La valise diplomatique
Par Ali Chibani,Le Monde diplomatique, 8/4/2011
« Maintenant que l’attention de la communauté internationale est monopolisée par la révolte des Libyens, la police algérienne accentue l’intimidation à l’égard des militants de l’opposition. » Ces propos émanent de Mme Dalila Touate, membre de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Agée de 35 ans, diplômée de l’université, elle fait partie des nombreuses personnes arrêtées ces derniers jours parce qu’elles exigent un changement de régime. Mme Touate a été arrêtée après avoir distribué des tracts appelant les Mostaganémois à participer à la manifestation des chômeurs à Alger le 20 mars dernier. Si, pour d’autres militants, les tracasseries policières se sont limitées à leur fichage, elle est poursuivie en justice pour « incitation à un attroupement illégal non armé » et risque jusqu’à un an de prison ferme. Elle attend avec inquiétude son procès, prévu pour le 28 avril.
La répression des manifestants est aussi montée d’un cran depuis l’intervention occidentale en Libye. Après un sit-in organisé par les étudiants de l’université d’Oran le 6 avril, les forces de l’ordre ont été accusées, dans un communiqué de la Ligue algérienne des droits humains, d’avoir « poussé des automobilistes à emprunter les voies à travers lesquelles étaient assis les manifestants pour invoquer comme d’habitude l’incident grave ». La veille, ce sont les étudiants de Boumerdès, en Kabylie, qui ont été durement réprimés alors que les gardes communaux, qui campaient à Alger, étaient agressés par les baltagias, ces jeunes engagés par le pouvoir pour jouer les contre-manifestants.
Cette campagne d’intimidation et de répression intervient alors que le pouvoir algérien a promis des réformes politiques. Des promesses auxquelles les Algériens ne croient pas. Pourtant, quelques événements politiques récents pourraient laisser présager l’imminence d’un changement. Le premier événement vient du Maroc : l’annonce d’une réforme constitutionnelle par le roi Mohamed VI ne peut pas laisser les dirigeants algériens indifférents. Aucun des deux Etats en concurrence n’accepte d’avoir une image plus mauvaise que son voisin en matière de démocratie. Les décisions politiques marocaines impliquent nécessairement des décisions similaires, voire plus spectaculaires, en Algérie, et vice-versa.
Sur le plan national, le chef de l’Etat, M. Abdelaziz Bouteflika, a organisé des réunions secrètes avec des personnalités importantes du régime. Même si l’on ignore sur quoi ont porté ces rencontres, il semblerait que le système organise son « évolution » sans tenir compte des revendications de la population, et encore moins de l’opposition, qui réclame la dissolution de l’Assemblée nationale — dont elle boycotte les travaux — pour la remplacer par une assemblée constituante.
Quelques jours après ces réunions, M. Abdelmadjid Menasra a annoncé la création de son parti. Le fondateur du Mouvement pour la prédication et le changement (MPC) est un dissident du Mouvement de la société pour la paix (MSP), l’un des rares partis politiques, et le seul dans la mouvance islamiste, à avoir résisté à ce qui peut être analysé comme un programme d’affaiblissement des partis politiques algériens depuis l’arrivée de M. Bouteflika à la tête de l’Etat, en 1999. Bien que le MSP fasse partie de la coalition gouvernementale, il n’a pas échappé à ce programme et sa réduction à un simple sigle, pour éloigner le spectre d’un Etat islamique, semble s’être accélérée ces derniers jours.
Le dernier événement en date montrant que le régime prépare sa mue vient du premier ministre, qui s’est toujours présenté comme le meilleur et le plus fidèle soldat du président. Depuis le début des manifestations du 3 janvier dernier, M. Ahmed Ouyahia a quasiment été interdit de parole sur la scène publique. C’est à peine s’il s’est permis quelques piques ironiques à l’encontre des journalistes pendant que le ministre des affaires étrangères, M. Mourad Medelci, occupait la scène médiatique seul, ne la cédant à de rares occasions qu’au ministre de l’intérieur, M. Daho Ould Kablia. Mercredi 30 mars, M. Ouyahia a brisé le silence sur la chaîne de télévision publique A3. Il n’a pas exclu de se porter candidat aux prochaines élections et d’être ainsi un rival du chef de l’Etat, qu’il a accusé d’empêcher le changement. Le premier ministre a sans doute senti le vent tourner et compris que son éviction serait le symbole du changement en marche. Il peut cependant compter sur un parti qui lui reste pour le moment dévoué et où la sérénité semble régner, contrairement au Front de libération nationale (FLN), dont M. Bouteflika est président d’honneur et qui traverse une très longue période de crise, émaillée de violentes empoignades entre ses cadres et militants.
Le chef de l’Etat a par ailleurs confié au Conseil national économique et social (CNES) la mission d’organiser les réformes économiques, après consultation, cette fois, des acteurs politiques et économiques. Le président du CNES, M. Mohamed Seghir Babès, a annoncé dans un communiqué de presse la tenue prochaine d’« états généraux de la société civile » pour définir un programme de sortie de crise par « une transition systémique non cataclysmique ».
Pendant ce temps, l’Etat algérien accède aux revendications salariales de tous ceux qui le réclament. Ce n’est pas nouveau : en 2008 déjà, un syndicaliste rencontré à Alger assurait que « les caisses de l’Etat étant pleines, M. Bouteflika croit pouvoir stopper la lutte de l’opposition par des concessions salariales ». Cette faiblesse, les Algériens l’ont comprise, comme ils ont compris que c’est le moment ou jamais de grappiller des promotions et d’améliorer leurs conditions de travail ou leur situation sociale. Pour cette raison, le mois de mars a enregistré environ soixante-dix mouvements de grève. Même les journalistes de la très officielle agence Algérie presse service (APS) ont tenu un sit-in et les fonctionnaires du palais présidentiel ont protesté symboliquement en tombant la cravate pour exiger une hausse de leurs émoluments.
Si certains voient dans les révoltes des peuples voisins une occasion historique pour imposer le changement en Algérie, force est de constater que d’autres — le plus souvent les serviteurs du régime — cèdent à l’opportunisme. Pendant ce temps, les dirigeants s’entredéchirent pour prendre la place du chef de l’Etat, qui n’a pas dit son dernier mot… ni son premier d’ailleurs : il ne s’est toujours pas exprimé sur les événements qui secouent le pays depuis le début de l’année.
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-04-08-Algerie
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