« Démystifier les mensonges sur “l’exception marocaine”, la “transition démocratique”, “la monarchie éclairée” et autres balivernes... »
Les
articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point
de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les
débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse,
d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des
points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent
utiles.
Samedi 19 novembre 2016, mise à jour Samedi 19 novembre 2016, 20:37
Crédit Photo:DR
Entretien.
Dirigeant de la Voie démocratique, principale organisation marxiste du
Maroc, Abdallah El Harif est actuellement responsable des relations
internationales. Avec lui, nous revenons sur la situation sociale et
politique du pays après l’indignation soulevée par la mort de Mohcine
Fikri.
La mort du jeune pêcheur Mohcine Fikri provoque une vague de manifestations au Maroc. Comment la Voie démocratique voit ce mouvement, ses prolongements ?
La Voie démocratique considère que la vague de manifestations actuelles au Maroc constitue la deuxième vague du processus révolutionnaire lancé par le Mouvement du 20 Février (2011 NDR). Elle en est, en même temps, la continuité et s’en distingue par plusieurs aspects. L’étincelle est interne (la mort de Mohcine Fikri), contrairement au Mouvement du 20 février qui a été déclenché par le « Printemps arabe ». De plus, l’ennemi, responsable de l’acte ignoble, est clairement identifié et incarné par le Makhzen (l’appareil étatique de la monarchie NDR).
Le martyre de Mohcine symbolise le summum de la hogra (mépris, injustice institutionnelle NDR) qui concentre les souffrances du peuple du fait de l’arrogance, la tyrannie, l’arbitraire et la prévarication du Makhzen et de la précarité, le chômage et la surexploitation que vivent, en particulier, les jeunes. Enfin, la ville où l’acte atroce a été perpétré est Al Hoceima, capitale du Rif, une région connue pour son opposition séculaire farouche au Makhzen.
Si les éléments précédents sont favorables à l’approfondissement et à la radicalisation de la lutte, le contexte régional (la situation en Syrie et en Libye) peut constituer un frein à l’élan du mouvement. D’ailleurs, le régime l’instrumentalise pour essayer d’effrayer la population. Mais la situation au Maroc est différente de celle de la Syrie et de la Libye.
Quel bilan tirez-vous des récentes élections générales qu’une grande majorité a boycottées ? Peut-on parler de crise politique ?
Nous estimons que 80 % de la masse électorale a boycotté les dernières élections, et ce en dépit de la fraude, des pressions et de l’utilisation de l’argent pour acheter des voix. Ceci révèle un approfondissement de la conscience populaire que les élections ne sont qu’une farce, et Parlement et gouvernement une vitrine et une façade sans pouvoirs réels. Ceci signifie que le Parlement et les partis qui y siègent ne représentent pas le peuple.
La crise politique réside dans le fait que le fossé entre le peuple et la « classe politique » se creuse de plus en plus. Cette « classe politique » est de moins en moins capable de jouer le rôle de fusible lors des crises à venir où l’affrontement opposera le peuple aux vrais tenants du pouvoir.
En France, dans toute l’Europe, les gouvernements et grands médias présentent en général le Maroc comme une monarchie éclairée, en « transition démocratique ». Qu’en pensez-vous ? Et comment peut-on contribuer à aider les luttes démocratiques et populaires au Maroc ?
Comment peut-on parler de monarchie éclairée et de « transition démocratique » au Maroc ? La monarchie concentre entre ses mains tous les pouvoirs et est, de plus, l’acteur économique majeur du pays. La plupart des partis politiques sont réduits au rôle de comparses. L’écrasante majorité des syndicats, organisations de la société civile et organes de presse sont domestiqués. Les droits humains et libertés sont bafoués (répression souvent violente des sit-in et manifestations, usage de la torture, arrestations de militantEs et citoyenEs).
L’aide que peuvent apporter les démocrates et les forces de la vraie gauche en France aux luttes démocratiques et populaires au Maroc est précieuse car elle peut contribuer à démystifier les mensonges propagés par les grands médias français, en majorité aux mains de groupes ayant d’importants intérêts au Maroc, sur « l’exception marocaine », la « transition démocratique », « la monarchie éclairée » et autres balivernes... Cette aide peut aussi contribuer à renforcer les luttes sociales diverses, en particulier contre des multinationales françaises très présentes au Maroc, les luttes relatives à l’émigration…
En ce moment a lieu la COP22 à Marrakech. Quels sont les enjeux qui sont posés du côté officiel ? Et comment aborder la question écologique dans le cadre d’une lutte plus globale ?
