Mohammed Belmaïzi

par Mohammed Belmaïzi, 9/11/2012


Ma pupille, chair de ma chair, tu veux connaître et assumer l’un des morceaux de l’histoire de tes origines, et tu me demandes un bref aperçu, alors qu’un livre ne suffirait pas pour traiter la question…

Mais voilà : « Daba » veut dire « Maintenant ; Aujourd’hui », son emploi veut dire au fond « Ici et Maintenant ». « Daba-Maroc » aura donc pour acception « le Maroc d’aujourd’hui ». Tel est l’intitulé qu’ont choisi les ingénieux acteurs de la culture pour promotionner artistes et écrivains du Maroc, à travers des activités culturelles en Belgique, notamment à Bruxelles. Ces festivités sont organisées par les Halles de schaerbeek en collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles (à l’initiative de Wallonie-Bruxelles International - avec le soutien du Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

Ma fille si chère, tu trouveras dans ce lien http://www.dabamaroc.com/fr/115/, tout le programme et l’ensemble des acteurs qui cautionnent ces festivités. Et déjà, les noms qui composent le « Comité d’Honneur au Maroc » : Ismael Alaoui, André Azoulay, Driss Khrouz, Amina Lemrini, prouvent s’il en est besoin, que ce sont des gens impliqués dans l’exercice du pouvoir, et habitués au sérail, solidaires des privilèges qu’ils en tirent, ainsi qu’aux dotations que leur prodigue le monarque de droit divin Mohammed VI. C’est que ces festivités sont organisées « en partenariat avec le Ministère de la Culture du Royaume du Maroc ». La présence du tonitruant ambassadeur du Maroc à Bruxelles Samir Addahre aux ouvertures de ces festivités prouve une participation financière conséquente (ce que la Commissaire Fabienne Verstraeten a clairement avoué dans l’émission « Le Forum de Midi » ce 25 octobre à la RTBF https://www.facebook.com/notes/la-premi%C3%A8re-le-forum-de-midi/ce-jeudi-25-octobre-%C3%A9mission-sp%C3%A9ciale-daba-maroc-blasph%C3%A8me-et-libert%C3%A9-dexpressio/452663228109229

Ces manifestations culturelles qui commencent le 3 octobre et s’arrêtent le 3 février, sont présentées d’une manière idyllique et alléchante pour contre-attaquer illico presto toute voix discordante. C’est ainsi que les participants, dupés ou consentants, sont présentés en tant qu’« artistes-citoyens ». Et comme on ne peut éluder le contexte dans lequel vont évoluer ces manifestations, il est dit que ces artistes sont « en prise avec les questions qui traversent le monde arabe aujourd’hui. La question de la démocratie, ou celle d’un ancrage dans la société… »

Ma fille, ces « artistes-citoyens » seraient-ils tous aveugles au point d’évoluer sous l’égide d’un pouvoir qui ignore le contrat social et le contre-pouvoir ? Seraient-ils aveugles devant le rafistolage et la manipulation de la fameuse Constitution présentée au vote en 2011 ? L’un des rédacteurs de cette Constitution, Mohamed Tozy, a révélé qu’elle a été retravaillée une fois entre les mains du monarque et de son entourage ! Elle est où la démocratie dont parlent les promoteurs de « Daba-Maroc », lorsqu’on sait que selon cette fameuse Constitution, tous les leviers du pouvoir sont concentrés dans les mains du monarque de droit divin ? Alors que la notion alléchante « artistes-citoyens » ne peut être étayée valablement, lorsqu’on sait que le peuple n’est désigné que par l’étiquette péjorative et dégradante de « Sujets » : « les Sujets du roi » !

Malhonnêtes à ce point, nos intellectuels ? Non, il faudrait leur laisser cette marge de bénéficier du doute.

Car, ma fille vois-tu ? Le présupposé majeur de toute cette falbala réside dans le « Daba », ce « présent et cet aujourd’hui du Maroc » dont je t’ai parlé plus haut, et qui met ce pays dans la sphère de la sacro-sainte « Exception »… Un pays si paisible et si stable, très loin de la tourmente et des ébullitions qui ne cessent de secouer le monde. Et surtout « passez votre chemin, il n’y a rien à voir ! ». Il n’y a jamais eu de « roi prédateur » et « il faut nous soutenir contre les ennemis de notre pays et de nos traditions » ! Il n’y a jamais eu de « Mouvement du 20 février » que les « amis » du Maroc (l’Etat Français ; l’Etat Belge…) font tout pour étouffer au nom de « Notre ami le roi », à l’instar de « Notre ami Ben Ali » que le peuple tunisien a fini, en dépit de leur soutien ignominieux, par le faire « Dégager ».

