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mardi 14 juin 2016

Bonnes feuilles de "MARRAINE des deux plus anciens détenus politiques marocains"

Il y a un an,  Antidote, maison d’édition de Bruxelles, publiait « MARRAINE des deux plus anciens détenus politiques marocains », préfacé par Gilles Perrault et postfacé par Khadija Ryadi
Un petit rappel à travers ces “bonnes feuilles”, extraites du livre.
 
*****
Après leur longue grève de la faim, la condamnation à perpétuité des deux Ahmed a été commuée en 25 ans de prison qu’ils vont terminer, l’un en restant à Oukacha, l’autre à la prison de BourkaÏz, près de Fès.
 
 
«Oukacha et Bourkaïz, accès interdits !

Le samedi 5 mai 2007, j’arrive à la gare d’Aïn Sebaa où m’attend Souad Chahid. Je revois avec plaisir toute la famille qui a retrouvé punch et humour. Abderrahman arrive, je suis contente de faire sa connaissance « en vrai ». Gentillesse et discrétion. Ahmed téléphone : il faut scanner la lettre de Zoulikha Nasri, conseillère du roi. Tous sont persuadés qu’elle m’ouvrira toutes les portes.

Lundi 7 mai, à 14h nous nous rendons à la prison d’Oukacha. Nous passons les deux premières portes. À la troisième on me retient par l’épaule.
- Madame suivez-moi !
- Je suis avec la famille Chahid… j’ai une lettre de Madame Zoulikha Nasri.
- Bien sûr !
- Mais c’est vrai !
Je la lui tends, il la prend, s’arrête pour la lire, interloqué.
- Madame Marie-José ! Mais je vous reconnais ! Vous êtes venue avec Khadija Rouissi.
- Oui et j’ai attendu pendant trois heures pour rien.
- Vous me reconnaissez ?
- Non.
- Vous n’attendrez pas trois heures, je vais voir le directeur.
Il se tourne vers un gardien :
- Apportez un fauteuil à Madame.
Me voilà assise sur un fauteuil Coca Cola, très à l’aise au milieu de tous ces gens debout ! Je n’attends pas grand-chose de ce directeur. J’ai publié beaucoup d’informations sur Oukacha. Il ne doit pas me porter dans son cœur !
Il arrive avec la lettre. Tout miel.
- Vous avez une lettre du Palais royal !
- Oui Monsieur.
- Cette lettre vous a été adressée per-so-nnelle-ment ! (admiration feinte ou envie ?). Je peux vous rassurer, Monsieur Chahid va très bien.
- Est-ce que je peux aller le voir ?
- Je ne peux pas vous donner cette autorisation. Il faut écrire au directeur central de l’administration pénitentiaire.
- Oui, je sais, à Monsieur Lididi, je l’ai fait, mais je n’ai pas encore reçu de réponse. Puis-je lui téléphoner ?
- Non, mais vous pouvez aller tout de suite le voir à Rabat.
Manière de me congédier !
J’ai bien envie d’y aller, à Rabat, mais comment être sûre de le rencontrer ? On téléphone à Abdelillah Benabdessalam, de l’AMDH de Rabat, qui me promet d’aller le voir demain.
Dans la soirée j’ai rendez-vous à Casablanca avec Mohamed Nadrani, le dessinateur, ancien « disparu » pendant 9 ans à Khalat M’Gouna. Selon lui, il faut souhaiter que Ahmed Chahid et Chaïb ne soient pas libérés avant d’avoir terminé les 25 ans. Surtout pas de grâce royale : partir debout ! Ensemble nous allons chez le Docteur Abdelkrim Manouzi, président de l’AMRVT (association médicale de réhabilitation des victimes de la torture). Ils discutent en arabe et à la fin Abdelkrim dit : « Tous pareils, ces militants, ils oublient de s’occuper de leur santé ».
Mohamed nous quitte, nous discutons de Souad, et d’Ahmed. Selon lui, la meilleure réinsertion est la famille. Abdelkrim et le beau-frère d’Ahmed ont fait leurs études ensemble.

