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samedi 16 janvier 2010

Amnesty International : Maroc et Sahara Occidental : Les promesses d'équité et de réconciliation doivent être tenues


Le rapport " Broken Promises: "The Equity and Reconciliation Commission and its Follow-up" est paru le jour du 4ème anniversaire du discours du roi Mohamed VI marquant la fin du travail de l'IER (Instance Equité et Réconciliation). 

Par Annie Delay, coordinatrice Maroc-Sahara Occidental, Amnesty International,6/1/2010

Dans un nouveau rapport rendu public ce mercredi 6 janvier 2010, à l’occasion du quatrième anniversaire du discours du roi Mohamed VI marquant la fin de la mission de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), Amnesty International appelle le souverain à honorer les attentes suscitées par cette initiative novatrice. La création de l’IER par les autorités marocaines visait à clore le dossier des atteintes aux droits humains commises au cours de la période dite des « années de plomb » au Maroc et au Sahara occidental et à offrir à des milliers de victimes un recours utile.
En dépit des promesses, seules quelques vérités partielles concernant les atteintes aux droits humains commises dans le passé ont été révélées, la question de la justice n’a pas été abordée et les réformes juridiques et institutionnelles indispensables pour s’assurer que de telles violations ne se reproduiraient pas n’ont pas été mises en œuvre.
L’IER, qui avait pour mandat d’enquêter sur les disparitions forcées et mises en détention arbitraire qui se sont produites entre 1956 et 1999, a aidé à faire la lumière sur l’ampleur et la gravité des atteintes aux droits humains perpétrées dans le passé. Son rapport final, publié en janvier 2006, a reconnu la responsabilité des autorités marocaines dans les atteintes graves aux droits humains qui avaient été perpétrées, recommandé que des réparations soient accordées aux victimes et appelé les autorités marocaines à prendre de nouvelles mesures visant à garantir que de telles violations ne se reproduiraient plus. Le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) a été chargé par le roi d’assurer le suivi des travaux de l’IER. Amnesty International a salué la création et les travaux de l’IER. L’organisation a bénéficié d’un dialogue constructif avec l’IER et son mécanisme de suivi, espérant contribuer à leur travail par des recommandations inspirées du droit international relatif aux droits humains.
Dans un nouveau rapport intitulé Broken Promises : The Equity and Reconciliation Commission and its Follow-up, Amnesty International évalue le travail de l’IER et son suivi. L’organisation met en garde contre le fait que quatre années après la fin de la mission de l’IER, ses résultats risquent d’être compromis par l’absence de volonté politique. Aujourd’hui, il incombe aux autorités marocaines de tenir les promesses faites et de mettre en œuvre les principales recommandations émises par l’IER visant à garantir la non-répétition des atteintes aux droits humains perpétrées dans le passé.
Afin de ne pas remettre en cause les progrès accomplis depuis l’inauguration de l’IER par le roi Mohamed VI en janvier 2004, il est crucial que les autorités marocaines remédient aux insuffisances et aux lacunes du processus de réexamen du passé. Amnesty International considère qu’il ne saurait y avoir de réconciliation véritable tant que l’on n’aura pas rendu leur dignité aux victimes en leur fournissant une explication complète des raisons pour lesquelles elles sont devenues des victimes. Tant que les auteurs présumés des violences n’auront pas à rendre compte de leurs crimes devant la justice et que de réelles garanties visant à protéger la société contre la répétition de telles violations flagrantes des droits humains n’auront pas été données, parler d’une réelle volonté d’affronter le passé dans le but de construire un avenir meilleur semble vain.
L’IER a enquêté sur des centaines de disparitions forcées qui se sont produites au Maroc et au Sahara occidental principalement au milieu des années 60 et au début des années 90. L’IER aurait résolu 742 affaires. Les 66 dossiers restants ont fait l’objet d’une enquête par la CCDH qui a confirmé en avoir résolu une soixantaine. Toutefois, en dépit des promesses répétées, aucune liste des affaires résolues n’a été publiée à ce jour. Cet échec, regrettable en lui-même, est hautement symbolique des promesses non tenues de prendre des mesures concrètes visant à faire toute la lumière sur le passé.
En outre, de nombreuses familles de victimes de disparition forcée ont été déçues par les résultats des enquêtes et plus particulièrement par l’insuffisance des informations données sur le sort de leurs proches. Bien souvent, les renseignements communiqués aux familles à l’issue des investigations étaient les mêmes que ceux qu’elles avaient déjà ou étaient des renseignements qu’elles avaient elles-mêmes communiqués à l’IER ou au mécanisme de suivi. Cette absence d’informations s’explique en partie par le fait qu’aucune de ces deux institutions n’était habilitée à contraindre les représentants de l’État à collaborer dans le cadre de leurs investigations.
