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samedi 26 septembre 2015

Sahara Rocks !” : chèche, drugs and rock’n’roll

23/9/2015

Quinze ans après ses premiers voyages au Sahara, le journaliste (pour Radio-France notamment) Arnaud Contreras sort un livre de photos, “Sahara Rocks !” sur la culture du Sahara, musique comprise.

Inspiré par la beat-generation et Alan Lomax, accompagné de son vieux Leica et de pellicules noir et blanc, Arnaud Contreras montre l’étendue. Des paysages, des problématiques (sédentarisation, exil, pollution), des transformations – des musiciens traditionnels aux jeunes qui prennent des poses de rappers, en passant bien sûr par les glorieux Tinariwen et la génération des ishumars (ces Touaregs chômeurs devenus musiciens dans les années 80). Aussi blond qu’un renard des sables et avec des oreilles grandes ouvertes sur toutes les musiques sahéliennes, Arnaud Contreras est l’homme de la situation pour parler de la situation, peut-être pas aussi désespérée qu’on le dit ailleurs.

Quel a été ton premier contact avec le Sahara ?
En 94, j’ai mis les pieds vers Laâyoune au Sahara Occidental, par hasard. J’étais avec des potes surfeurs qui voyageaient de spot en spot. J’ai découvert la région, vers le Sud. J’ai rencontré des Sarhaouis et quelques Touaregs, et j’ai commencé à m’y intéresser. Je commençais à piger en journaliste, j’étais dans la dynamique de documenter. Mes premières rencontres avec la musique du Sahara, c’est lors de ce voyage, dans un petit port de pêche dans le sud du Maroc, où il y avait un bout du Spiral Tribe, un gros sound-system du mouvement rave techno, du sérieux. J’ai entendu de la musique, sans doute soudanaise, du Sud de l’Algérie. La musique touarègue est venue plus tard, à partir de 98-99, quand j’ai monté un projet qui s’appelait Sahara Fragile. L’idée était de collecter la mémoire autour des patrimoines du Sahara. J’ai commencé à aller en Libye, dans le Sud algérien, dans le Sahara Occidental. Le soir, dans les campements en Libye, il y avait beaucoup de jeunes venus de Tamanrasset ou du Nord de Mali, ils jouaient les tubes de Tinariwen, mais je ne savais pas à l’époque que c’était Tinariwen. La musique a été la porte d’entrée pour découvrir la société.


La musique tient quelle place dans les sociétés sahariennes ?
La musique est très présente et importante, mais elle n’est pas centrale. Ce qui est central, c’est la survie aux éléments, l’opportunisme climatique. La musique est devenue un pilier d’affirmation culturelle et d’identification personnelle, pour les jeunes qui se construisent là-bas, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur, pour qu’on reconnaisse leur son, leur groupe. Quand j’ai rencontré ces musiques-là, ça m’a rappelé mes propres identités, je suis basque et breton, j’ai été élevé là-dedans, j’ai retrouvé les mêmes thématiques et problématiques, les mêmes rapports aux musiques, aux traditions, aux cultures. Il y a un terme que j’entends souvent, la « conscientisation », en gros l’éveil.

Pourquoi as-tu continué à t’intéresser à cette culture ?
Un peu pour les mêmes raisons qui font que je suis très attaché à la Géorgie : on s’y sent bien, on est dans des discussions à la fois très simples et très élaborées, on peut parler poésie et cinq minutes après parler du prix de la vache en Bretagne. La liberté des Sahariens, elle est réelle : une liberté de mouvement, de comportement, une réelle révolte avec des causes identifiées, et un environnement musical incroyable. Le Sahara est un carrefour. J’ai découvert la musique ivoirienne au Sahara, la musique égyptienne aussi. Je n’ai jamais mis les pieds en Egypte, mais j’ai deux gigas de MP3 de psyché égyptien des années 70, chargés à Tamanrasset. La Sahara c’est un hub. Tamanrasset en Algérie, Tombouctou au Mali, Nouakchott en Mauritanie, ses villes sont connectées à plein de choses. Le marché de la musique à Nouakchott, c’es itunes dans la poussière, à un euro le giga. Le concept de liberté n’est pas surfait là-bas. Ça ne veut pas dire liberté des comportements, on est dans une aire musulmane, avec une culture à respecter. Je ne me suis jamais pointé en short et tongs chez mes hôtes.

Il y a beaucoup de gens souriants dans ton livre…
Ce n’est pas une volonté d’écarter ceux qui font la gueule. C’est parce qu’on se marre beaucoup avec les gens du Sahara. Tu passes ta journée à blaguer. L’assouf, la nostalgie, elle est dans les chansons. Mais ce sont quand même des chansons qui font danser les gens. Ça me plaît beaucoup au Sahara, on se marre.

