23/9/2015
Quinze ans après ses premiers voyages au Sahara, le journaliste (pour Radio-France notamment) Arnaud Contreras sort un livre de photos, “Sahara Rocks !” sur la culture du Sahara, musique comprise.
Inspiré
par la beat-generation et Alan Lomax, accompagné de son vieux Leica et
de pellicules noir et blanc, Arnaud Contreras montre l’étendue. Des
paysages, des problématiques (sédentarisation, exil, pollution), des
transformations – des musiciens traditionnels aux jeunes qui prennent
des poses de rappers, en passant bien sûr par les glorieux Tinariwen et
la génération des ishumars (ces Touaregs chômeurs devenus musiciens dans
les années 80). Aussi blond qu’un renard des sables et avec des
oreilles grandes ouvertes sur toutes les musiques sahéliennes, Arnaud
Contreras est l’homme de la situation pour parler de la situation,
peut-être pas aussi désespérée qu’on le dit ailleurs.
Quel a été ton premier contact avec le Sahara ?
En 94, j’ai mis les pieds vers Laâyoune au Sahara Occidental, par
hasard. J’étais avec des potes surfeurs qui voyageaient de spot en spot.
J’ai découvert la région, vers le Sud. J’ai rencontré des Sarhaouis et
quelques Touaregs, et j’ai commencé à m’y intéresser. Je commençais à
piger en journaliste, j’étais dans la dynamique de documenter. Mes
premières rencontres avec la musique du Sahara, c’est lors de ce voyage,
dans un petit port de pêche dans le sud du Maroc, où il y avait un bout
du Spiral Tribe, un gros sound-system du mouvement rave techno, du
sérieux. J’ai entendu de la musique, sans doute soudanaise, du Sud de
l’Algérie. La musique touarègue est venue plus tard, à partir de 98-99,
quand j’ai monté un projet qui s’appelait Sahara Fragile. L’idée était
de collecter la mémoire autour des patrimoines du Sahara. J’ai commencé à
aller en Libye, dans le Sud algérien, dans le Sahara Occidental. Le
soir, dans les campements en Libye, il y avait beaucoup de jeunes venus
de Tamanrasset ou du Nord de Mali, ils jouaient les tubes de Tinariwen,
mais je ne savais pas à l’époque que c’était Tinariwen. La musique a été
la porte d’entrée pour découvrir la société.
La musique tient quelle place dans les sociétés sahariennes ?
La musique est très présente et importante, mais elle n’est pas
centrale. Ce qui est central, c’est la survie aux éléments,
l’opportunisme climatique. La musique est devenue un pilier
d’affirmation culturelle et d’identification personnelle, pour les
jeunes qui se construisent là-bas, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur,
pour qu’on reconnaisse leur son, leur groupe. Quand j’ai rencontré ces
musiques-là, ça m’a rappelé mes propres identités, je suis basque et
breton, j’ai été élevé là-dedans, j’ai retrouvé les mêmes thématiques et
problématiques, les mêmes rapports aux musiques, aux traditions, aux
cultures. Il y a un terme que j’entends souvent, la
« conscientisation », en gros l’éveil.
Pourquoi as-tu continué à t’intéresser à cette culture ?
Un peu pour les mêmes raisons qui font que je suis très attaché à la
Géorgie : on s’y sent bien, on est dans des discussions à la fois très
simples et très élaborées, on peut parler poésie et cinq minutes après
parler du prix de la vache en Bretagne. La liberté des Sahariens, elle
est réelle : une liberté de mouvement, de comportement, une réelle
révolte avec des causes identifiées, et un environnement musical
incroyable. Le Sahara est un carrefour. J’ai découvert la musique
ivoirienne au Sahara, la musique égyptienne aussi. Je n’ai jamais mis
les pieds en Egypte, mais j’ai deux gigas de MP3 de psyché égyptien des
années 70, chargés à Tamanrasset. La Sahara c’est un hub. Tamanrasset en
Algérie, Tombouctou au Mali, Nouakchott en Mauritanie, ses villes sont
connectées à plein de choses. Le marché de la musique à Nouakchott, c’es
itunes dans la poussière, à un euro le giga. Le concept de liberté
n’est pas surfait là-bas. Ça ne veut pas dire liberté des comportements,
on est dans une aire musulmane, avec une culture à respecter. Je ne me
suis jamais pointé en short et tongs chez mes hôtes.
Il y a beaucoup de gens souriants dans ton livre…
Ce n’est pas une volonté d’écarter ceux qui font la gueule. C’est
parce qu’on se marre beaucoup avec les gens du Sahara. Tu passes ta
journée à blaguer. L’assouf, la nostalgie, elle est dans les chansons.
Mais ce sont quand même des chansons qui font danser les gens. Ça me
plaît beaucoup au Sahara, on se marre.
Pourquoi le point d’exclamation dans le titre de ton livre, Sahara Rocks ! ?