Une des principales lacunes de l’IER a été son incapacité à satisfaire le besoin de justice. L’identification des auteurs présumés d’atteintes aux droits humains ne faisait pas partie de son mandat et l’IER n’a même pas recommandé aux autorités marocaines de traduire en justice les auteurs présumés de violations graves des droits humains. Elle n’a pas non plus recommandé de mettre en place un mécanisme de contrôle afin de veiller à ce que les personnes pouvant raisonnablement être soupçonnées de violations des droits humains n’occupent pas de poste au sein des institutions étatiques – un point d’autant plus décevant que de hauts fonctionnaires marocains actuellement en fonction seraient responsables de violations graves des droits humains. Tant que les auteurs présumés de telles violations n’auront pas à rendre compte de leurs actes devant la justice, la culture de l’impunité continuera de prévaloir au Maroc et au Sahara occidental.
Un domaine dans lequel l’IER et son mécanisme de suivi ont ouvert la voie est celui des réparations pour les victimes d’atteintes aux droits humains. En plus d’une indemnisation financière, certaines victimes ont bénéficié d’un programme de réadaptation médicale, physique et psychologique et de réinsertion sociale. Néanmoins, le programme de réparation présente des lacunes et a fait l’objet de plaintes car il ne répond pas pleinement aux besoins des victimes. L’absence de tout mécanisme d’appel visant à permettre aux victimes de contester les décisions les concernant est particulièrement décevante étant donné que des inquiétudes subsistent concernant la transparence et l’équité du programme de réparation.
Un autre défaut majeur de l’IER est le traitement des victimes au Sahara occidental. En dépit du fait que la région a souffert et continue de souffrir de façon disproportionnée d’atteintes aux droits humains perpétrées par les autorités marocaines, le Sahara occidental a été exclu des réparations collectives établies pour les régions particulièrement affectées par la répression. De même, aucune audience publique permettant aux victimes d’évoquer leurs souffrances n’a été organisée au Sahara occidental contrairement à ce qui s’est passé dans six régions du Maroc où ces audiences ont eu lieu.
Malgré les discours incessants des autorités marocaines et de la CCDH sur la nécessité de la réforme et le lancement d’initiatives officielles visant à réformer le secteur de la justice, l’écrasante majorité des recommandations faites par l’IER en vue d’améliorer la structure juridique et institutionnelle qui a facilité la perpétration de telles atteintes aux droits humains n’ont pas été mises en œuvre. Cet échec à faire appliquer même des recommandations moins sensibles, telle que la ratification d’instruments internationaux complémentaires relatifs aux droits humains, révèle un manque de volonté politique de mettre en place des garanties efficaces pour la protection des droits humains et de changer la structure politique qui a permis que des violations des droits humains se produisent dans un climat d’impunité quasi totale.
Le fait que des violations des droits humains continuent de se produire aujourd’hui au Maroc et au Sahara occidental – bien qu’à une échelle moindre comparé à la période correspondant au mandat de l’IER – souligne combien il est important de tenir les promesses de l’IER et de mettre fin à la culture de l’impunité.
Amnesty International fait une série de recommandations dans son rapport, afin de consolider les avancées déjà réalisées dans le dossier des atteintes aux droits humains commises dans le passé et demande notamment :
à la CCDH :
de publier sans délai la liste de toutes les disparitions forcées signalées à l’IER ou à la CCDH. Cette liste devra contenir les noms des disparus, les circonstances de leur disparition, les informations rassemblées sur chaque personne et indiquer si le dossier a été transmis aux autorités pour une enquête approfondie ;
aux autorités marocaines :
de veiller à ce que des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales soient menées sur toutes les atteintes aux droits humains commises entre 1956 et 1999. L’organisme chargé de l’enquête devra avoir le pouvoir d’obliger des témoins à comparaître, y compris les anciens fonctionnaires et les agents de l’État en poste, et disposer de pouvoirs d’assignation, de perquisition et de saisie ;
de poursuivre en justice sans plus de délai les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains suivant les règles d’une procédure équitable et de mettre en place un système visant à empêcher toute personne pouvant raisonnablement être soupçonnée d’être l’auteur de crimes de droit international d’occuper un poste où elle serait susceptible de commettre à nouveau les mêmes faits ;
de mettre en place un mécanisme permettant aux victimes de violations des droits humains de faire appel lorsqu’elles ont le sentiment que leur demande de réparation n’a pas fait l’objet d’un examen adéquat et qu’elles veulent contester une décision ;

et de mettre en œuvre les recommandations de l’IER concernant la réforme du système judiciaire afin de garantir son indépendance en conformité avec les normes du droit international.
Si les autorités marocaines ne font pas preuve, sans délai, de volonté politique pour mettre en œuvre ces recommandations, le risque subsiste que le processus engagé il y a six ans avec l’inauguration de l’IER ne soit perçu comme un exercice de relations publiques, conçu pour améliorer l’image du Maroc et pacifier les esprits en offrant aux victimes une compensation financière et d’autres avantages.
Le rapport peut être consulté sur : http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE29/001/2010/en.

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