Par Mohammed Larbi Benotmane, Lakome, 24/8/2011
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Mohammed Larbi Benotmane |
Devant tant d’anachronismes, de tâtonnements et d’indécisions de la part du Pouvoir durant ces dernières années, on se demande si une logique gouverne véritablement ses actions. N’existe-il pas une légitimité à s’interroger sur ses capacités à disposer d’un bon projet pour diriger le pays et le faire avancer vers un lendemain meilleur ?
Durant le règne précédant l’affaire était entendue. Le développement humain et économique n’était pas la priorité. Ce que recherchait le pouvoir makhzanien était, comme il ne s’en cachait pas d’ailleurs, de tenir le pays. De le tenir par tous les moyens possibles. Cela n’excluait qu’en parole la violence, la peur, la répression, la démagogie, la soumission ou la ruse. Et encore, cette liste n’est pas limitative. Tous les moyens justifiaient cette fin pourvu que le régime en sort toujours renforcé. Son crédo était de tenir le pays pour se maintenir sans aucun partage du pouvoir. En somme, l’absolutisme dans toute sa splendeur.
Les résultats de cette politique sont connus : des « années de plomb » marquées par la torture, les disparitions et les emprisonnements abusifs, une corruption endémique, un classement aberrant dans tous les domaines du développement humain, des systèmes d’éducation et de santé à faire honte, une élite politique décrédibilisée et quasi irrémédiablement noyautée. En foi de quoi, il est vrai, le régime s’est maintenu envers et contre tous. Il a même trouvé des laudateurs et des inconditionnels pour l’applaudir ou le rejoindre même après avoir lourdement gouté sa répression.
D’un point de vue purement masochiste, ceux-là peuvent dire, et parfois le disent de façon effrontée, que le système de pouvoir précédant avait au moins un projet, celui de continuer de se renforcer et de perdurer. Et que, en amont, il s’était doté d’une philosophie d’action et d’une réflexion ; funeste et affligeante soit-elle, pouvaient-ils ajouter. C’est le passé, notre pitoyable passé que d’aucuns, malgré ses tares et ses abus, continuent de justifier.
L’actuel système peut-il se prévaloir lui aussi d’un projet de la même espèce et du même acabit. Foncièrement, il a surtout copié les tares et l’idiosyncrasie de son prédécesseur. Il a voulu la continuité dans la continuité, avec juste des retouches et sans rien changer au fond. Depuis son avènement, ce choix lui confère une mission claire, celle de ne pas s’imaginer autre chose qu’une une sorte d’exécuteur testamentaire.
Ce faisant, il n’a pourtant pas beaucoup amélioré le bilan hérité. Les indicateurs sont tout aussi mauvais, la gouvernance est déficiente et les résultats se font attendre. Le régime s’est même fourvoyé dans une répression inacceptable à des années lumières de l’Etat de droit démocratique. L’offensive contre les tenants du salafisme, du moins ceux réprimés du fait de leur seule conviction, en est l’exemple emblématique. Cette offensive a donné au système actuel des titres incontestables pour se targuer d’avoir eu lui aussi sa période de «plomb». Plus, au vu du nombre de condamnés et de la proportionnalité des sanctions prononcées, le régime actuel a battu bien des records répressifs de son prédécesseur. Aujourd’hui, cette offensive apparait comme un reflexe directement inspiré du passé et dénué d’intelligence politique dont on se demande comment le régime va s’en dépêtrer.
Le secteur des médias qui souvent apparaissait comme porteur d’une conscience politique et porte-parole des frustrations citoyennes a dû faire face à une scandaleuse campagne pour museler et faire taire tous ceux qui se rapprochaient de la parole critique et des lignes dites rouges. Les titres et les plumes les plus prometteurs ont ainsi été éliminés par le recours à des condamnations privatives de liberté, d’interdictions d’écrire et d’exercer ou de paiement d’amendes astronomiques. Le tout pour tuer toute sérieuse liberté d’expression. Mais, là aussi le Pouvoir s’est fourvoyé. Il n’a pas vu venir le phénomène du média digital qui donne plus de liberté à l’expression, l’a rend plus accessible et pratiquement hors de sa portée. Aujourd’hui, ce nouveau média est un véritable exutoire et un champ où la liberté de parole s’épanouit comme jamais. Il y apparait en tout cas largement défait et artificiellement incrusté. Donc, sur ce terrain également, l’actuel régime ne fait pas mieux, à moins qu’il ne soit en train de faire pire que ce qu’aurait fait celui à qui il a succédé.
En somme, en ces domaines comme en d’autres, il est aujourd’hui notoire que ce régime n’a pas su donner à ses thuriféraires des raisons valables d’y croire, une réflexion à amplifier et encore moins une philosophie où s’accrocher, à l’image de son prédécesseur. Il ne les a dotés que de simples réflexes et d’aptitudes mimétiques calqués sur le passé. Ceux qui opèrent pour lui ne sont pas en effet dans des prédispositions créatives. Ils recherchent en majorité à perpétuer l’existant calqué sur le passé, à gagner de l’argent, à renforcer leurs privilèges, et en tout cas à éviter d’en être exclus. Or, faute d’une réflexion et d’une vision d’avenir, politiquement le régime réagit seulement à ce que la société lui renvoie au visage. Une manière d’être bel et bien dans la perte d’initiative. Ce qui en soi est de mauvais augure. Car dans de telles situations d’inaction et d’inanité, au lieu d’être proactif et maître de son initiative, le décideur est forcément en situation de simple réaction par rapport à ce qui lui tombe dessus. Ce qui en politique s’analyse volontiers comme les prémices de dérapages et de catastrophe annoncés.
La séquence de la réforme constitutionnelle que le pays vient de vivre est un parfait exemple de cette perte d’initiative. Normalement, elle aurait pu être un élément fondateur de l’actuel régime. Il n’en a rien été. Comme initiative, elle est le fait exclusif du Mouvement du 20 Février. Le Pouvoir s’en est saisi à son corps défendant. Il a concocté un texte, l’a revu et finalement officialisé à sa manière. Mais a-t-il pris la mesure de la revendication de ceux qui l’ont réclamé non pas dans le but de réformer pour réformer mais pour instaurer une véritable monarchie parlementaire ? Les manifestations qui continuent encore et encore, plus fortes qu’avant cette officialisation, sont une réponse étourdissante à cette question.
Plus concrètement, le Pouvoir en perte de vitesse est donc loin d’être demeuré maître de ses initiatives. A-t-il compris au moins que l’avenir lui impose dans son intérêt d’accepter la présence de contre –pouvoirs pour l’accompagner, lui résister, le stabiliser et le guider. Il est évident que jusqu’ici, il a plutôt signifié qu’il a du mal à comprendre ce qui change autour de lui. Pourtant, accepter ces contre-pouvoirs n’est rien d’autre qu’une simple et nécessaire modalité de fonctionnement de la Démocratie.
Ne pas l’accepter, c’est rendre les vents du changement plus intenses et plus fougueux. Ce qui a le mérite naturel de les rendre irrésistible.
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