Face
à la surpopulation carcérale criante, les gouvernements successifs de
droite comme de gauche ont décidé de répondre par la construction folle
de nouvelles prisons. Or il apparait que
cette "solution" n'en est pas une : non seulement inutile, elle semble
même aggraver le problème.
C'est l'objet de ce nouvel article signé Luk Vervaet
C'est l'objet de ce nouvel article signé Luk Vervaet
Une fois n'est pas
coutume, je souhaite dédicacer cet article à mon amie Florence, décédée
brutalement il y a quelques jours. Flo, la lutte contre l'enfermement
était l'un de tes combats. Nos larmes ne pourront jamais combler le vide
immense que tu laisses derrière toi. Mais ta lutte continue et
continuera. Liberté ! J'écris ton nom.
Toujours plus de prisons, toujours plus de détenus
Le déclin de l’État social ne se manifeste
pas seulement par les mesures de régression sociale prises par tous les
gouvernements ces vingt-cinq dernières années, et contestées à juste
titre. La surpopulation carcérale a parallèlement explosé de manière
alarmante. Étonnamment, cette situation est absente des réflexions tant
dans le monde syndical que du côté de mouvements comme Tout Autre chose,
muets sur la question. Un mouvement social digne de ce nom se doit
pourtant de s’attaquer au problème carcéral.
"New hope" par Adrien Sifre, sur Flickr
L’explosion carcérale : le nombre de détenus
Lors du lancement en 2009 du « Masterplan pour les prisons », la
Belgique comptait 10.320 détenus dans 33 prisons, conçues pour 8.422
personnes, un record dans l’histoire carcérale belge. En 2012, on
enregistrait une moyenne de 11.330 détenus. Le Conseil de l’Europe
indique dans un rapport qu’au premier septembre 2013, les prisons belges
comptaient 12.697 détenus [1]. A titre de comparaison, il y en avait 5.176 en 1980.
Ce rapport dresse un constat interpellant sur la situation carcérale
en Belgique dont voici quelques éléments chiffrés. Entre 2003 et 2013,
la population carcérale a augmenté de 35,6 %. Si le taux de détention en
Belgique était de 93,5 sur 100.000 personnes en 2010, il est de 113,8
en 2013. Sur les 49 pays étudiés, la Belgique se trouve parmi les dix
ayant un « problème aigu de surpopulation carcérale » : la densité dans
nos prisons est de 134 détenus pour 100 places. Pour ce point, la
Belgique est « battue » par seulement 3 pays : l’Italie (148), Chypre
(138) et la Hongrie (145). Le nombre de détenus condamnés à des peines
de prison allant de trois à dix ans est de 58,4 %. 20,2 % des
prisonniers dans nos prisons sont condamnés à des peines de dix ans et
plus, allant jusqu’à la perpétuité. La Belgique arrive ainsi à la
treizième place des pays les plus répressifs. Pour finir, notre pays
compte 43 % de détenus étrangers dans ses prisons.
La construction folle de nouvelles prisons
En réponse à cette explosion, de nouvelles prisons sont construites à
un rythme soutenu depuis le début des années 90. La prison de Bruges
est construite en 1991, suivie de celles d’Andenne en 1997, Ittre en
2002 et Hasselt en 2005. Cette année-là, la Belgique disposait de 8133
cellules contre 5450 en 1980.
En avril 2008, le gouvernement lance un plan aussi structurel
qu’industriel, le « Masterplan 2008-2012 pour une infrastructure
carcérale plus humaine », qui prévoit la construction de 1800 places
supplémentaires dans sept nouveaux établissements pénitentiaires de 2008
à 2012 et le remplacement de six vieilles prisons par de nouvelles dans
la période 2013-2015. Le 14 décembre 2010, toujours dans le cadre de ce
plan, le Conseil des Ministres approuve la fermeture pour 2016 des
« prisons très vétustes à Forest, Saint-Gilles et Berkendael, qui seront
remplacées par une nouvelle institution à Haren ». Cette super-prison
aurait une capacité de 1190 places, soit 200 cellules supplémentaires à
la capacité actuelle des trois prisons réunies.
Sous le gouvernement Di Rupo, quatre nouvelles prisons ont vu le jour
en sept mois : Marche-en-Famenne en octobre 2013, Beveren en février
2014, le centre psychiatrique de Gand en avril 2014 et Leuze-en-Hainaut
en mai 2014.
