Archives 2009-2017 du blog du Réseau de solidarité avec les peuples du Maroc, du Sahara occidental et d'ailleurs(RSPMSOA), créé en février 2009 à l'initiative de Solidarité Maroc 05, AZLS et Tlaxcala. Rejoignez-nous!
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(Tunis) – Des tribunaux marocains
ont récemment condamné deux ressortissants français à des peines de
prison, dans des affaires sans lien entre elles, en se fondant sur des
« aveux » écrits en arabe, langue qu’ils ne savent pas lire, ont déclaré
aujourd’hui Human Rights Watch, la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme) et Amnesty International. À peine en ont-ils entendu le contenu que les deux accusés ont réfuté ces aveux. Ces affaires illustrent une pratique récurrente des tribunaux
marocains – documentée en détail par les trois organisations – qui est
de se baser sur des déclarations qui auraient été faites à la police, en
tant que preuves de culpabilité. Les tribunaux ont l’habitude d’ignorer
ou de rejeter d’office les arguments de la défense qui plaide que les
policiers ont utilisé des méthodes douteuses pour obtenir des aveux et
en falsifier le contenu.
« Au Maroc, même si la police vous empêche de lire vos ‘aveux’
ou qu’ils sont rédigés dans une langue qui vous est incompréhensible –
une fois que vous les signez, vous voilà embarqué sur un train fou,
destination, prison », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Les policiers ont détenu Thomas Gallay, 36 ans, et Manuel Broustail,
32 ans, les ont interrogés en français mais en l’absence d’avocat, puis
leur ont donné à signer un procès-verbal en arabe de leurs prétendues
déclarations, toujours sans avocat. Dans des procès séparés, mais dans
les deux cas pour des accusations liées au terrorisme, un tribunal de
Rabat a condamné M. Gallay à six ans de prison et M. Broustail à quatre
ans. Tous deux ont fait appel. Le procès en appel de Mr Gallay et de ses
coaccusés est prévu pour le 23 novembre 2016 devant la Cour d’appel de
Rabat.
Les deux hommes ont déclaré que les policiers les avaient mis sous
pression, mais aussi les avaient trompés, pour qu’ils signent ces
dépositions, ont déclaré leurs avocats à Human Rights Watch. Mr Gallay a dit que les agents de police lui avaient relu en
français ce qu’il avait réellement déclaré, avant de lui assurer que le
document à signer n’était qu’une formalité nécessaire à la levée de sa
garde à vue. Tout au long des 12 jours de garde à vue qui ont suivi son
arrestation, les policiers ne lui ont pas expliqué de quoi il était
accusé, lui faisant croire au contraire qu’ils ne l’interrogeaient qu’à
propos d’un suspect de sa connaissance, a déclaré son avocat basé à
Kenitra, Abderrahim Jamaï.Quant à M. Broustail, il a confié à son avocat, Abdelaziz Nouaydi,
que les policiers lui avaient dit en français que le document en arabe
qu'ils avaient tapé ne contenait que des détails banals comme son
identité, son adresse et sa vie professionnelle – et qu’ils lui avaient
promis de le libérer dès qu’il aurait signé. Il a également déclaré que
les policiers l’avaient giflé plusieurs fois pendant l’interrogatoire. D’après le récit de leurs avocats respectifs, chacun des deux hommes
est tombé de haut, lorsque par la suite son avocat lui a traduit en
français son procès-verbal, en comprenant qu’il avait en fait signé un
document qui l'incriminait dans tous les détails. M. Gallay, qui avant son arrestation travaillait à distance, depuis
Essaouira, comme ingénieur en micro-électronique pour une entreprise
française, a formellement réfuté le contenu de ses déclarations devant
le juge d’instruction chargé de l’affaire. Niant les déclarations
contenues dans le procès-verbal, il a affirmé n’avoir aucune connexion
avec l’État islamique (EI, ou Daech), ni aucune activité terroriste, ni
même s’être jamais converti à l’islam. Pourtant le juge d’instruction a bien renvoyé M. Gallay en jugement,
avec des chefs d’inculpation liés à la constitution d’un groupe
terroriste, en même temps que huit autres accusés marocains. Un mineur,
accusé dans la même affaire, a été jugé séparément. Selon sa famille, M.
