Terhzaz lors de la réunion de la commission mixte UE- Maroc à Bruxelles. Le Haut Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU a été lui aussi saisi. D’ailleurs, son groupe de travail sur les détentions arbitraires planche déjà sur ce dossier.
Toute cette mobilisation démontre tout simplement qu’il s’agit d’une terrible injustice. Comment aurions-nous eu tout ce soutien si nous avions «manipulé la vérité», comme le laisse entendre le communiqué de la MAP? Pense-t-on que les rapporteurs de l’AMDH, d’Amnesty ou de Human Rights Watch se seraient basés sur nos seuls témoignages? Ils se basent sur les faits, sur le jugement, sur tout ce qui leur permet d’affirmer de façon indubitable qu’il s’agit bien d’une détention arbitraire. Pour contester une décision de justice, nous devons le faire légitimement et fournir les preuves de ce que nous avançons. On ne peut crier à l’injustice sans justification! Ce travail a été fait par les plus grandes organisations de défense des droits de l’Homme. Donc, nous n’inventons rien. Par contre, le communiqué, lui, accable mon père de fautes qui n’avaient même pas été citées dans le jugement. Il faut avoir des preuves de ce qu’on avance lorsque l’on accuse publiquement quelqu’un.
Aziz Enhaili: Vous vous trouvez présentement à Washington pour sensibiliser le gouvernement américain à la situation précaire de votre père. Quelles sont les démarches menées et les personnalités rencontrées au cours de ce voyage? Pensez-vous pouvoir compter sur un appui ferme de la part de l’administration Obama à votre combat?
Sonia Terhzaz: Mon père était attaché militaire à Washington de 1973 à 1976. Il s’est assuré de sa mission de la meilleure façon qui soit, ce qui lui a valu les félicitations de nombreux généraux du Pentagone, de sénateurs et d’ambassadeurs. Nous avons d’ailleurs retrouvé quantité de lettres élogieuses à son égard, lettres qui émanent du gouvernement américain, et que nous pouvons produire. Il a eu aussi l’insigne honneur d’avoir été décoré de la Légion of Merit.
J’ai été reçue par des personnes au Département d’État du Moroccan Desk, ainsi qu’à celui des Affaires étrangères. J’ai également rencontré à la Maison Blanche le directeur des Droits de l'Homme, au Bureau des Affaires Multilatérales et des Droits de l’Homme. J’ai également eu une rencontre au bureau du sénateur John S. McCain, candidat à la dernière élection présidentielle américaine. Pour ceux qui ne le savent pas encore, le puissant sénateur de l'Arizona s'est beaucoup intéressé aux anciens prisonniers de guerre, étant lui-même un ancien prisonnier de guerre. D'ailleurs, il a été un soutien de poids dans la libération des anciens prisonniers du Polisario.
Aziz Enhaili: Qu’attendez-vous du roi Mohammed VI relativement au dossier de votre père et pourquoi?
Sonia Terhzaz: Nous demandons respectueusement la grâce et nous espérons que Sa Majesté le Roi rétablira toute la vérité sur cette affaire.
Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Solidarité Maroc.
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