L’accord gouvernemental d’octobre 2014 du gouvernement Michel
reconfirme l’exécution des Masterplan de ses prédécesseurs. Le dernier
« Plan justice » de mars 2015 du nouveau Ministre de la justice annonce
qu’aussi bien « l’élargissement que la rénovation des prisons par
l’exécution du Masterplan existant doivent être continués ». Une
attention particulière sera portée à « l’exécution prioritaire des
projets à Haren, Dendermonde et Merksplas. »
Le bannissement de détenus étrangers
Autre réponse à l’explosion carcérale : le bannissement de détenus
étrangers. Le 19 mars 2007, la Belgique concluait un accord avec le
Maroc sur le transfert de Marocains détenus dans les prisons belges. Cet
accord a été approuvé par le parlement belge le 29 janvier 2009 [2].
Le parlement marocain a quant à lui ratifié l’accord en avril 2011.
L’actuel gouvernement Michel veut intensifier l’expulsion de détenus
étrangers vers leur pays d’origine. Le fait que les prisons marocaines
souffrent d’une surpopulation de 600 % et que la torture y est pratiquée
laisse apparemment nos politiciens de glace. [3]
Trop peu de prisons ou trop de gens en prison ?
Les gouvernements successifs ont donc choisi de répondre au manque de
places par la construction de nouvelles prisons, mais également par une
répression accrue, par l’expulsion de détenus étrangers ou par
l’élargissement de la prison jusque dans les maisons par l’utilisation
des technologies modernes.
Une réponse ferme, insensible au débat de société qu’impose pourtant
la dimension effrayante des chiffres. Une réponse inefficace pourtant,
le problème de surpopulation étant loin d’être résolu et le nombre de
détenus ne cessant d’augmenter. Une réponse strictement punitive et
idéologique, rendant possible l’enfermement de plus en plus de
personnes.
Or, au vu du contexte politique, social et médiatique dans lequel les
politiques carcérales prennent forme, la question mériterait d’être
posée en sens inverse : y a-t-il trop peu de prisons ou trop de détenus
dans les prisons ?
Comment expliquer la surreprésentation des couches les plus pauvres
et d’origine étrangère parmi les détenus ? Comment ne pas être
interpellé par le fait que quatre des cinq communes les plus pauvres se
situent dans la Région bruxelloise [4],
là où précisément une nouvelle méga-prison va être construite en 2016 ?
Ces questions primordiales seront développées dans un prochain article.
Mais elles font partie intégrante du débat.
Par ailleurs, est-il normal et souhaitable que les choix politiques
en la matière soient rythmés par la pression de l’ « opinion publique »
quand celle-ci est bouleversée par des événements largement médiatisés ? [5]
En pareille situation, les gouvernements successifs de droite comme de
gauche ont pris de nouvelles mesures répressives plus dures afin de
calmer l’indignation populaire et médiatique. La population carcérale a
augmenté de 74% entre 1980 et 2006 [6]
et l’on continue à réclamer toujours plus de sécurité et moins
d’impunité. L’efficacité de cette politique n’est pourtant pas
éclatante.
Plus on construit de prisons, plus il y a de détenus
Selon le Comité pour la Prévention de la Torture du Conseil de
l’Europe (CPT), la construction de nouvelles prisons n’est pas seulement
inefficace face au problème de surpopulation carcérale, elle le
renforce.
Suite à sa visite de contrôle des prisons belges en 2009, le CPT a d’ailleurs averti la Belgique en ce sens au travers de son rapport : la construction de nouvelles prisons augmenterait le nombre de ses détenus. « Le Comité de Prévention de la Torture tient à souligner que l’augmentation des capacités carcérales ne peut pas résoudre en soi le problème de la surpopulation. Dans de nombreux pays – Belgique comprise – on constate que la population carcérale augmente au fur et à mesure de l’augmentation des capacités carcérales ».
Suite à sa visite de contrôle des prisons belges en 2009, le CPT a d’ailleurs averti la Belgique en ce sens au travers de son rapport : la construction de nouvelles prisons augmenterait le nombre de ses détenus. « Le Comité de Prévention de la Torture tient à souligner que l’augmentation des capacités carcérales ne peut pas résoudre en soi le problème de la surpopulation. Dans de nombreux pays – Belgique comprise – on constate que la population carcérale augmente au fur et à mesure de l’augmentation des capacités carcérales ».
