Députés, sénateurs, chers collègues, vous n’êtes pas en
train de prévoir le châtiment des terroristes. Vous êtes en train de
définir ce qu’est le peuple français. Que des gouvernants sans culture
qui donnent la priorité à l’amour propre du monarque présidentiel
veuillent vous égarer est bien dans leurs manières. Mais vous ne devez
pas voter sans vous demander qui nous serons chacun après que vous ayez
voté.
Non, ce n’est pas le sort des terroristes
qui est en jeu mais celui de l’identité de notre pays, de la masse des
gens qui ne commettront jamais aucun délit de terrorisme. Demain, si
vous acceptez de suivre le gouvernement, il y aura des « Français de
souche » et des « Français étrangers de souche ». On nous répliquait
qu’il ne s’agissait pourtant que de punir les terroristes. Que cela soit
inutile et mal approprié au cas considéré a été démontré sur tous les
tons déjà et de tous bords.
Depuis, les pires craintes se sont
confirmées puisque la déchéance pourrait être appliquée pour n’importe
quel crime ou délit. Je dis bien n’importe lequel. Car quelque liste que
vous en établissiez aujourd’hui, en constitutionnalisant le procédé,
demain une simple loi pourra en étendre la portée sans risquer la
censure constitutionnelle. Mais sans même s’arrêter au terrible coup que
cette amplification va représenter entre les catégories de citoyens,
comment ne pas s’inquiéter d’une telle vision de la communauté humaine
nationale ?
Vous qui voulez déchoir, pour qui prenez-vous les Français ? Quelle
pureté de mœurs attesterait de l’identité française ? Déchoir vous
confrontera à une hiérarchie du crime dont vous ne sortirez pas
indemnes. Quel genre de peuple de purs et parfaits croyez-vous définir
de cette façon ? De quoi croyez-vous que soient remplies les prisons en
dehors des inculpés en préventive ? De délinquants et de criminels qui
purgent une peine prononcée « au nom du peuple français ». Quels crimes
et quels délits vous paraîtront compatibles avec l’identité française ?
On frémit à l’idée d’en établir la liste. Violeur, tueur, harceleur,
assassin d’enfants laisseraient digne d’être français ? Terroriste,
assassin de policiers ne le permettraient pas ? Pensez-y : après vous
être donné l’abjection de définir les crimes acceptables vous n’en serez
plus rendus à instituer une hiérarchie du crime mais une hiérarchie des
victimes.
Après quoi on doit vous demander pour qui prenez vous les autres
nations ? Pourquoi croyez-vous que le double national que vous aurez
traité comme un rebut indigne de nos rangs serait bienvenu dans le pays
de son second passeport ? Qui empêchera qu’il soit automatiquement déchu
de sa seconde nationalité ? Craignez la contagion de vos exemples
discriminatoires quand on peut constater qu’elle se fait déjà voir en
Méditerranée.
Députés, que vous soyez de gauche ou de droite, vous avez en partage
le rôle de nous représenter et donc d’être nous tous, le peuple citoyen,
par délégation. Vous n’êtes rien en dehors de vos mandants. Bien sûr,
il n’existe pas de mandat impératif en République et vous délibérez à la
lumière de votre seule conscience. Mais pour que cela soit possible il
faut qu’il y ait un peuple qui vous ait attribué cette aptitude. Un seul
peuple. Tous ensemble vous êtes nous tous. Vous êtes dépositaires de
cette abstraction que vous incarnez : le peuple français un et
indivisible. Il l’est parce qu’ainsi il forme la seule communauté
légitime en République. Cette unité et indivisibilité est la base la
plus sacrée de notre vie commune puisqu’elle est à la source de la loi
qui, étant votée par tous et s’imposant à tous, concrétise cette unité
intrinsèque du peuple. Si vous acceptez l’idée qu’il y ait deux sortes
de Français devant la loi, vous instituez deux peuples dont la
différence des droits proclamera la fin de notre unité nationale non
seulement à l’instant mais dans la suite, chaque fois qu’une communauté
pourra se présenter en excipant de ce précédent. Alors, même déchus, les
terroristes auront gagné !
Députés, sénateurs mes chers collègues, ne faites pas ça. Souvenez-vous du temps où l’on a proclamé : « qui touche la terre de France est libre »,
pensez que nous sommes la grande nation politique du continent, que si
les Chinois appellent notre pays le pays de la loi c’est que partout
nous est reconnu d’être ce peuple universaliste qui n’affirme aucune
autre appartenance que la communauté politique qu’il forme dont l’objet
est résumé par une devise qu’il peut mettre en partage avec l’humanité
universelle : « Liberté Égalité Fraternité ». Qui vote la loi à ce sujet
viole sa raison d’être et l’allégeance à l’idée républicaine de la
patrie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire