Par Chawqui Lotfi,
Et à la crise politique peut se conjuguer
une crise économique, qui rendrait la situation très vite
explosive. Chawqui Lotfi est militant de Solidarité pour une alternative socialiste
une petite organisation de la gauche marxiste marocaine. Il trace un
panorama tout a fait intéressant de la situation dans le royaume
chérifien et des perspectives qu'il ouvre pour des forces se réclamant
du socialisme.
La situation du Maroc peut faire croire a une (relative)
stabilité, mais cela ne tient pas compte de l'échec de la "démocratie"
tout a fait partielle et irréelle qui laisse apparaitre le système, le
makhzen dans toute sa brutale réalité. Et à la crise politique peut se
conjuguer une crise économique, qui rendrait la situation très vite
explosive. En attendant, l'avis d'un militant impliqué dans les luttes
de classes de ce pays sont très utile à la compréhension globale de la
situation.
Au Maroc, il n’y a ni transition démocratique, ni dialogue sociale : il n’a que la guerre sociale contre les classes populaires.
Le « nouveau règne » n’a pas débouché sur un « nouvel concept de
l’autorité », ni sur l’ouverture d’un espace démocratique autonome du
pouvoir, ni sur l’amélioration même partielle des conditions de vie de
la grande majorité. En réalité, la répression n’a jamais cessé. Ce qui a
changé, c’est les formes qu’elle prend et son intensité. Après la
longue nuit des années de plomb, le pouvoir a cherché à
institutionnaliser les oppositions, intégrer la « société dite civile »,
récupérer et détourner les revendications, à épuiser les mobilisations
en les laissant isolées, en opérant parfois des concessions formelles.
Il a réussi à intégrer, acheter, corrompre les « oppositions », à gagner
du temps en jouant sur le renouvellement de « la façade démocratique »
et par l’instauration d’un pseudo « dialogue social ». C’est ainsi qu’il
a pu concéder une marge à la contestation, opérer une répression
sélective, tout en s’assurant que ne se construise pas une force
enracinée, sociale et politique, capable d’articuler les luttes autour
des perspectives communes. Ce qui a changé depuis, et on trouve les
signes de ce changement bien avant l’éclosion du M20F, est la gestation
d’un mouvement populaire qui lutte sans les partis de la « façade
démocratique », les directions syndicales corrompues et sans accorder la
moindre confiance aux relais du pouvoir. Et qui lutte d’une manière
souvent déterminée. On se rappelle des mobilisations populaires de
Bouarfa, des dynamiques révélées par les coordinations contre la vie
chère, de la révolte populaire de Sidi Ifni pour ne prendre que ces
exemples.
Cette nouvelle vague de la lutte des classes a connu depuis une accélération sous l’impact combiné de deux facteurs :
• Le développement de la crise du capitalisme mondial : la
bourgeoisie prédatrice dont le bras armé est le palais ne peut tolérer
des mobilisations populaires contre les politiques de paupérisation.
Toute sa politique vise à élargir l’austérité et les conditions de la
surexploitation. L’augmentation des prix de gazoil à celui des denrées
alimentaires, la remise en cause de la gratuité de l’enseignement
public ; les lignes directrices de la loi de finance, leur volonté de
casser le droit de grève, le gel des salaires ne sont que les aspects
les plus connus. Elle ne peut accepter l’extension géographique des
mobilisations sociales qui mettent en mouvement « les dépossédés », elle
ne peut accepter que les campagnes que le pouvoir pensait contrôler, se
réveille, ni l’extension des terrains de luttes qui ne sont que le
revers d’une violence sociale généralisée. Car si il y a une
« nouveauté » de la situation, c’est que tout devient un terrain de
confrontation : l’insalubrité des logements et la spéculation
immobilière, le délabrement des hôpitaux publics, l’absence d’emploi,
l’augmentation des prix et des factures d’eau et d’électricité, la
marginalisation de régions entières qui n’ont droit à rien, la baisse du
pouvoir d’achat, les retraites volées et non payées, l’arbitraire
généralisé, un enseignement qui exclut les pauvres, la faiblesse des
salaires, les transports publics, les expropriations de la terre et on
peut allonger la liste.. Le pouvoir ne peut accepter que les habitants
des quartiers populaires qui constitue le cœur du prolétariat informel
revendique, il ne peut accepter que Chlihat et Beni Bouayach entrent de
plein pied dans le Maroc de la contestation. Car satisfaire les
revendications, répondre à l’urgence sociale est antagonique avec la
logique prédatrice et la dictature du (sur)profit du capitalisme
dépendant.
Mais ce qu’il ne peut accepter, et ce qui affole ce pouvoir, est que
des forces nouvelles, parfois, souvent sans tradition de lutte résiste
avec détermination malgré la répression. Et dont les revendications ne
sont pas solubles dans un tour de passe-passe constitutionnel ou une
quelconque alchimie électorale. La répression c’est d’abord cela : une
violence politique organique d’une classe dominante dont les intérêts
matériels sont liés à un ordre social toujours plus inégalitaire et à la
violence sociale et prédatrice de l’accumulation capitaliste. La
répression est un élément structurel du pouvoir pour maintenir et
reproduire le despotisme social et économique. D’autant plus dure quand
les formes de luttes mises en avant sortent des schémas classiques de
sit-in ou manifestations et prennent la forme d’une occupation des
lieux, des voies ferrées, des routes, quand on bloque le fonctionnement
normal de l’économie. Nos camarades chômeurs de Khouribga et D’Asfi en
savent quelque chose.
• Le deuxième facteur est lié à la crise de la façade démocratique.
Le recours au PJD n’offre aucune garantie sur la durée. Le soutien de
ce dernier aux politiques antipopulaires, au tournant répressif avec un
profil idéologique ultra réactionnaire, sa lutte symbolique contre la
corruption, son incapacité à imposer la paix sociale, montrent les
limites d’une démagogie quand elle est confrontée aux décisions réelles
que lui dicte la classe dominante des prédateurs. La monarchie peut de
moins en moins masquer sa responsabilité centrale dans la dilapidation
de richesses publiques, dans la corruption institutionnalisée, dans la
mainmise des ressources par une minorité. Le pouvoir absolu ne se
partage pas. Mais un pouvoir absolu qui ne peut s’appuyer sur des relais
politiques et sociaux crédibles dans la société (relais qui par le
passé ont pu jusqu’à un certain point canaliser le mécontentement), tend
à créer les conditions d’un vide politique et les possibilités d’un
choc frontal avec les majorités populaires.
Nous ne sommes plus dans la période du nouveau règne où les illusions
d’un changement progressif, d’une transition démocratique en douceur
avait un appui relatif dans la société. Le Roi des pauvres est devenu le
Roi de l’impunité, des richesses colossales. Le roi démocrate est
devenu Le Roi de la matraque, de la torture et de l’impunité des
militaires. Et rien ne vient enrayer dans la conscience populaire que ce
système politique ne sert que les puissants et les corrompus. Cette
perte de légitimité a été accélérée par le M20F qui a fait la
démonstration que l’on pouvait construire un mouvement de masse
démocratique dans la lutte et par la lutte et que la démocratie ne
viendra pas d’en haut et se heurte à la nature despotique de l’ensemble
du système politique en place. La répression est aussi cela : une
réponse à la crise de légitimité de la façade démocratique vidée de
toute substance et réduite à une pièce de théâtre avec des acteurs de
seconde zone tout juste capables de jouer les bouffons de sa majesté,
une réponse à la maturation d’une critique de la rue, de Tanger à Tata
où le rapport d’obéissance au commandeur des croyants a fait place à
l’exigence de la liberté et dignité et au refus radical d’être cantonnée
au statut de sujet.
Quand El Haked fait l’objet d’une vengeance d’Etat c’est exactement
pour cela, ses chants portent une autre légitimité, sans tabous, sans
respect des sacralités où le peuple trouve sa propre voix. Et cela est
impardonnable pour un régime pour qui la seule devise acceptable est
« Dieu, la Patrie, le Roi », un régime qui sait que les mots ne sont pas
que des mots mais un moyen de réveiller ou d’enterrer une nouvelle fois
les morts et les vaincus, les espérances enfouies de tout un peuple. Il
s’agit pour le pouvoir de stopper net les processus sociaux et
politiques qui remodèlent la conscience collective des masses
populaires, en « rétablissant l’autorité de l’Etat » (elle a donc été
ébranlée ?), en avertissant tout le monde que les années de plomb
n’appartiennent pas au passé. Si jusqu’ici, il a évité l’explosion, le
climat général est celui d’une montée des luttes, même si celle-ci n’est
pas linéaire et rencontre des obstacles. Le pouvoir se prépare à
utiliser la force brute et généralisée. Vieille loi classique quand il
n’y a plus de « consentement « des opprimés, reste la coercition. Quand
la « façade démocratique « ne canalise plus rien, il reste le noyau dur
de l’appareil d’Etat : son appareil répressif.
• C’est donc la combinaison et l’approfondissement de la crise
sociale et politique dans un contexte marqué par la crise du capitalisme
mondial et l’irruption des peuples de la région sur la scène politique
qui constitue la colonne vertébrale de la guerre répressive que mène le
palais contre notre peuple et ses militants. En réalité, et c’est un
point sur lequel nous voulons insister, il se prépare à faire face à
l’éventualité d’un embrasement généralisé. Il y a une volonté délibérée
d’affrontement avec une volonté de tester les capacités d’intervention
des forces de l’ordre entièrement rééquipées et formatées pour faire
face aux « mouvements sociaux ». Tant le matériel utilisé que les
tactiques d’intervention montrent que le régime a bien travaillé pendant
nos manifestations « silmia » du dimanche. Il s’est doté d’un
commandement unifié et mobile capable de coordonner dans les conditions
les plus diverses l’action répressive : dans les périphéries des villes
sur la question du logement, au cœur des grandes villes contre les
manifestations syndicales et les actions revendicatives, dans les
régions plus enclavées. Mettre sous état de siège, expéditions
punitives, répression de masse et ciblée, tactiques de harcèlement et de
dispersion, combinaison des services sécuritaires et armées. En réalité
le pouvoir vise à court terme trois objectifs :
• En imposant des arrestations de masses et de lourdes condamnations, il vise à la fois à décourager les résistances en montrant que le prix à payer est très lourd mais aussi à reconfigurer les objectifs de lutte
en imposant une lutte de longue durée pour la libération des détenus en
espérant que cette lutte ne regroupe que les éléments les plus
déterminés et ne prennent pas un caractère de masse.
• Eviter les risques d’explosions populaires même localisées
qui peuvent avoir un effet de contagion non maitrisé surtout dans les
régions qui ont été marquées par une longue marginalisation ou qui ont
fait preuve par le passé d’une grande combativité (le Rif par exemple )
• Affaiblir les équipes militantes, démanteler les mouvements sociaux combatifs, décourager la participation populaire.
Il s’agit en réalité à la fois d’affaiblir les « cadres organisés mais
aussi de faire face aux luttes spontanées ou semi spontanées et de tuer
dans l’œuf la combativité émergente et les possibilités de jonctions
entre les courants militants radicaux et les résistances populaires. Le
pouvoir a adopté une stratégie de harcèlement continue visant à nous
mettre sur la défensive. C’est le défi qui nous est posé. Mais l’erreur
serait d’avoir une lecture statique du tournant répressif. De ne pas
voir son caractère durable et global. Il sait que le feu couve partout,
ne s’éteint pas, se propage dans un embrasement lent. Même si l’incendie
n’est pas encore déclaré, Il se prépare à l’affrontement global. La loi
sur l’impunité des militaires ne signifie rien d’autre que le droit de
réprimer dans le sang pour sauver le trône. L’augmentation du budget
d’armement, le renouvellement des contrats militaires et de l’équipement
des forces de l’ordre en matériel répressif de tout ordre, les contrats
signés avec la Russie, allié des dictatures les plus sanguinaires, le
soutien accordé par les USA qui confirment le statut d’allié majeur hors
Otan de l’Etat marocain, l’appui de l’état français plus soucieux de la
défense des intérêts des multinationales que du sort du peuple
marocain, tout cela indique que la machine de guerre du pouvoir se met
en place. En réalité, nous sommes dans une situation mouvante où les
bruits de bottes s’agitent devant « l’ennemi intérieur », où les balles
de caoutchouc précédent les balles réelles. Exagéré ? Seulement pour
ceux qui ont la mémoire courte et ne voit pas que le régime ne reculera
devant rien pour se maintenir.
