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Par Niko, Blog Mediapart Il y a ces hommes qui font les gros bras à la suite de l’admission du Maroc à l’Union africaine, ce 31 janvier 2017.M. Bourita par exemple, ministre marocain délégué aux Affaires étrangères, a déclaré à propos de la RASD (la République arabe sahraouie démocratique, membre fondateur de l’Union africaine en 2002, après avoir été membre de l’Organisation de l’Unité Africaine dès 1984) : « le Maroc ne reconnaît pas – et ne reconnaîtra jamais – cette entité fantoche », et il annonce qu’il « redoublera d’efforts pour que la petite minorité de pays, notamment africains, qui la reconnaissent encore, fassent évoluer leur position dans le sens de la légalité internationale et des réalités géopolitiques ». Ouah !, « dans le sens de la légalité internationale » !
Euh, rappelons un peu les choses : le Maroc a envahi militairement le Sahara occidental en 1975, quand l’Espagne, qui colonisait le territoire depuis la fin du XIXe siècle et qui s’était engagée devant l’ONU à le décoloniser, c’est-à-dire à organiser l’autodétermination du peuple sahraoui, s’en est lâchement débarrassée (Franco était mourant) en donnant le pays au Maroc et à la Mauritanie, sans demander leur avis aux Sahraouis bien sûr… Voilà une occupation tout-à-fait illégale, dénoncée comme telle par l’Assemblée générale de l’ONU en 1979 (résolution 34/37).Du mépris et rien d’autre ?Mais revenons à l’admission du Maroc au sein de l’UA, 33 ans après qu’il a claqué la porte de l’Organisation de l’Unité Africaine, ancêtre de l’UA, justement parce que la RASD y était admise. Comment le roi Mohammed VI a-t-il justifié sa volonté de revenir dans le sein de l’organisation continentale ? « Il nous est apparu évident que quand un corps est malade, il est mieux soigné de l’intérieur que de l’extérieur » !Bon sang mais c’est bien sûr, le Maroc, c’est lui qui va apprendre à l’Afrique comment se soigner, comment se comporter… Comment faire face surtout à la question du Sahara, cette Afrique qui « ne peut supporter plus longtemps les fardeaux d’une erreur historique et d’un legs encombrant » !Petit problème : aucun pays au monde ne reconnaît la souveraineté prétendue du Maroc sur le territoire sahraoui. Il y a même l’Union européenne qui vient d’affirmer, par la décision de sa Cour de justice du 21 décembre 2016, que le Sahara occidental n’appartient pas au Maroc !! Mais nous y reviendrons.Une source diplomatique marocaine « haut placée » a commenté à l’AFP, à l’issue du 31 janvier, que « le sommet d’Addis a été pour eux [les pays amis de la RASD, soit en tête l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigéria] un camouflet, ils rament aujourd’hui pour présenter cet échec comme un succès… » Et plus loin : « le retour du Maroc est un défi direct à la présence du Polisario au sein de l’UA […] le Maroc continuera de se mobiliser pour délégitimer la RASD.» Une déclaration de guerre donc, à la RASD ou à l’Afrique ?Les officiels sahraouis vs les officiels marocains: une vision vraiment autreMohamed Salem Ould Salek, le ministre des Affaires étrangères de la RASD, a rappelé que l’adhésion du Maroc a eu lieu « conformément à l’article 9 et à l’article 29 de l’Acte constitutif de l’UA basé sur le respect des frontières héritées à l’indépendance et sur la non utilisation de la force pour l’acquisition de territoires ». Et que le gouvernement marocain a « ratifié et signé sans condition et sans réserve aucune l’Acte constitutif. »Le ministre a aussi souligné : « il y a un fait, c’est que le Maroc siège sous le même toit africain aux côtés de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), et le hasard a fait que la coordination entre les pays de la zone 5 de l’UA (l’Afrique du Nord) est assurée par la République sahraouie. C’est un fait accompli dont le Maroc devra s’accommoder… »Pour conclure, Mohamed Ould Salek a ajouté : « Peu importe la nature de l'agenda motivant la demande du Maroc d'intégrer l'UA, l'Union africaine est consciente des intérêts du continent qui se croisent avec ceux de la communauté internationale. »L'UA « continuera à jouer son plein rôle pour trouver des solutions africaines aux problèmes de l'Afrique. »Une forme de sagesse. Et de respect pour l’organisation interafricaine.L’autre pôle aimanté de la politique étrangère marocaine : l’UEC’est maintenant du côté de l’Europe que les choses se brouillent. Il faut dire que l’Union européenne (Commission et Conseil) avait cru jouer au plus fin en signant des accords commerciaux avec le Maroc qui ne disaient mot sur le Sahara occidental… Contrairement aux États-Unis, par exemple, qui ont clairement précisé dans leur accord de libre-échange avec le Maroc (signé en 2004) que le Sahara n’en faisait pas partie. Car telle est la légalité internationale.Quelle surprise donc lorsque la Cour de justice de l’Union européenne, à la suite d’une plainte du Front Polisario, d’une première décision puis d’un recours du Conseil européen, a finalement décidé le 21 décembre dernier que l’accord commercial UE-Maroc concernant les produits agricoles et de pêche était valable car… il ne s’applique pas au Sahara occidental !!Les choses ont vraiment changé à la toute fin de janvier 2017. À ce moment-là, le Commissaire européen chargé de l’action pour le climat et l’énergie, Miguel Arias Cañete, a répondu à une question d’eurodéputés verts en disant que la déclaration commune sur l’échange d’électricité renouvelable (signée en marge de la COP22 entre le Maroc, l'Allemagne, la France, l'Espagne et le Portugal) « sera mise en œuvre en tenant dûment compte du statut distinct et séparé du Sahara occidental selon le droit international. » Aïe, aïe. Cette fois la Commission ne joue plus sur les mots. Il n’est plus question de « puissance administrante de facto », fable à laquelle l’UE a fait longtemps semblant de croire, alors que le Maroc n’a jamais reçu aucun mandat d’administration du territoire sahraoui, ne rendant de comptes à personne, et surtout pas à l’ONU…L’arrogance encore, et même les menacesEt les Marocains se fâchent… Le communiqué du ministre Aziz Akhannouch souligne alors que « l’absence d’un engagement franc de la part de l’UE imposera au Maroc un choix décisif, ou il sera question de préserver un partenariat économique patiemment entretenu ou de s’en défaire sans retour pour se focaliser sur la construction de nouvelles relations et circuits commerciaux »…. Avec une allusion précise à « la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, les pays du Golfe ainsi qu’auprès de nos voisins africains ». Pour bien faire passer le message, le ministère a prévenu que l'Europe s'exposait à un « véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d'un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir »…Plus loin encore, une « source diplomatique marocaine » a affirmé au journal Le Havre libre ce 7 février: « Sous prétexte de cette relation privilégiée, l’Europe agit désormais comme si nous étions dans son giron, ou même son sujet. Elle agit avec une vision moralisatrice et s’arroge le droit de juger. » Rappeler le droit international et tâcher de l’appliquer, c’est avoir une vision moralisatrice selon le Maroc…Il n’y a pas que l’indignation convenue, il y a aussi les faux semblants. Ainsi, prétendre que le Maroc a conduit « une politique volontariste et fortement engagée dans le secteur agricole pour œuvrer à la stabilité des populations et leur sécurité alimentaire à travers une expérience reconnue au niveau du continent », est un gros mensonge concernant le Sahara puisque les seules cultures qui s’y trouvent, les tomates et melons cultivés sous serres dans la région de Dakhla, jusqu’à l’épuisement (quand ?) de la nappe phréatique, sont destinées exclusivement à l’exportation, vers la France notamment (marques Idyl et Azura commercialisées dans l’Hexagone).Ce n’est pas tout : le choix de la colonisationCette fin de janvier a aussi été le moment d’un focus sur la justice marocaine. Après l’audience du 26 décembre qui a renvoyé le procès en appel des 24 accusés sahraouis du groupe de Gdeim Izik, une deuxième audience s’est déroulée les 23-24 et 25 janvier à la Cour d’appel de Rabat-Salé au Maroc.Les accusés sont des militants sahraouis favorables à l’autodétermination, des activistes pacifiques qui avaient participé à l’édification et à l’animation d’un vaste camp de tentes où quelque 20 000 personnes s’étaient rassemblées en octobre 2010 à une dizaine de kilomètres d’El Aïoun, la capitale du Sahara occidental, pour protester contre leurs conditions de vie sociale et économique et le fait qu’ils ne pouvaient exercer leur droit à l’autodétermination. Une préfiguration des « Printemps arabes » qui commenceraient quelques semaines plus tard. Mais après avoir discuté régulièrement avec les responsables de l’organisation du camp, les autorités marocaines décidèrent brutalement de démanteler celui-ci, au matin du 8 novembre 2010, en utilisant des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Au cours d’affrontements qui se sont prolongés dans la ville d’El Aïoun même, il y eut 11 agents de sécurité marocains tués.24 activistes sahraouis ont donc été arrêtés, la veille, le jour même ou dans les jours qui suivirent le démantèlement du camp, et emmenés à 1200 km de là, à la prison de Rabat-Salé, hors du territoire occupé où ils devraient être incarcérés et jugés selon le droit international humanitaire (DIH), le droit de la guerre édicté par les Conventions de Genève auxquelles le Maroc a adhéré. Le DIH interdit de déplacer la population civile locale hors de ses