Par Bahia Amrani, Reporter, 12 /1/ 2010
Cette année, nous avons délibérément choisi, au Reporter, de ne pas sacrifier au rituel de la rétrospective de fin d’année. Exit les éphémérides, les événements les plus marquants, les performances, les contre-performances et autres bêtisiers… Nous avons décidé d’échapper à la fièvre mondiale des bilans -politiques, économiques, sportifs, ou culturels- de l’année qui expire. Tant de confrères se sont prêtés à l’exercice, bien avant même que l’année ne se termine. Que pouvions-nous ajouter sans tomber dans la redondance ?
S’il faut cependant se plier à l’exigence du coup d’œil dans le rétroviseur, il est une image sur laquelle nous nous arrêterons volontiers : celle d’un tout petit bout de femme qui nous a tous bouleversés… Un petit bout de femme qui mériterait largement le titre de femme de l’année 2009, si ceux qui attribuaient ce genre de titre daignaient, dans leur grande objectivité et clairvoyance, l’accorder à des personnes de sa catégorie… Une fillette, âgée de pas plus de 11 ans et déjà engagée dans « la vie active » au service d’un juge et de sa femme, au domicile desquels elle était assignée aux tâches les plus ingrates. Et si ce n’était que cela ! Non seulement Zineb Chtit n’était pas à l’école, ni dans les bras de sa mère, comme tous les enfants de son âge, mais elle subissait -de surcroît- les pires supplices : frappée, brûlée, ébouillantée à l’huile de friture…
Certes, ce scandale qui avait éclaté en août 2009, n’est pas resté impuni. Les Thénardiers des temps modernes ont été déférés à la justice. En octobre 2009, le tribunal de première instance d'Oujda condamnait l'épouse du juge à une peine de trois ans et demi de prison ferme et le mari attend son tour… Restent nos consciences qu’elle a si fortement interpellées !
Un tout petit bout de femme, donc, mais tout un symbole ! Le symbole de ce Maroc à deux vitesses que nous ne voulons plus. Ce Maroc qui révolte, qui désespère… Celui où les pratiques moyenâgeuses qui ont condamné tant de générations se perpétuent, condamnant cette fois-ci -ce qui est insoutenable- les générations futures, les générations du 3ème millénaire…
Zineb Chtit est à la fois le symbole de notre mauvaise et de notre bonne conscience.
Mauvaise conscience parce qu’elle nous rappelle que nous laissons faire, que nous ne sommes ni assez vigilants ni assez combatifs devant l’égoïsme des tout puissants et l’indécence des nantis. Voire que nous nous accommodons de cette situation où un Maroc nouveau que nous voulons moderne, avec des citoyens dignes, se superpose à un Maroc anachronique où subsistent toutes les injustices, tous les asservissements…
Bonne conscience parce qu’en fin de compte, elle ne nous a pas laissés indifférents. Ses brûlures et hématomes, son enfance malmenée et son regard perdu nous ont secoués. La Justice a réagi et Zineb a été sauvée, certes, mais -bien que cela soit déjà très important en soi- il y a plus : elle a été en 2009 le petit bout de femme qui a le mieux interpellé notre humanité. Il ne faudrait pas que cela se perde !
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