Une
manifestation de soutien « à Théo et les autres victimes » est
organisée à Paris le samedi 18 février à l’appel d’organisations contre
le racisme et pour les droits de l’homme.
Depuis cette affaire, de
nombreux témoignages soulignent l’étendue de pratiques policières
choquantes dans les quartiers sensibles.
Depuis cette affaire, de nombreux témoignages soulignent l’étendue de pratiques policières choquantes dans les quartiers sensibles.
Depuis
l’affaire Théo, les témoignages mettant en cause les pratiques
policières dans les banlieues se multiplient. Certains décrivent des
passages à tabac, comme Mohamed K., un ami de Théo, qui a porté plainte.
D’autres révèlent des comportements humiliants : insultes sur le
physique, insultes racistes ou homophobes. D’autres encore évoquent des
violences sexuelles répétées, comme ce groupe d’adolescents qui a porté
plainte, il y a un an, pour des faits commis par des policiers du 12e arrondissement de Paris.
Une « présence robuste sur la voie publique »
Constante de ces différents récits, l’usage répété voire systématique des contrôles d’identité et palpations de sécurité, sur un mode souvent rugueux. Une réalité concédée par un commissaire de ces quartiers. « Le terrain s’est durci depuis 15 ans, avec l’explosion du trafic de drogues, et les jeunes sont dans l’opposition violente et systématique aux policiers, raconte-t-il. En réponse, on est obligé d’assurer une présence robuste sur la voie publique, pour les faire plier. »Il rappelle qu’aujourd’hui, « ce sont les dealeurs qui privatisent l’espace public et font des contrôles d’identité à l’entrée de la cité. Ils nous disent : "C’est chez nous, cassez-vous." Eh bien non, on ne se casse pas ! On maintient notre présence et la pression. » Comment ? En les contrôlant. « On n’a que ça ! En justice, pour occupation de hall, tapage voire détention de drogues, ces jeunes ne sont pas poursuivis. Bien sûr, la police doit être irréprochable, mais il faut aussi nous donner les moyens de travailler. On a parfois l’impression d’être comme des hamsters dans une roue. On est prisonnier d’un système pervers. »
La culture du chiffre et de la répression
Cette politique du harcèlement, plus ou moins assumée, dit « toute la pauvreté de la stratégie policière en France », déplore le sociologue Christian Mouhanna. « Ils contrôlent et interviennent, histoire de dire : "On est là, on fait des trucs." Ils mettent des coups de pied dans la fourmilière. Mais c’est finalement l’expression d’une stratégie extrêmement pauvre, dictée par la culture du chiffre et de la répression. »Le maire d’une ville de Seine-Saint-Denis, qui préfère garder l’anonymat, le confirme : « La situation est extrêmement tendue. Les policiers parlent mal, exercent des pressions psychologiques, les contrôles d’identité sont devenus un outil de contrôle social. On est venu à bout d’un système et il faudra des années pour en reconstruire un meilleur. »
Trois écueils selon lui ont conduit à cette situation : « Il y a un problème de formation des policiers, d’affectation et de moyens. On envoie dans les quartiers difficiles des jeunes policiers souvent issus du milieu rural et qui se considèrent dans les cités en territoire ennemi. Il faut donc contrôler, palper et quelque part, casser ceux du camp d’en face. »
Une « réalité difficilement mesurable »
Ces différents exemples sont-ils des exceptions trompeuses ou des pratiques courantes ? L’avocat Arié Alimi, présent dans de nombreux dossiers de violences, est convaincu de la deuxième option. « C’est comme ça dans tous les quartiers, dit-il. Les policiers sont dans le rapport de force, ils font la démonstration de leur domination, non pas sur les gros délinquants mais sur les jeunes désœuvrés qui traînent dans les rues. »De là à dire qu’ils basculent de façon systématique dans la violence ou l’humiliation, il y a un pas que Christian Mouhanna ne franchit pas. « C’est une réalité difficilement mesurable. Bien sûr dans les quartiers, il y a des policiers qui travaillent dans les règles, qui essaient de discuter, de servir la population. Mais il y en a aussi qui assument ouvertement d’être dans une logique de bande contre bande, la police contre les cités, et qui, par leurs pratiques, mettent de l’huile sur le feu. »
Sans reprendre l’expression de « bande », son collègue, le sociologue Sebastian Roché, confirme aussi « une hostilité et une rancœur grandissantes » chez les policiers de ces quartiers, en particulier les plus jeunes. « Ils ont une vision assez stéréotypée du métier, fondée essentiellement sur l’idée de l’interpellation, aux dépens d’autres aspects comme la connaissance du terrain, l’aide aux victimes… Ils disent : "Nous sommes l’État, vous nous devez obéissance." Quand ils prennent des sifflets ou qu’une personne refuse de se soumettre, ils vont à la confrontation. » Ce n’est qu’avec l’expérience qu’ils apprennent, selon lui, à user de l’humour et de la psychologie pour déminer les situations tendues.
Un huis clos malsain
Pour le sociologue, si les affaires comme celle de Théo sont rares, elles représentent néanmoins « la forme exacerbée d’un trait sous-jacent », de pratiques moins extrêmes mais plus répandues qui se déroulent à l’abri des regards. « Les policiers de terrain patrouillent en groupe et sont solidaires les uns des autres, y compris quand il s’agit de couvrir des débordements », affirme Sebastian Roché. Se sentant délaissés par la hiérarchie, ils s’enfermeraient ainsi dans un huis clos malsain, entre eux mais aussi dans leur confrontation aux jeunes des cités.Car ces affaires ne remontent pas toujours aux oreilles de la hiérarchie policière et encore moins à celles des élus ou du grand public, faute de plaintes notamment. « Comment voulez-vous demander à ces jeunes d’aller au commissariat se plaindre auprès de policiers de faits commis par les collègues ? interroge l’avocat Slim Ben Achour, qui défend les adolescents du 12e arrondissement de Paris. On est dans un système totalement fermé dont ils ne peuvent sortir que par les médias. »
Avec alors, la difficulté d’assumer publiquement, en particulier dans le quartier, le statut de victime. Le risque de ne jamais voir leur affaire aboutir participe aussi de leur silence : « La plupart du temps, c’est quasiment peine perdue, regrette l’avocat Arié Alimi. Les violences policières sont difficiles à prouver, même avec des vidéos. Alors les vexations et les humiliations, c’est pire. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire