Qu’il s’agisse de déchéance de la nationalité ou de la
situation en Corse, tout débat tourne à l’aigre, de là à l’acrimonieux
et enfin à la pure violence morale. Comment le Premier ministre, pris la
main dans le sac de l’extrême droite, ose-t-il déclarer que la gauche
« s’égare dans les grands principes » ? Comment peut-on
« s’égarer » dans les grands principes républicains ? Je dois en déduire
que Valls ne comprend pas ce que sont les « grands principes »
républicains, comment ils forment un tout, une cohérence où chaque
partie est liée aux autres pour former une doctrine définissant de façon
précise et singulière ce qu’est le Peuple, la Nation et la République.
Et le cas particulier de Manuel Valls ou de François Hollande rappelle
une évidence : il n’y a pas de République sans républicain. Si l’exemple
du mépris pour les principes fondateurs de la nation républicaine des
Français vient du sommet de l’État, on ne doit pas s’étonner qu’il le
soit ensuite publiquement par tous ses ennemis.
Non, Manuel Valls, nous ne nous égarons pas dans les grands
principes. Nous nous égarerions sans eux. C’est bien pourquoi de mon
côté je vois plus d’un trait commun entre le débat sur la déchéance de
la nationalité et les empoignades sur les graves évènements en Corse.
Pour moi, « on est chez nous » là où la loi s’applique à tous et où tous
sont égaux devant la loi. La loi, même injuste, est la volonté du
peuple et elle s’applique jusqu’à ce que le peuple la change. Ceci vaut
condamnation de ceux qui agressent les pompiers à Ajaccio comme de ceux
qui prétendent punir collectivement toute la population d’un quartier.
Pour avoir dénoncé les violences d’Ajaccio, et rappelé que cette
première en France intervient dans une ambiance locale spécifique, je me
vois reprocher une mise en cause collective « des Corses ». Comment
peut-on à la fois me reprocher de ne pas reconnaître le peuple corse et
de l’incriminer par une généralisation ? Comment croire sérieusement que
j’imagine une population française entière xénophobe ? Comment
pourrais-je sans cesse dénoncer que l’on essentialise la nationalité
comme je le fais contre le concept de « Français de souche » et
reproduire cette sottise dans l’analyse du cas particulier d’un
territoire français ?
C’est évidemment une ruse rhétorique de mes adversaires. M’accuser de
dénigrer le « peuple corse » est une autre manière de donner à celui-ci
une existence victimaire sympathique pour effacer la culpabilité des
actes racistes et de leurs auteurs individuels. J’y sens le traditionnel
fumet ethniciste relooké en élan compassionnel. Cette méthode prolonge
en direction des « Corses » la culpabilité collective imputée aux
habitants du quartier terrorisé. Or, pour moi, la responsabilité d’un
acte est toujours individuelle. Et si j’admets, comme je le fais
moi-même souvent dans l’analyse, que les conditions environnantes
sociales culturelles et autres concourent évidemment à la formation des
actes individuels, celles-ci ne peuvent fournir mieux que des
circonstances atténuantes. Jamais des excuses ni des légitimations.
Je demande que l’on comprenne mon point de vue dans sa cohérence
républicaine. On peut, de bon droit, ne pas la partager et même la
combattre. Mais pourquoi se sentir obligé d’y ajouter des incriminations
personnelles ? Pour moi il n’y a pas de « peuple corse ». Pour la
raison qu’en République il n’y a qu’un seul « peuple », celui qui fait
ensemble la loi qui s’applique à tous. Cette définition universaliste du
peuple ne vise donc pas spécialement les Corses, les Picards, les
Jurassiens ou qui vous voudrez. Elle s’applique à la définition de la
République. Cela n’empêche évidemment pas de dire que le corse est une
langue, qu’elle doit être librement enseignée et pratiquée sans créer de
droits spécifiques à ses locuteurs bien sûr, qu’il y a une culture et
une histoire singulière corse qui doivent être respectées et que de très
nombreuses personnes s’y sentent intimement liées.
Me sentant à la fois
méditerranéen et Franc-Comtois, je connais la sensibilité de ces
attaches. Mais cela n’a rien à voir avec la définition du peuple
politique. L’unité du peuple et de la communauté légale ne peuvent se
dissocier. Elles forment la pierre d’angle de la légitimité de la loi.
C’est pourquoi si notre République s’est proclamée « une et
indivisible », ce n’est pas à ses frontières qu’elle pensait mais
surtout au peuple qui la constitue.
Ceci nous ramène à Valls et Hollande et à leur réforme de la
nationalité française. Eux vont fabriquer un statut de « Français de
souche », à qui on ne peut retirer la nationalité, au prétexte de
« punir » des terroristes à qui on pourrait la retirer. Ainsi serait
créée la catégorie des Français « étrangers de souche », « les
binationaux » fabriqués par la trouvaille de Hollande empruntée aux Le
Pen. Mais on va voir, bientôt, que pour les définir il va falloir
avancer loin en infamie. Car être binational ce n’est pas un statut. Ce
n’est pas autre chose qu’une situation de fait. Il faut donc la prouver.
De plus, elle n’est pas toujours établie par la possession concrète de
deux passeports. Il va donc falloir que l’on définisse à partir de
combien de générations quelqu’un qui reçoit sa deuxième nationalité par
le droit du sang dans un autre pays n’est plus considéré comme
binational par la France. Le régime de Vichy a essayé de régler ce
problème. Donc Valls pourra lui emprunter ses trouvailles. Bon appétit !
Le fond de cette affaire, une fois de plus, est le même que dans tant
de polémiques qui nous ont opposés dans le passé à l’extrême droite,
aux communautaristes et aux ethnicistes en général. On gagne à en parler
ouvertement et clairement plutôt qu’à se livrer à des concours de
bien-pensance qui empêchent la réflexion libre et à des incriminations
personnelles qui sonnent comme des menaces dont on veut espérer que
personne ne veuille l’issue.
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