Gallay soutient qu’il n’en connaissait qu’un, qu’il n’en avait
rencontré deux autres que très occasionnellement, mais qu’il n’avait
jamais rencontré les six autres. Le 14 juillet 2016, la Chambre criminelle (premier degré) près la
Cour d'appel de Rabat, c’est-à-dire la chambre qui juge les affaires de
terrorisme, l’a déclaré coupable des chefs d’inculpation suivants :
soutien financier à des personnes en vue de la commission d’actes de
terrorisme ; tenue de réunions publiques sans déclaration préalable ; et
organisation d’activités au sein d’une association non déclarée. Par
ailleurs la Cour a condamné tous ses coaccusés à des peines de prison
allant de 4 à 18 ans. Le jugement écrit du tribunal montre que son verdict contre M.
Gallay s’est fondé essentiellement sur ses prétendus aveuxet sur
d’autres déclarations à la police dans lesquelles les coaccusés
s’accusaient mutuellement. À aucun moment le jugement ne fait mention du
problème linguistique posé par le procès-verbal ni du fait que l’accusé
l’ait réfuté en bloc, sauf peut-être quand il dit : « il était libre de signer ou non ; et s’il ne l’était pas, la charge lui incombait de le prouver. » Pendant les audiences du procès, sept coaccusés ont eux aussi renié
en bloc leurs déclarations, tandis que le huitième a déclaré qu’il
n’avait aucune information pouvant relier M. Gallay à des groupes ou
activités armées. M. Gallay, dont la famille rappelle qu’il n’a aucun passé judiciaire
dans aucun pays, purge sa peine à la prison de Salé. Le 14 octobre,
Human Rights Watch et la FIDH ont envoyé une lettre aux autorités
marocaines pour exprimer leurs doutes au sujet du procès, mais ils n’ont
reçu aucune réponse. Manuel Broustail, un ancien militaire français converti à l’islam,
amenait sa famille d’Angers (France) à Séfrou (Maroc) lorsque les
policiers l'ont arrêté, à son arrivée à l’aéroport de Fès le 6 mars. Il
venait de passer deux mois assigné à résidence à Angers sur arrêté du
ministère de l’Intérieur français suite aux attaques de novembre 2015 à
Paris.
Les policiers marocains ont fouillé les bagages de Broustail ainsi
que la maison qu’il venait d’acheter à Séfrou et ont saisi plusieurs
poignards et des armes à air comprimé non létales. Ils l’ont maintenu 12
jours en garde à vue, sans contact avec un avocat.
Le procès-verbal de police signé par M. Broustail lui faisait dire
qu’il était un expert en explosifs à la tête d’un groupe extrémiste à
Angers, qu’il se félicitait des attaques de Paris, qu’il prévoyait des
attaques terroristes contre les intérêts français et qu’il avait négligé
de prévenir les autorités françaises qu'une de ses connaissances
planifiait d’attaquer un poste de police. M. Broustail « avouait » aussi
que les armes blanches et à air comprimé étaient destinées à
l’entraînement et qu’il avait téléchargé des documents extrémistes sur
son ordinateur, également saisi par la police.Lors d’une audience devant le juge d’instruction, le 18 mars, quand
il a pu consulter la traduction de ses aveux, M. Broustail les a reniés
catégoriquement, a déclaré son avocat. M. Broustail a déclaré qu’il
était certes un pieux musulman, mais qu’il n’était pas un expert en
explosifs, et que les poignards et les armes à air comprimé étaient des
souvenirs de sa carrière militaire, à usage domestique et en aucun cas
terroriste. Il a également nié avoir jamais téléchargé des documents
extrémistes mais a avoué qu’il avait un ami qui le faisait sans doute. Le juge d’instruction, dans son rapport renvoyant M. Broustail en
jugement, ne mentionne pas ses déclarations sur les mensonges et
pressions de la police destinés à lui faire signer le procès-verbal. Il
écrit que les efforts de Mr. Broustail pour réfuter ces aveux n’étaient
qu’une tentative d’échapper à sa culpabilité. La Cour d'appel de Rabat a jugé M. Broustail seul. Elle l’a déclaré
coupable le 20 octobre. Le ministère public l’a poursuivi uniquement sur
les « aveux » réfutés et le matériel saisi.
