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mercredi 27 janvier 2010

Burqatastrophe : Pas de quoi fouetter une chatte



par Ayman El Kayman, Coups de dent n°125, 26/1/2010
Je vous annonçais à la fin de l’année dernière que l’année 2010 serait un annus horribilissimus. Mes prévisions se confirment, en particulier pour la France. Depuis des semaines, le monde politique et médiatique est agité par deux thèmes qui  s’entrecroisent et se mélangent : l’identité nationale et le port de la burqa. Il semblerait que la France s’enfonce joyeusement ( ?) dans la burqatastrophe.  Que faut-il penser de tout ça et que faire ? J’avoue ma profonde perplexité, que vous êtes sans doute nombreux-ses à partager. Voici en tout cas ce dont je suis sûr :

1° - Aucune identité, ni individuelle ni collective, n’est fixée une fois pour toutes. L’identité, quelle qu’elle soit, n’est pas une statue de bronze, mais plutôt un torrent de montagne, une nuée ardente*.

2° - La « réislamisation » des jeunes générations nées en France de parents, de grands-parents ou d’arrière-grands-parents venus du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne, est l’indice le plus sûr de leur « intégration » dans la société française. À partir de 1975, les « immigrés » de culture musulmane ont  compris qu’ils n’étaient plus de passage, en voyage, en exil mais qu’ils étaient destinés à vivre et mourir en France et leur progéniture avec eux. Donc, la France changeait de statut, passant de celui de territoire du « Dar El Harb » (maison de la guerre) à celui de territoire de« Dar El Islam », dans lequel on est tenu de respecter les obligations religieuses.

3°- Les premières jeunes filles –elles étaient marocaines - à porter le hijab en France, en 1989, étaient nées ou arrivées dans le pays autour de 1975, dans la vague de regroupement familial qui suivit la fermeture des frontières. Leur décision était motivée par leur souhait de poursuivre leurs études au-delà de la scolarité obligatoire, qui se heurtait à l’opposition de leurs grands-mères restées au Maroc, qui essayaient de convaincre les parents des jeunes filles de les marier vite fait bien  fait pour leur éviter la perdition sur des bancs universitaires. En arborant le hidjab, les jeunes filles envoyaient le message suivant à leurs grands-mères : « Je peux faire des études sans devenir pour autant une dévergondée ».



Burqa républicaine


4°- La « réislamisation », comme tout phénomène de conversion, est une construction imaginaire, un bricolage syncrétique, dans lequel  les intéressé-es se fournissent en arguments, attributs et signes extérieurs pris à des sources très diverses : lectures, contacts personnels, imams, oulémas et prêcheurs plus ou moins savants, plus moins cultivés, plus ou moins sérieux, et…la télé ! De nombreux jeunes Musulman-es de France finissent par  donner d’eux-elles l’image, généralement caricaturale, renvoyée par le petit écran. À qui la faute ?
5° - Une chose est sûre : le hijab ou même la burqa augmentent la valeur des jeunes filles qui les portent sur le marché matrimonial musulman, et donc le prestige de leurs familles. Ils ne sont rien d’autre que l’affichage d’une virginité, réelle ou prétendue.



Burka Chic, Huile et acrylique, 122X96 cm, de la série "Burka chic", de l'artiste britannique musulmane Sarah Maple

6°- La burqa, qui n’est évidemment pas une obligation musulmane mais plus simplement une tradition pachtoune d’Afghanistan, concentre toutes les passions de ce nouveau siècle. D’autres générations ont adopté la casquette Mao, le béret Guevara, ont brûlé leurs soutien-gorges, adopté la mini-jupe ou se sont laissé pousser la barbe. Et dans les pays arabes, la police depuis belle lurette fait la chasse aux jeunes barbus : dans les années 70, ils étaient soupçonnés d’être des communistes, aujourd’hui, d’être des islamistes. Et pour les filles, la chasse aux minijupes a été remplacée par la chasse aux voiles divers.


Burqa érotique


7° - Tout ceci dit, le port de la burqa en France est un phénomène microscopique, qui touche tout au plus 300 personnes. Donc pas de quoi fouetter une chatte. Mais  il est insupportable à ceux qui ressentent une énorme frustration à ne pas pouvoir dévisager des femmes, c’est-à-dire à prendre symboliquement possession de leur corps. Ces nouveaux Tartuffe qui s’avancent masqués en anti-Tartufe pourraient dire : « Ne cachez pas ce visage que je me dois de voir ». Si une femme ne veut pas que je voie son visage, quelles que soient ses raisons, c’est son droit et je ne vois pas au nom de quoi je devrais lui imposer mon droit à le voir à tout prix. Cela peut me déranger, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait me nuire. Or, selon la bonne vieille Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, "La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Et pour citer le bon vieux Jean-Sol Partre, "Ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui." (Sujet classique de dissertation de philosophie sur lequel les honorables membres  de la mission d'information parlementaire sur le port du voile intégral auraient du plancher).
La liberté des regardeurs s’arrête où commence celle des regardées.


Ayman El Kayman, le petit philosophe des lumières du marigot


* Nuée ardente : 
Grand volume de gaz brûlants à très forte pression transportant, suite à à une violente explosion, des masses considérables de débris de lave ( des cendres aux blocs en passant par les scories) et se déplaçant à grande vitesse (100 km/h et plus).[définition selon futura-sciences.com]


Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à la semaine prochaine !

Dessin de DILEM, Algérie

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