Ma fille, en réalité ce « Daba-Maroc » est un mini « L’Année du Maroc » en Belgique au moment où la contestation contre ce régime se précise et s’organise pour l’instauration d’un Etat de Droit. Il est fort navrant de voir l’un des immenses poètes marocains, Abdellatif Laâbi, participer à cette fanfreluche pour soutenir un régime qui n’a rien changé de ses réflexes autoritaristes et tortionnaires (Juan Mendez, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, vient d’accabler cet Etat qui endosse nombre de violations des droits humains et qui pratique honteusement de la torture…). Comment ce poète qui était l’initiateur de « L’Autre Maroc » en réaction à « L’Année du Maroc » en France en 1999, si engagé contre l’inhumain, joue aujourd’hui la carte d’un système qui n’est pas prêt à changer ni à faire décoller le pays vers le progrès et la prospérité ? Mystère !

Ma fille, des jeunes débordant de vie et frétillants d’espoir sont en prison, parce qu’ils militent dans le Mouvement du 20 février ; un mouvement pacifique, organisé et civilisé en vue d’un authentique changement. La liste est longue de ces prisonniers, nos héros. Et les condamnations pullulent et vont jusqu’à 12 ans.

Et je veux mentionner ici que le poète marocain Younes Benkhdim est en prison pour 2 ans. Son seul crime est celui de militer au sein du Mouvement du 20 février. Un rappeur marocain Mouad Belghouat, alias Al 7aked, est en prison pour un an. Ne sont-ils pas des « artistes-citoyens » pour « Daba-Maroc » ? Et que dire du cas du journaliste Ali Lmrabet interdit d’exercer sa passion de journaliste pour dix ans, et qui continue à subir des vexations indignes de la part d’un pays qui se dit « démocratique » ? Sans parler de nombreuses censures et interdictions de journaux suivie de persécution éhontée de nos meilleurs journalistes !

Et contre ces violations et ce despotisme, ma fille adorée, allons-nous croire que nos intellectuels (soutenus par les intellos de service), ceux qui sont bien consentants pour faire la promotion de « Daba-Maroc » ne soufflent mot… ?!

Mais le plus saillant et le plus lumineux dans cette gesticulation culturelle d’« artistes-citoyens » en vue de redorer le blason d’un Mekhzen aux abois, et de lui restituer une certaine virginité chirurgicale, c’est la manifestation que l’ambassadeur marocain à Bruxelles Samir Addahre a organisé ce 4/11/2012 pour le « Sahara Marocain » ; un conflit, pourtant entre les mains des instances internationales : http://www.youtube.com/watch?v=R657ZPMJ1g0

Qui ne peut être convaincu que c’est dans la foulée de « Daba-Maroc » que la politique politicienne se déploie sans sourciller, en pleine lumière du jour ? Et voilà nos intellectuels bien piégés pour ne pas dire escroqués et ridiculisés pour avoir souillé le concept de « l’autonomie de la culture » vis-à-vis de la politique politicienne. Seule éthique pourtant pour exiger un monde sans corruption, sans prédations, sans despotisme, sans manipulations, sans mensonge et sans injustice.

Ma pupille, chair de ma chair, il y a un autre présupposé à « Daba-Maroc ». Celui de choisir entre le choléra et la peste : l’islamisme (les analyses de nos intellos, à ce sujet, sont restés dans le stade primitif et phobique…) et la démocrature (mirage bourré de despotisme et de culte de la personnalité…). J’y reviendrai une autre fois.

Mais, ma fille aimée, ton papa ne tournera jamais sa chemise pour quelques dirhams. Il ne soutiendra jamais le despotisme… si éclairé soit-il ! Et la culture pour lui, reste la seule porte ouverte sur la fierté d’exister, la liberté et le combat contre les petitesses et les calculs qui offensent et humilient les amoureux du clair de lune.