La Cour l’a condamné à
quatre ans de prison sur les chefs d’inculpation suivants : constitution
d’une association en vue de la préparation ou de la commission d’actes
terroristes ; détention illégale d’armes dans le cadre d’un plan
organisé visant une grave atteinte à l’ordre public ; apologie du
terrorisme ; et non-dénonciation d’un crime terroriste. La Cour n’a pas
encore émis de jugement écrit. M. Broustail a fait appel mais aucune date n’a encore été fixée. Il est détenu à la prison de Tiflet 2. Le Code marocain de procédure pénale garantit que toute personne
accusée d’un crime a le droit de consulter un avocat au cours des 24
premières heures de sa garde à vue, ou pour les cas de terrorisme et
sous certaines conditions, au cours des six premiers jours. Cependant la
législation marocaine ne donne pas au suspect le droit d’être assisté
d’un avocat lors de ses interrogatoires ou lorsqu’on lui fait signer le
procès-verbal. « Le Maroc a l’obligation de faire en sorte que le droit à un
procès équitable soit garanti dans les faits et non pas seulement en
théorie », a déclaré Dimitris Christopoulos, président de la FIDH. « La
protection efficace de toute une série d’autres libertés civiques
dépend de la volonté du gouvernement marocain d’améliorer les garde-fous
judiciaires et de mettre enfin un terme aux violations systématiques du
droit à un procès équitable. »
Informations complémentaires sur le procès de Thomas Gallay Le 18 février 2016, la police a arrêté M. Gallay, de nationalité
franco-suisse, à Essaouira, où il vivait, et l’a emmené à Rabat. D’après sa famille, les policiers qui détenaient M. Gallay ont
négligé de l’informer des chefs d’inculpation retenus contre lui. Ce
fait va à l’encontre aussi bien du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, article 9(2), que de la constitution
marocaine, article 23, qui statue que « toute personne détenue doit être informée immédiatement, d'une façon qui lui soit compréhensible, des motifs de sa détention. »
D’après sa famille, les personnes qui l'ont détenu à Essaouira puis
conduit à Rabat ne lui ont rien dit, tandis que celles qui l’ont placé
en garde à vue lui ont expliqué qu’il n’était soupçonné de rien, mais
qu’on avait besoin de l’interroger dans le cadre d’une enquête sur un
coaccusé, M.L. En garde à vue, il a signé deux procès-verbaux dans lesquels il
« avouait » s’être converti à l’islam, être un sympathisant de l’État
islamique (EI), avoir donné de l’argent à un coaccusé qu’il savait être
un autre sympathisant de l’EI et enfin avoir organisé des réunions chez
lui avec ce même coaccusé et un autre. Le 19 février, il a signé le
procès-verbal le plus détaillé et le plus incriminant, avant d’être
autorisé à rencontrer son avocat. Ses proches ont rapporté que contrairement à ce qui était écrit dans
le procès-verbal de police, M. Gallay n’avait pas été autorisé à les
prévenir de son arrestation. Ceci paraît violer le Code de procédure
pénale, qui énonce dans son article 67 que « l’officier de police judiciaire doit avertir la famille du détenu dès qu’a été prise la décision de le placer en garde à vue ». M. Gallay n’a découvert le contenu des dépositions à la police qui
lui étaient attribuées qu’une fois qu’il a été présenté au tribunal. À
ce moment, il a immédiatement réfuté ces aveux, nous a déclaré son
avocat, niant toutes les allégations qu’ils contenaient. Abderrahim Jamaï, l’avocat de M. Gallay, a déclaré qu’il avait
plaidé en vain l’irrecevabilité de ses dépositions à la police, aussi
bien pendant l’instruction que pendant le procès, et qu’il avait demandé
à la Cour de citer comme témoins les agents qui avaient interrogé son
client. La Cour, dans son jugement écrit, mentionne qu’elle n’a entendu
aucun argument justifiant d’écarter les procès-verbaux, et cite
l’article 290 du Code de procédure pénale, qui prévoit que dans les
dossiers touchant aux délits, punis par des peines de prison de moins de
cinq ans, les procès-verbaux dressés par la police judiciaire font foi
jusqu'à preuve contraire. Le tribunal a condamné M. Gallay sur la base de trois chefs d’inculpation :
Soutien financier à des personnes en vue de la commission
d’actes de terrorisme, d’après les articles 218-1(§9), 218-6 et 218-7 de
la Loi n°03-03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme;
Tenue de réunions publiques sans déclaration préalable (articles 3
et 9 du Dahir n°1-58-377 du 15 novembre 1958 relatif aux rassemblements
publics);
Organisation d’activités au sein d’une association non déclarée
(articles 5 et 6 du Dahir n°1-58-376 du 15 novembre 1958 réglementant le
droit d’association).