Retour en pleine nuit un peu angoissant. Où aller ? Dans quelle direction ? Toutes les inscriptions sont en arabe. Comment retrouver Sidi Bernoussi, en très lointaine banlieue dans ce grouillement de voitures ? Mais au Maroc on s’en sort toujours, « ma kayn mouchkyl ! » (pas de problème !). Il y a toujours quelqu’un pour aider. Je hèle un taxi qui m’indique le numéro du bus ; à l’arrêt une personne m’accompagne jusqu’au taxi qui me ramène à Sidi Bernoussi… et j’arrive à bon port, au grand soulagement d’Aïcha et de Souad.

Mardi 8 mai : Abdelillah Benabdessalam n’arrive pas à joindre Lididi, pour prendre rendez-vous. Abderrahim Mouhtad, le président d’Ennassir, association d’aide aux prisonniers islamistes salafistes, me demande si j’accepte de parler à des journalistes. Pourquoi pas, ce sera l’occasion de dénoncer l’interdiction de visite. Le contact souhaité avec un journaliste de TelQuel n’est pas possible. Finalement rendez-vous est pris pour le lendemain au local d’Ennassir, pour rencontrer un représentant de la presse internationale. Le soir je téléphone à Ahmed Chaïb pour qu’il m’explique un peu le droit pour les visites.
(...)
J’espère avoir plus de chance pour rencontrer Ahmed Chaïb. Je me rends donc à Fès. Younes, un neveu de Rhazi, chauffeur de taxi, m’amène à la prison de Bourkaïz, à une trentaine de km de Fès. Une prison au milieu de nulle part. Personne aux alentours, contraste avec les abords d’Oukacha grouillant de monde.
Je vais frapper à la porte. Un gardien ouvre. « J’ai rendez-vous avec Monsieur Chafik, le directeur ». Ahmed m’avait donné des directives précises. J’attends. Arrive un impressionnant personnage, sapé comme un prince, en uniforme avec médailles et autres bling bling. « Non, je ne suis pas le directeur, suivez-moi ». Autant la prison d’Oukacha ressemble à une fourmilière, autant ici tout est désert, et tout est très propre. Des cours, des escaliers, des couloirs. Il me montre un banc : « Attendez ici ».
Au bout d’un moment une porte s’ouvre devant moi et j’ai à peine le temps de réaliser que c’est Ahmed qui en sort, me serre la main sans s’arrêter et continue sans se retourner, entre deux gardiens. J’ai l’impression d’être dans un film !
On me fait entrer dans le bureau du directeur, d’où est sorti Chaïb. Très poli. Plus accueillant que celui d’Oukacha. Il me pose beaucoup de questions sur notre association, je lui dis nos objectifs, le parrainage, et que j’aimerais rencontrer mon « filleul ». Mais la plupart du temps il ne me laisse pas finir, il n’écoute pas vraiment les réponses. Il me demande mon passeport et disparaît pour prendre des photocopies.
Un merle est installé sur un barreau de la fenêtre ouverte. Il me fait penser à la colombe des reclus du bagne de Tazmamart. Finalement le directeur me fait comprendre qu’il ne peut pas me donner l’autorisation de voir mon « filleul ». Je lui parle de ma visite à Mme Fassi-Fihri qui m’avait assuré qu’un directeur de prison peut donner une autorisation de visite. Aussitôt, piqué au vif, il appelle cette importante personne au téléphone, il parle en arabe. Non, pas possible. Je veux lui montrer la lettre de Zoulikha Nasri. Il ne veut pas la lire.
Il me raccompagne jusqu’à la sortie. Dans une cour je réussis à voir Ahmed qui me fait de grands signes quand le directeur ne peut pas l’apercevoir.
J’écris dans mon carnet :
« Sortie. Triste. Contente quand même de l’avoir aperçu deux fois. Je ne le savais plus si grand. Triste.
Quel gâchis ! »
Le soir je le rappelle. Nous parlons du merle. « Je le vois parfois, il n’a rien à faire dans une prison, il est libre, lui ! ».
Nous en parlerons souvent.»

pour commander:  solidmar05@gmail.com
   10€+0,20 € (port). franco de port pour le Maroc

Prochainement deux livres publiés par Antidote, même auteur :
“Ça va bien, grand-mère?” parrainage de deux prisonniers politiques sahraouis
“Je ne savais pas que les papas pouvaient pleurer" Mémoires d’une fille d’Alsace sous l’occupation allemande”

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