L’actualité montre que cet avertissement n’a pas été pris en
considération, bien au contraire. Depuis le rapport de 2009 et
l’adoption du Masterplan la même année, la situation s’est aggravée. De
nouvelles prisons ont été construites et le nombre de détenus a sans
cesse augmenté. Comme le montre l’exemple de pays qui ont choisi une
voie opposée à celle de la Belgique, il n’y a qu’un moratoire sur la
construction de nouvelles prisons et la fermeture de prisons qui peut
conduire à diminuer le nombre de détenus et à développer des
alternatives à la prison.
Le cas des Pays-Bas
Certains pays ont fait le choix de mener une autre politique
carcérale. C’est le cas des Pays-Bas qui ont récemment décidé de fermer
26 de leurs prisons [7].
Il n’en a pas toujours été ainsi. À la fin des années 80, un tournant
punitif faisait des Pays-Bas le modèle américain sur le continent. Une
trentaine d’années plus tard, en 2012, le pays comptait ainsi « 65
prisons, dont 5 prisons pour femmes, de la place pour 22.000 détenus et
un personnel de 12000 personnes. ». Cependant les Pays-Bas ont constaté
que cette politique était intenable et ont donc décidé de changer de cap
au travers du masterplan 2013-2018 prévoyant « la fermeture de 26
prisons et le licenciement de 3400 membres du personnel. »
Pour conclure… la prison, « un mal nécessaire » ?
La construction de nouvelles prisons pour répondre à la surpopulation
carcérale ne résout donc en rien le problème, bien au contraire. Quand
on sait par ailleurs, comme beaucoup d’études l’ont montré, que la
sévérité croissante des peines ne fait pas diminuer la délinquance [8]
et que, par contre, ce sont les catégories de personnes les plus
démunies qui sont très majoritairement incarcérées ou qui écopent de
plus lourdes peines, il semble urgent de mener une réflexion de fond sur
la politique carcérale menée dans notre pays.
Sans idéaliser le plan hollandais [9],
ce projet montre que la disponibilité ou non d’un parc pénitentiaire
joue un rôle important dans l’adoption d’une nouvelle politique. Plus
largement, il révèle qu’il est possible de mener cette nécessaire
réflexion. Questionner et dépasser les idées reçues sur l’utilité, le
rôle et le sens de la prison s’impose si l’on entend défendre un idéal
de justice, d’égalité et de démocratie.
Luk Vervaet, ancien enseignant à la prison de Saint-Gilles
Notes
[1] « Les statistiques pénales annuelles pour l’année 2013 », 2015. Ce rapport porte sur 49 pays.
[2] 84
parlementaires du CDH, CD&V, PS, Spa, Open VLD, MR ont voté pour,
12 parlementaires de Groen ! et d’Ecolo ont voté contre. L’ (extrême)
droite avec ses 26 parlementaires, dont la NVA, s’est abstenue, jugeant
la mesure « insuffisante et n’allant pas assez loin. »
[3] « En
2013, on dénombrait 70675 prisonniers dans les 65 prisons marocaines,
soit 11 436 nouveaux incarcérés depuis 2012, pour une capacité carcérale
estimée en 2011 à 40.000 places. Selon l’Observatoire marocain des
prisons (OMP), 79,33% des détenus sont "analphabètes ou ont un niveau
d’étude médiocre voire inexistant". Près de 55% de la population
carcérale y est constituée de jeunes qui ont moins de 30 ans. Et encore
l’OMP : outre la surpopulation, "les prisons rencontrent un grand nombre
de problèmes face à la corruption, aux drogues ainsi qu’à la présence
de prisonniers atteints de troubles mentaux". http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2014/01/belgique-en-quoi-un-petit-pays-peut-il.html
[4] un
enfant sur trois y vit dans la pauvreté, 40.000 personnes se trouvent
sur une liste d’attente pour obtenir un logement social, le taux de
chômage y est de 40 % dans certaines zones, dont entre 29,8 à 50 % de
jeunes
[5] comme la libération conditionnelle de Michèle Martin en 2011 ou les tueries à Paris et Verviers en 2015
[6] Comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants, Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à
la visite effectuée en Belgique, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2006.
http://www.cpt.coe.int/fr/etats/bel.htm
[7] Voir Monde Diplomatique de novembre 2015 : "Les Pays-Bas ferment leurs prisons", Léa Ducré & Margot Hemmerich. http://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/DUCRE/54148
[8] Voir à ce propos les travaux de la criminologue Charlotte Vanneste https://incc.fgov.be/vanneste-charlotte
[9] Il
faut quand même noter que si le pays défend depuis longtemps une
politique de réinsertion, les objectifs de la mesure dont nous parlons
sont surtout budgétaires et peu politiques
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire