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jeudi 20 août 2009

L'IGNOMINIE


Par Samira Kinani, 20/8/2009
A SON EXCELLENCE L’AMBASSADEUR DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE AU MAROC

Excellence,
Samedi dernier, elle s’est éteinte.
Sa mort, j’en suis certain, vous a enlevé une épine du pied, ainsi qu’à vos collaborateurs et à vos responsables au plus haut niveau à Paris.

Monsieur l’ambassadeur,
Vous avez dû vous sentir soulagé, débarrassé d’une affaire qui écumait la presse nationale marocaine depuis plus d’une année. Des écrits qui dévoilaient un scandale insupportable et inhumain.
Elle est partie dans des souffrances atroces après un calvaire qui a duré près de deux années, plus d’un million de minutes dont chacune fut insoutenable
Mais, pour vous de quoi s’agissait-il ?
D’un drame humain ? Je ne le crois pas.
Elle était atteinte d’un certain type de cancer, qui, selon vos professeurs de médecine, ne pouvait être traité au Maroc, mais en France, terre, dit-on, des droits humains, de la fraternité et tutti quanti..
Mais pour cela, il lui fallait un visa.
Elle prépara tous les papiers nécessaires et présenta son dossier au consulat de Fès.
Refus du consulat motivé par une erreur causée par une homonymie malencontreuse.
L’erreur était flagrante, mais rien ne put venir à bout de l’arrogance, du mépris et de la suffisance des autorités françaises.
Alors, elle frappa à toutes les portes : Fadéla Amara, Brice Hortefeux et même le président Sarkozy.
En vain.
Tous avancèrent de simples et insignifiantes arguties, mais nulle enquête sérieuse ne fut entreprise.
Le 17 juin 2008, son frère Abdelaziz se voit éconduit par le chef du cabinet du Président français qui lui écrit : « Je dois vous indiquer qu’il ne m’est pas possible de répondre à votre attente dès lors que les services compétents, auxquels la présidence de la République ne peut se substituer, se sont déjà prononcés ».
Bien entendu, la République ne se trompe jamais, sinon qu’adviendrait-il de l’autorité et de la légitimité de l’Etat ?
Le précédent « Omar m’a tué » restera gravé à jamais dans la mémoire de plus d’un Marocain. Comme restera gravé le nom de Aïcha MOKHTARI, morte dans des souffrances atroces à cause d’un bout de papier appelé VISA.
La mort de cette femme relève, à bien des égards, de la non assistance à personne en danger, car vous saviez et vos services aussi, que Aïcha se mourrait, se consumait. Ce refus inhumain fut une condamnation à mort qui ne devait connaître son terme fatal qu’après une agonie de plusieurs mois.
Face à celle-ci, votre attitude ne changea pas d’un iota, drapés que vous étiez dans vos certitudes.

Monsieur l’ambassadeur,
Croyez-vous, sincèrement, que dans l’état où elle se trouvait, elle constituait un quelconque danger pour la sécurité de votre pays ou qu’elle cherchait à s’y installer ?
Comment expliquer cette attitude condamnable à tous égards, sinon par le mépris, à tous les échelons, de votre administration pour la vie d’une « indigène » dont la mort n’intéresse et ne troublera personne et qui ne pourra faire la une de vos journaux télévisés.

Monsieur l’ambassadeur,
A sa mort la rotule de Aïcha a éclaté, laissant échapper une nuée de vers …tant elle était décomposée.
Mais passons sur ces « détails » que vous qualifieriez de sordides d’inconvenants, de déplacées, ou, pour le moins, de mauvais goût.
Mais, hélas, n’excellant pas dans le langage diplomatique, vous excuserez la crudité de mes propos , mais, c’est de la mort d’un être humain qu’il s’agit et non d’un gala huppé de charité.

Monsieur l’ambassadeur,
Bien entendu, vous ne pouviez adopter une attitude aussi indigne que parce que vous saviez n’avoir pas de compte à rendre et que votre Etat vous couvrirait en toutes circonstances.

Monsieur l’ambassadeur,
Je n’écris pas pour vous, j’écris pour mes compatriotes, j’écris pour l’avenir, j’écris pour dénoncer l’insupportable, j’écris parce que je souffre, parce qu’une partie de moi-même est partie avec Aïcha, une femme que je ne connaissais pas, mais dont j’ai partagé la solitude, la souffrance et le désespoir. J’écris pour vous dire ma colère et ma profonde tristesse.
J’écris afin que de telles injustices ne se reproduisent plus.

Monsieur l’ambassadeur,
Ayez la conscience tranquille. Il ne s’agit que d’une dénommée Aïcha Mokhtari qui, pour nos gouvernants, n’était qu’une « Bouzabelle », une « kahlat rass », une « khorotovski »
Elle n’était pas de la famille de cet ancien conseiller du roi qui avait fauché une policière, impunément.
Elle n’était pas la fille de ce chef « historique » d’un syndicat qui a percuté sciemment certains de ses ouvriers qui réclamaient leur dû.
Elle n’était pas la tante du Roi qui a tailladé, en public, le visage d’une avocate, en toute impunité.
Elle n’était pas l’enfant de ce wali, qui, ivre mort, pendant le mois de ramadan, a causé un accident mortel et qui a été relaxé car jugé « déséquilibré ».
Elle n’était pas l’épouse de la tante du souverain dont le mari a tiré sur un policier qui voulait accomplir son devoir.
Elle n’était qu’une Marocaine lambda !

Monsieur l’ambassadeur,
Je suis heureux que l’on n’ait pas à vous demander un permis d’inhumer, car je suis certain que vos subordonnés auraient trouvé qu’il manquait quelques pièces.
Monsieur l’ambassadeur,
Si vous avez agi avec tant de désinvolture, c’est parce que vous y avez été encouragé par l’inaction des responsables et des gouvernants marocains, par leur laxisme, par leur mépris pour leurs compatriotes.
Aïcha n’était qu’un sujet parmi des millions d’autres, mais pas une citoyenne. La citoyenneté implique en effet des devoirs pour l’Etat et le rend comptable de ses actes.
Aïcha avait frappé à toutes les portes, celle du Palais royal, celle du cabinet royal, celle de tous les ministres et, en premier lieu, celui de la santé, Yasmina Baddou qui a traité l’affaire par-dessus la jambe. Elle s’est adressée au premier ministre mais qu’attendre d’un homme qui a montré dans l’affaire Annajat – et ses milliers de victimes – le peu de cas qu’il fait des petites gens ! Lui aussi serait pénalement responsable de non assistance à personne en danger.
Quant à nos « leaders politiques » et nos « intellectuels », ils n’ont vu là qu’un vulgaire fait divers sans le moindre intérêt !
Ils ont eu le même comportement dans l’affaire de Zahra Boudkour et de ses camarades qui ne trouvèrent soutien et réconfort qu’avec l’AMDH, la presse nationale, presque toutes tendances confondues, et auprès d’intellectuels français comme Ignacio Ramonet, Ignace Dalle et espagnols, dont Barnabé Lopez Garcia.

Monsieur l’ambassadeur,
Auriez vous fait preuve de la même intransigeance si Aicha était fille, cousine ou même une proche d’un quelconque puissant de ce pays ?
Monsieur l’ambassadeur,
Nous aurions aimés, qu’avant de quitter le plus « beau pays du monde », vous vous expliquiez, vous et les responsables marocains, devant une commission d’enquête de ce qui semble être un crime de non assistance à personne en danger…..

Monsieur l’ambassadeur,
De cette tragique affaire, je ne retiendrai, comme la plupart de mes compatriotes, qu’une triste certitude : c’est que votre gouvernement ne pratique que la règle des deux poids et deux mesures. La Fontaine reste tristement d’actualité : Suivant que vous soyez puissant ou misérable, les juges de la Cour vous rendront blanc ou noir…

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