Contre la répression et la dictature : marcher sous le feu de l’ennemi.
Ne rien céder. D’abord en revendiquant que la lutte contre la
répression doit être au cœur de le lutte pour l’émancipation sociale et
démocratique. La question qui est concrètement posée n’est pas celle de
faire pression pour arracher une signature de l’état des conventions
internationale sur la torture, la peine de mort ou les droits des
prisonniers et l’amener à respecter ses engagements ou le dénoncer quand
il ne le fait pas. Bataille de Sisyphe où l’on demande aux ennemis de
la démocratie de devenir des démocrates. Il ne s’agit pas non de
dénoncer la répression comme un simple effet naturel, logique de la
nature antipopulaire et antidémocratique du régime mais bien d’avancer
des revendications, des objectifs de luttes qui permettent aux secteurs
populaires de réaliser que si elles veulent satisfaire leurs aspirations
et revendications les plus immédiates, elles n’auront pas d’autre choix
que de s’unir et de faire face à l’appareil gouvernemental répressif.
La lutte pour le droit démocratique de manifester, de s’organiser, de
s’exprimer n’est pas séparable de la lutte pour la satisfaction des
revendications sociales. Tout comme la légitimité de résister par tous
les moyens, y compris par l’autodéfense collective et la confrontation
de masse face à l’Etat policier.
En réalité, la lutte démocratique de masse doit viser le
démantèlement de l’ensemble des appareils de répression et des
institutions du pouvoir, à réaliser l’unité organique de la lutte contre
l’exploitation, la dépendance et le despotisme. Elle n’exclut pas des
objectifs spécifiques plus immédiats qui est celle de l’amnistie
générale des prisonniers politiques et du mouvement social, la fin de
l’impunité des tortionnaires et des responsables des crimes économiques
et politiques, mais nous devons intégrer ces objectifs immédiats à des
objectifs plus larges visant à mettre fin à la répression globale et au
système politique qui la nourrit. Dans cette perspective, ce qui importe
est la capacité à donner un caractère populaire à la lutte contre la
répression. C’est possible comme le montre, malgré des limites et
difficultés, les initiatives de masses qu’ont pu prendre nos camardes
étudiants de Fes au moment de la grève de la faim de Rouissi et de ses
camarades. C’est possible comme en témoigne les résistances portées dans
le rif et à taza. Mais l’enjeu est bien de donner un caractère national
à cette dynamique, qui va bien au-delà des caravanes de solidarité
ponctuelles ou des communiqués de soutien. C’est d’une manière
consciente, prolongée, que la lutte contre la répression et pour la
libération des détenus doit être au cœur des différents fronts de
luttes. Y compris sur le terrain international.
Une des faiblesses du régime tient à sa volonté de préserver son
image extérieure qui lui donne l’illusion d’une exception marocaine.
L’impérialisme, fidèle soutien est prêt d’une manière pragmatique à
lâcher tout régime qui lui parait incapable de mater la rébellion et
d’assurer ses intérêts fut-il son allié de toujours. La façade
démocratique et l’intégration soumise à la mondialisation capitaliste a
permis de renouveler des soutiens neo coloniaux mais une des taches est
justement de réduire ce soutien, de l’isoler sur le plan international,
d’exiger l’arrêt des coopérations sécuritaires et militaires, de mettre
fin au silence médiatique qui masque la réalité de l’autre Maroc.
Travailler à l’émergence d’une solidarité internationale est d’une
nécessité absolue pour l’obliger à reculer et de le faire dégager
demain. La lutte pour la révolution populaire continue !
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