frontières, comme il interdit de faire migrer des habitants de la puissance occupante dans le territoire occupé. Ce que le Maroc a fait sans se gêner bien sûr, faisant venir au Sahara de nombreux Marocains pauvres en leur proposant des subventions et des salaires nettement plus élevés qu’au Maroc même.Signer les conventions internationales, mais surtout ne pas les mettre en œuvreTelle est l’attitude générale du royaume, qu’il s’agisse des Conventions de Genève ou, aussi grave sinon plus, de la Convention contre la torture de l’ONU. Les 24 accusés sahraouis du groupe de Gdeim Izik ont été jugés en février 2013 par un tribunal militaire qui les a condamnés à de très lourdes peines, de 20 ans à perpétuité (sauf pour 2 d’entre eux qui ont été libérés à l’issue de deux ans de prison préventive). Or, ces condamnations n’ont pu reposer, pour tous, que sur un seul moyen de preuve : des aveux extorqués sous la torture, comme l’ont allégué les accusés, mais sans qu’il y ait eu aucune enquête sur ces allégations. Par ailleurs, pas de témoins, pas de preuves matérielles, pas d’autopsie des corps des victimes, et même le nom de ces dernières n’a pas été prononcé par le tribunal…Cependant, l’un des accusés du groupe, Naâma Asfari, a pu déposer plainte devant le Comité contre la torture de l’ONU à Genève (le CAT). Et cette plainte non seulement a été reçue, mais elle a donné lieu à une décision, le 12 décembre 2016, qui dénonce le Maroc pour torture de Naâma Asfari, et pour avoir failli à son obligation, en tant qu’État partie à la Convention contre la torture, de vérifier les allégations de celui-ci. Quand on sait que ce sont tous les accusés qui ont allégué avoir été torturés, on comprend l’ampleur de l’accusation.Entretemps, le 27 juillet 2016, le Maroc, sans doute un peu inquiet de la plainte en cours à Genève, a cassé le jugement de février 2013, plus de trois ans après les pourvois en cassation déposés par les avocats de la défense... Et il a renvoyé les accusés devant la cour d’appel de Rabat, les maintenant en prison malgré leur procès cassé et la motivation donnée à la cassation, à savoir l’absence de preuves… Cela fait aujourd’hui plus de six ans que ces accusés, dont la présomption d’innocence est totalement bafouée, croupissent en prison loin de leurs proches, et ce n’est pas fini !Un procès qui se veut équitable ?Le procès « en appel » du groupe de Gdeim Izik (26 décembre, 23-24 et 25 janvier, et renvoi à une troisième audience le 13 mars 2017) donne des signes inquiétants. Il y a d’une part l’instrumentalisation des familles des victimes marocaines de Gdeim Izik, qui ont naturellement droit à la reconnaissance de leur deuil, de leur souffrance, et à la découverte de la vérité sur les meurtres de leurs fils ou frères, mais à qui on laisse entendre que les coupables sont là, en la personne des accusés, malgré l’absence de preuves.Il y a ensuite l’hostilité envers les avocats français qui ont été constitués par les détenus, à qui on interdit de plaider en français, alors que dans d’autres procès au Maroc on a laissé parler des avocats en français ; il y a les interruptions frénétiques par le président et le procureur de la plaidoirie de Me Breham pour la mise en liberté des détenus ; il y a le refus d’entendre les allusions à la décision du Comité contre la torture, ou les arguments recourant au droit international humanitaire. Le président l’a bien dit : « Vous n’avez pas le droit de plaider le droit international, on n’est pas aux Nations Unies ici, on est au Maroc » ! Effectivement, il y a un problème…Parce que la loi marocaine punit les Marocains ou supposés tels (donc les Sahraouis) qui parleraient de « Sahara occidental » comme portant atteinte à l’« intégrité territoriale ». Les seules appellations autorisées sont « Sahara marocain » ou « Provinces du Sud »…On voit ici la nécessité d’alerter sur tous ces points détestables, car le régime marocain a des moyens que les Sahraouis, qui tâchent de lutter pacifiquement pour leurs droits fondamentaux, n’ont pas.Le royaume de Rabat bénéficie de soutiens presqu’inconditionnels, en France en particulier, et aussi en Espagne, de la part de la classe politique. J’espère que ce texte aura permis au lecteur de mesurer la gravité des compromissions que le Maroc suscite en Europe, avec ses airs de « bon élève du monde arabo-musulman ». Mais son arrogance est sans doute le signe de sa faiblesse intrinsèque, quand le peuple sahraoui résiste admirablement, dans des conditions matérielles très dures, depuis plus de quarante ans.
Merci à Niko
Source: https://blogs.mediapart.fr/niko/blog/100217/larrogance-marocaine-dans-tous-ses-etats
Date de parution de l'article original: 10/02/2017
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19971
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