Sur ces motifs, le tribunal a condamné M. Gallay à six ans de
prison et à être expulsé du Maroc lorsqu’il aura purgé cette peine. Il
est détenu depuis son arrestation, la Cour ayant refusé ses requêtes de
liberté provisoire avant le procès. Les autres accusés de ce procès ont été condamnés à des peines allant de 4 à 18 ans de prison. Au procès, mis à part M.L., qui était représenté par un avocat
bénévole et qui a écopé –de loin- de la plus longue peine (18 ans), tous
les accusés ont réfuté leurs dépositions à la police. Lors des
audiences, M.L. a contesté une partie de ses aveux, notamment celle où
il connectait M. Gallay à des activités liées au terrorisme. L’accusé Mohamed Masbouqi n’était assisté d’aucun avocat lorsque les
policiers l’ont interrogé ni lorsqu’ils lui ont donné son procès-verbal
à signer, a déclaré son avocat, Ali Amar, à Human Rights Watch. D’après
Me Amar, Mr. Masbouqi l’a signé sans le lire car la police
lui avait assuré qu’il serait libéré juste après. Il a ajouté que Mr.
Masbouqi avait eu un choc lorsque, face au juge d’instruction, il avait
appris ce qu’il avait « avoué ».
Une tendance à accepter sans discernement les aveux réfutés par les accusés Dans son rapport de 2013, « ‘Tu signes ici, c’est tout’ : Procès injustes au Maroc fondés sur des aveux à la police »,
Human Rights Watch étudiait en détail plusieurs procès criminels où les
accusés avaient déclaré que la police les avait ou bien torturés, ou
bien forcés, ou encore trompés pour qu’ils signent des dépositions sans
les lire. En comparaissant devant le juge, ces accusés réfutaient les
procès-verbaux policiers, soutenant qu’ils avaient été fabriqués de
toutes pièces. Pourtant cela n’a poussé aucunement le tribunal à mener une enquête
sérieuse afin de déterminer si les dépositions de l’accusé étaient
exactes et spontanées, avant de s’autoriser à se baser dessus pour
prononcer une culpabilité. Or, le Code de procédure pénale énonce dans
son article 293 qu’aucune déposition obtenue par la violence ou sous la
contrainte ne doit être admise au tribunal. Le rapporteur spécial des
Nations Unies sur la torture a émis des conclusions similaires dans un rapport de 2013. Selon l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (PIDCP), ratifié par le Maroc, toute personne a le droit
de « se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience » et ne doit pas « être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ». Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui interprète de façon définitive le PIDCP, a établi que le droit à un interprète « consacr[ait] un autre aspect des principes de l’équité et de l’égalité des armes dans les procédures pénales. Ce droit existe à tous les stades de la procédure orale. » Human Rights Watch, Amnesty International, et la FIDH exhortent les
autorités marocaines à modifier leur législation pour la rendre conforme
aux lois et normes internationales afin de garantir que le droit à un
procès équitable soit correctement protégé. Il leur faut s’assurer en
particulier qu’une personne détenue ait le droit de « consulter,
dans le plus court délai, un avocat et, sauf dans le cas où la personne
aurait renoncé à ce droit par écrit, elle ne sera pas contrainte de
répondre à la moindre question ou de participer au moindre
interrogatoire en l’absence de son avocat. », appliquant en cela les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique
de 2003. Les législateurs devraient aussi adopter une législation
garantissant que personne ne soit soumis à une pression excessive ou à
des tromperies dans le but de lui faire signer une déposition, surtout
si elle est rédigée dans une langue que cette personne ne peut pas lire. Les législateurs devraient également réviser l’article 290 du Code
de procédure pénale, qui pour les infractions passibles de peines de
prison de moins de cinq ans, permet aux juges de présumer que les
procès-verbaux préparés par la police sont recevables à moins que la
défense ne puisse prouver le contraire. Cette disposition remet en cause
le principe de présomption d’innocence ainsi que le droit de l’accusé à
l’« égalité des armes », c’est-à-dire le droit de présenter des preuves
qui seront traitées de la même façon que les preuves à charge. Le
Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU considère que
l’article 290 du Code de procédure pénale contredit la présomption
d’innocence en renversant la charge de la preuve : l’obligation de
démontrer une culpabilité à travers des preuves est reportée sur
l’accusé, qui doit prouver son innocence.
Solidarité Maroc, Réseau de solidarité avec les peuples du Maroc, du Sahara occidental et d'ailleurs(RSPMSOA) solidmar05[at]gmail.com 17 rue Jean Eymar 05000 Gap France
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