Pourquoi le point d’exclamation dans le titre de ton livre, Sahara Rocks ! ?
Parce que ça tremble, ce n’est pas mort, pas enterré. Sahara rocks !, c’est le son des guitares électriques, mais aussi l’énergie de la jeunesse, des nouvelles générations qui ont fait des études, qui commencent à avoir des responsabilités, qui sortent de l’axe Nord-Sud pour aller vers le Canada, les Etats-Unis, l’Asie, l’Inde. En France aujourd’hui, on entend des spécialistes du terrorisme, des relations internationales. Il y a une énorme crise dans le nord du Mali. Mais toutes les jeunes qui sont exilés dans des camps ou des villes aujourd’hui, ils rencontrent d’autres cultures, et c’est fantastique. A la faveur de ces évènements tragiques, il se passe beaucoup de choses.

Est-ce que la musique a encore aujourd’hui un rôle de média, comme dans les années 80 avec les cassettes de Tinariwen ?
La musique de Tinariwen a un rôle de lien et de liant. Voir des gens de différentes ethnies qui chantent la même chanson ensemble parce qu’elle représente une identité saharienne, c’est fort. Tinariwen, Ali Farka Touré, ce sont des figures sahariennes, au-delà d’être touareg ou songhoi. Mais les cassettes on été remplacées par le téléphone portable, WhatsApp, le bluetooth. J’ai un ami qui a inventé des boitiers bluetooth, j’en ai emmené trois à Tombouctou en 2006, on les a installés en ville. Quand les gens passaient près du boitier, leur téléphone vibrait et ils pouvaient accéder à des vidéos. J’ai monté ça parce que je m’étais aperçu que faute de réseau dans certains quartiers de Tombouctou, les jeunes échangeaient énormément de données en bluetooth. Je me suis intéressé à la diffusion de la musique, et des informations, en bluetooth. Aujourd’hui, il y a plein d’endroits où il n’y a ni l’électricité ni l’eau courante, mais il y a la 3 G. Quand je vais au Sahara, j’emmène des gigas de musique. J’ai fait écouter Metronomy en Mauritanie, ils ont adoré. Il y a beaucoup d’échange de musique, je reçois le son d’aujourd’hui en provenance du Mali, du Niger, de Mauritanie, de Libye. Je me dis que ce sera sur disque dans quinze ans. il y a beaucoup de rap, de scansion traditionnelle sans beat derrière. La poésie traditionnelle est en train de devenir des tubes. Ce n’est pas du slam, c’est un poète qui déclame dans un micro saturé, c’est très musical. Tous les jeunes sont au rap, au beatboxing. L’évolution de la musique sahélienne, c’est dans les paroles du rap, offensives, libérées des contraintes sociales et traditionnelles qu’il y a dans la musique ishumar. Ils y vont, ils envoient. Ils parlent des trafics, de Kadhafi, des barbus. On entend parler d’Oubari en Libye comme d’un repaire de salafistes. Mais de là-bas je reçois plus de mails avec de morceaux de rap que de prêches salafistes. Et il y a toujours énormément de guitare, avec des jeunes très très bons dans la guitare traditionnelle. La guitare touareg ne se renouvelle pas énormément, mais la musique saharienne se renouvelle. Avec ces crises, ces exils, les musiques vont se croiser, se rencontrer.

Est-ce que l’esthétique, la production, est influencée par le goût des occidentaux ?
Les albums, c’est toujours un problème dans cette musique. Il y a les puristes, qui ne jurent que par le premier album de Tinariwen, Radio Tisdas, et ceux qui préfèrent une musique plus petergabrielisée. Mais l’ingé-son de Radio Tisdas, c’est le même que celui des albums suivants, Jean-Paul Romann. Il y a toujours cette idée, reprise par le marketing, de l’authenticité. C’est un concept assez fatiguant. Le son authentique, c’est un faux débat devenu un argument marketing. A chaque moment un son authentique : quand ils jouent entre eux, quand ils jouent avec des étrangers, quand ils jouent avec des gens d’autres ethnies. Je ne connais pas de gros clash entre musiciens du Sahara et producteurs occidentaux, de musicien qui dit « on m’a fait faire un disque que je déteste ». Il y a une confiance entre les musiciens et les différents producteurs, qui mettent chacun leur propre patte. Ça a plutôt bien réussi à Tinariwen. Mais sur des productions d’autres musiciens, je trouve qu’il y a une patte molle générale qui témoigne d’une flemme, d’un manque de travail. Les artistes sont excellents, mais font des disques qu’on a entendus quinze fois.

La situation géopolitique au Sahara rend-elle la production de disques par des Occidentaux plus difficile ?
Ce qui est difficile, ce n’est pas de produire des disques, c’est de faire tourner les groupes. Je pense à des producteurs, des managers, qui ont pris des cheveux blancs à cause des histoires de visas, de conflits, les tournées sont très compliquées à monter. Le groupe Tartit, c’est sept femmes, qui vivent dans cinq pays différents. Comment tu fais tourner ce groupe ?

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