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Puissant ce témoignage ma chère Greta. Merci de porter un éclairage percutant sur ces rouages ignominieux qui prennent la culture en otage!
Mon ami Mohammed Belmaïzi dans son très bel article intitulé : « DABBA expliqué à ma fille » critique l’initiative, et à juste titre.

Je ne vais pas reprendre ce qui est décrit dans son article, mais j’ai une anecdote à raconter qui renforce ce qu’il a écrit. J’ai assisté à la journée et aux débats organisés dans lecadre de DABBA dont le titre était : « ART et POLITIQUE ».

Hmmm, me suis-je dit : intéressant, voyons comment les artistes et les écrivains marocains traitent de ce qui se passe au Maroc « maintenant » du point de vue politique et artistique. Donc dans mon esprit, les intervenants allaient parler de leur terrible expérience carcérale évidemment, mais aussi du Mouvement du 20 février, des innombrables atteintes aux droits de l’homme, des arrestations arbitraires d’artistes et de militants, de la misère dans le pays, du statut de la femme, etc etc, enfin en gros de tout ce qui concerne le Maroc « maintenant ».


Eh bien, et avec tout le respect qu’on leur doit et que j’ai vraiment pour eux, les intervenants, dont Abdellatif Laäbi, qui ont subi l’horreur, la torture et l’enfermement dans les bagnes de feu Hassan II durant les « années de plomb » et qui l’ont relaté dans leur écrits, leurs poèmes, leur théâtre, eh bien ils me donnaient l’impression de ne pas vouloir parler du présent.


Il aura fallu plus de deux heures d’exposé et de débat pour qu’enfin l’un d’entre eux, Dris Bouissef Rekab, évoque rapidement le « mouvement du 20 février ». Je suis donc restée sur ma faim car ce que je désirais c’était connaître leur avis sur la situation de la politique et comment elle est transmise dans l'art au Maroc « maintenant ».


Pour être honnête, j’en ai appris un peu plus grâce à Fatna El Bouih, la seule femme parmi eux, qui est membre de l’observatoire marocain des prisons ainsi que de l’association de soutien aux mères célibataires.


J’avoue que j’ai été très frustrée de ne pas avoir entendu ces intervenants débattre de la situation actuelle au Maroc. Est-ce un hasard ? Leur aurait-on demandé de ne pas aborder le sujet ? Et pourquoi ? La question reste posée.


Alors cerise sur le gâteau, lors de l’interruption « déjeûner », j’ai une conversation avec la directrice du Festival qui me demande si je vais rester pour la séance de l’après-midi, « car il n’y a pas vraiment beaucoup de monde » me dit-elle. Et en effet, nous n’étions que vingt ou trente participants à cette journée. Pourquoi ?


Les marocains de Belgique ne s’intéressent-ils pas à ce qui se passe actuellement au Maroc ?Préfèrent-ils l’ignorer ? Une autre raison serait-elle « la peur » ?


La peur, oui. Car depuis des années, depuis le début de l’immigration marocaine en Belgique, nombreux sont les belges d’origine marocaine qui ont peur. Peur d’une espèce de police politique marocaine qui sévit impunément en Belgique dès que quelqu’un exprime un peu trop ouvertement des critiques à l’encontre du régime, peur qu’il y ait des retombées sur leurs familles restées au pays, peur d’être agressés bien que vivant en Belgique.


Des exemples d’agression on en connaît beaucoup, comme celle tout dernièrement contre Tarik El Makni et Mohamed Tsilla lors de la marche du dimanche 4 novembre organisée par l’ambassade du Maroc à Bruxelles, marche qui revendiquait la « marocanité du Sahara Occidental ». Mais qu’en est-il de celles qu’on ne connaît pas…


Donc la majorité d’entre eux se taisent et ne vont évidemment pas assister à une conférence sur l’Art et la Politique dans le cadre du festival DABBA, de peur de se retrouver nez à nez, et surtout d’être repérés, par l’un ou l’autre des « flics » à la solde de l’ambassade et du régime dictatorial du Maroc.


Voilà, c’est dit !

Merci aussi à Saïd Karaoui pour son très bel article sur la marche pour la Marocanité du Sahara Occidental.