Par oumma, 30 décembre 2009
C’est l’histoire d’un parcours humain exemplaire qui a cru aux vertus de notre méritocratie à la française, c’est l’ascension hors de nos frontières d’un français, fils d’immigré marocain, contraint à son tour à l’exil, pour se donner les moyens de ses ambitions.
Un destin marqué du sceau de la volonté que celui d’Hamid Senni, aîné d’une fratrie de huit enfants, qui a reçu en héritage le lourd devoir d’ouvrir la voie et de réussir au cœur de son pays d’adoption, la France.
Dans son ouvrage intitulé « De la Cité à la City », Hamid Senni retrace son cheminement personnel, académique et professionnel, qui l’a mené dans des pérégrinations européennes jusqu’à Londres, véritable terre promise économique, où il a pu donner la pleine mesure de ses compétences, laissant loin derrière lui les douloureuses discriminations hexagonales sources de rêves brisés.
C’est plus que jamais l’espoir républicain chevillé au corps et à l’âme qu’Hamid Senni réagit à la tribune de Nicolas Sarkozy parue dans le Monde, désireux d’éclairer le plus haut sommet de l’Etat sur un dramatique gâchis français, tout en léguant à la jeune génération des « français d’origine maghrébine » un témoignage, un enseignement, et une raison d’y croire.
Un sublime hasard, en plein débat sur l’identité nationale, qui fait que le calendrier sportif colle à l’actualité politique. 18 novembre dernier, deux matchs : l’un avec l’équipe de France, l’autre d’Algérie. Au moment des réjouissances, la jeunesse française aux racines algériennes ne choisira pas de brandir le drapeau français dans la rue. L’histoire se répète après la jeunesse aux racines portugaises lors du match France-Portugal en coupe du monde 2006, à une différence près : d’un côté, une jeunesse qui se sent d’ici et le temps d’un match se reconnecte là-bas, et de l’autre, une jeunesse qui se sent de là-bas et se déconnecte d’ici.
Cette soirée a surtout révélé une désespérance absolue fondée sur le constat de l’incapacité de chacun, sinon de tous, de « s’en sortir ». Aîné d’une famille de huit enfants, mon père - ouvrier marocain arrivé en France en 1972 - me dit : « Tu es l’aiguille, et tes frères et sœurs le fil. Si l’aiguille perce à l’école, les autres passeront par le chas de l’aiguille et suivront ton exemple ». Grâce à l’espoir républicain, source de cohésion sociale, il était plein d’espérance pour ses enfants qu’il pensait Français. Dès lors que l’on nous opposa aux « français de souche », nous fûmes confrontés à une crise identitaire. Nous appartenions à l’immigration postcoloniale et non européenne.
On a fait de moi un « Français d’origine maghrébine », un « Français de première génération » ou encore un « Français de confession musulmane ». En France, je me sens « Français de seconde classe ». Dans les quartiers en zone urbaine sensible, notre réalité est celle de la discrimination à l’emploi, au logement, aux loisirs et parfois même à l’école. Une exclusion sociale et culturelle qui, peu à peu, nous conduit inexorablement vers cette perte identitaire.
Malgré l’accumulation des diplômes, mes CV restèrent lettre morte. Comment expliquer à mes parents, à mes frères et sœurs et à mon entourage, cet accablant manque de réussite ? Comment parler de ce plafond de verre sans détruire les fondements du pacte républicain ? Au mieux, on m’a proposé du porte à porte en qualité de vendeur d’aspirateurs. Je me suis donc exilé, devenant un immigré et un réfugié économique.
La France est en contradiction avec ses fondements constitutionnels, synonymes de liberté, d’égalité et de fraternité mais aussi de méritocratie et d’équité. J’ai dû quitter mon pays, comme mes parents avaient quitté le leur. Onze ans plus tard, je reste encore un étranger en France mais un Français à l’étranger.
Loin de mon Ardèche natale, j’ai pu rester ce frère « modèle ». Après avoir fait une école de commerce en Suède, j’ai été responsable produit chez Ericsson à Stockholm, puis recruté chez BP à Londres. Mes sœurs, Samira et Nadia sont allées étudier au Québec, et Nora a passé un Bac scientifique au lycée français de Londres.
C’est dans l’entreprise que le bât blesse et que la rupture de l’identité nationale opère par manque de politiques de diversité. Comme démontré par le BIT (Bureau International du Travail), près de quatre fois sur cinq, un employeur préfère embaucher un candidat « d’origine hexagonale ancienne » plutôt que son collègue d’origine maghrébine ou noire africaine.
Etre acteur d’une société ne peut que passer par l’emploi et par les politiques de Diversité, et par cette reconnaissance de notre identité française, que je trouve si facilement et naturellement à l’étranger.
Hamid Senni
Auteur du livre « de la Cité à la City », Edition de l’Archipel, Directeur de Vision Enabler, cabinet de conseil en diversité, fondateur du Club Diversité.
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