Parce que ça tremble, ce n’est pas mort, pas enterré. Sahara rocks !,
c’est le son des guitares électriques, mais aussi l’énergie de la
jeunesse, des nouvelles générations qui ont fait des études, qui
commencent à avoir des responsabilités, qui sortent de l’axe Nord-Sud
pour aller vers le Canada, les Etats-Unis, l’Asie, l’Inde. En France
aujourd’hui, on entend des spécialistes du terrorisme, des relations
internationales. Il y a une énorme crise dans le nord du Mali. Mais
toutes les jeunes qui sont exilés dans des camps ou des villes
aujourd’hui, ils rencontrent d’autres cultures, et c’est fantastique. A
la faveur de ces évènements tragiques, il se passe beaucoup de choses.
Est-ce que la musique a encore aujourd’hui un rôle de média, comme dans les années 80 avec les cassettes de Tinariwen ?
La musique de Tinariwen a un rôle de lien et de liant. Voir des gens
de différentes ethnies qui chantent la même chanson ensemble parce
qu’elle représente une identité saharienne, c’est fort. Tinariwen, Ali
Farka Touré, ce sont des figures sahariennes, au-delà d’être touareg ou
songhoi. Mais les cassettes on été remplacées par le téléphone portable,
WhatsApp, le bluetooth. J’ai un ami qui a inventé des boitiers
bluetooth, j’en ai emmené trois à Tombouctou en 2006, on les a installés
en ville. Quand les gens passaient près du boitier, leur téléphone
vibrait et ils pouvaient accéder à des vidéos. J’ai monté ça parce que
je m’étais aperçu que faute de réseau dans certains quartiers de
Tombouctou, les jeunes échangeaient énormément de données en bluetooth.
Je me suis intéressé à la diffusion de la musique, et des informations,
en bluetooth. Aujourd’hui, il y a plein d’endroits où il n’y a ni
l’électricité ni l’eau courante, mais il y a la 3 G. Quand je vais au
Sahara, j’emmène des gigas de musique. J’ai fait écouter Metronomy en
Mauritanie, ils ont adoré. Il y a beaucoup d’échange de musique, je
reçois le son d’aujourd’hui en provenance du Mali, du Niger, de
Mauritanie, de Libye. Je me dis que ce sera sur disque dans quinze ans.
il y a beaucoup de rap, de scansion traditionnelle sans beat derrière.
La poésie traditionnelle est en train de devenir des tubes. Ce n’est pas
du slam, c’est un poète qui déclame dans un micro saturé, c’est très
musical. Tous les jeunes sont au rap, au beatboxing. L’évolution de la
musique sahélienne, c’est dans les paroles du rap, offensives, libérées
des contraintes sociales et traditionnelles qu’il y a dans la musique
ishumar. Ils y vont, ils envoient. Ils parlent des trafics, de Kadhafi,
des barbus. On entend parler d’Oubari en Libye comme d’un repaire de
salafistes. Mais de là-bas je reçois plus de mails avec de morceaux de
rap que de prêches salafistes. Et il y a toujours énormément de guitare,
avec des jeunes très très bons dans la guitare traditionnelle. La
guitare touareg ne se renouvelle pas énormément, mais la musique
saharienne se renouvelle. Avec ces crises, ces exils, les musiques vont
se croiser, se rencontrer.
Est-ce que l’esthétique, la production, est influencée par le goût des occidentaux ?
Les albums, c’est toujours un problème dans cette musique. Il y a les
puristes, qui ne jurent que par le premier album de Tinariwen, Radio Tisdas, et ceux qui préfèrent une musique plus petergabrielisée. Mais l’ingé-son de Radio Tisdas,
c’est le même que celui des albums suivants, Jean-Paul Romann. Il y a
toujours cette idée, reprise par le marketing, de l’authenticité. C’est
un concept assez fatiguant. Le son authentique, c’est un faux débat
devenu un argument marketing. A chaque moment un son authentique : quand
ils jouent entre eux, quand ils jouent avec des étrangers, quand ils
jouent avec des gens d’autres ethnies. Je ne connais pas de gros clash
entre musiciens du Sahara et producteurs occidentaux, de musicien qui
dit « on m’a fait faire un disque que je déteste ». Il y a une confiance
entre les musiciens et les différents producteurs, qui mettent chacun
leur propre patte. Ça a plutôt bien réussi à Tinariwen. Mais sur des
productions d’autres musiciens, je trouve qu’il y a une patte molle
générale qui témoigne d’une flemme, d’un manque de travail. Les artistes
sont excellents, mais font des disques qu’on a entendus quinze fois.
La situation géopolitique au Sahara rend-elle la production de disques par des Occidentaux plus difficile ?
Ce qui est difficile, ce n’est pas de produire des disques, c’est de
faire tourner les groupes. Je pense à des producteurs, des managers, qui
ont pris des cheveux blancs à cause des histoires de visas, de
conflits, les tournées sont très compliquées à monter. Le groupe Tartit,
c’est sept femmes, qui vivent dans cinq pays différents. Comment tu
fais tourner ce groupe ?
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