Contrairement aux professions de foi écologistes du pouvoir, la réalité est tout autre : villes, rivières et fleuves pollués, déforestation rapide, faune marine pillée, industries polluantes. L’enjeu du pouvoir est de donner l’image d’un Maroc moderne et respectueux de l’environnement.
Il est illusoire de croire que la recherche effrénée du profit, essence du capitalisme, puisse être compatible avec un développement respectueux des équilibres naturels. Cette destruction de la nature est amplifiée, au Maroc, par la prédation du système Makhzen et le parasitisme du bloc de classes dominant. Le socialisme, pour qui l’épanouissement de l’être humain est l’objectif et non le profit, est le seul capable d’assurer une symbiose entre la nature et le genre humain.
A un niveau plus large, quelles sont les tâches de la gauche radicale pour avancer dans la construction d’un rapport de forces permettant un changement réel ?
Les principales tâches de la gauche radicale sont déjà de faire une analyse de fond, sans concessions, des raisons de sa faiblesse, de son émiettement, de la perte de repères, du faible enracinement dans les classes dont elle est censée représenter les intérêts (la classe ouvrière et les masses laborieuses en général).
La gauche marxiste doit faire un travail théorique colossal dans plusieurs dimensions : d’abord analyser en profondeur les évolutions du système capitaliste, en particulier l’impact de sa mondialisation, sa crise, et sa transformation dans les pays du centre en capitalisme qui tire sa dynamique des progrès scientifiques et techniques sur l’extraction de la plus-value et la constitution d’une nouvelle classe ouvrière.
Elle doit aussi renouveler le projet socialiste car l’expérience historique montre qu’il n’y a pas de modèle préétabli du socialisme. Cela signifie que le socialisme se construira en se basant sur une évaluation objective des expériences passées de construction du socialisme et grâce à de multiples expérimentations sociales socialistes et anticapitalistes, soit dans un espace géographique limité (expérience du Chiapas) ou dans un domaine défini et en intégrant les acquis progressistes en matière de droits humains ou de défense et préservation de l’environnement, des droits des femmes et des minorités… Dans ce cadre, une attention spéciale doit être donnée à la question du parti, à la démocratie en son sein, à sa relation avec les organisations autonomes du peuple et, en cas de victoire de la révolution, à sa relation à l’État et au pluralisme politique.
Elle doit en même temps apporter une critique radicale aux nouvelles philosophies qui, se basant sur une interprétation tendancieuse des dernières découvertes scientifiques, tentent de saper les bases du marxisme, en particulier le matérialisme historique.
Sur le plan politique, la gauche radicale doit s’unir pour se hisser à l’avant-garde des luttes de la classe ouvrière et des masses laborieuses, nouer les alliances stratégiques et tactiques nécessaires et affiner sa stratégie et ses tactiques.
Propos recueillis par Jacques Babel
La mort du jeune pêcheur Mohcine Fikri provoque une vague de manifestations au Maroc. Comment la Voie démocratique voit ce mouvement, ses prolongements ?
La Voie démocratique considère que la vague de manifestations actuelles au Maroc constitue la deuxième vague du processus révolutionnaire lancé par le Mouvement du 20 Février (2011 NDR). Elle en est, en même temps, la continuité et s’en distingue par plusieurs aspects. L’étincelle est interne (la mort de Mohcine Fikri), contrairement au Mouvement du 20 février qui a été déclenché par le « Printemps arabe ». De plus, l’ennemi, responsable de l’acte ignoble, est clairement identifié et incarné par le Makhzen (l’appareil étatique de la monarchie NDR).
Le martyre de Mohcine symbolise le summum de la hogra (mépris, injustice institutionnelle NDR) qui concentre les souffrances du peuple du fait de l’arrogance, la tyrannie, l’arbitraire et la prévarication du Makhzen et de la précarité, le chômage et la surexploitation que vivent, en particulier, les jeunes. Enfin, la ville où l’acte atroce a été perpétré est Al Hoceima, capitale du Rif, une région connue pour son opposition séculaire farouche au Makhzen.
Si les éléments précédents sont favorables à l’approfondissement et à la radicalisation de la lutte, le contexte régional (la situation en Syrie et en Libye) peut constituer un frein à l’élan du mouvement. D’ailleurs, le régime l’instrumentalise pour essayer d’effrayer la population. Mais la situation au Maroc est différente de celle de la Syrie et de la Libye.
Quel bilan tirez-vous des récentes élections générales qu’une grande majorité a boycottées ? Peut-on parler de crise politique ?
Nous estimons que 80 % de la masse électorale a boycotté les dernières élections, et ce en dépit de la fraude, des pressions et de l’utilisation de l’argent pour acheter des voix. Ceci révèle un approfondissement de la conscience populaire que les élections ne sont qu’une farce, et Parlement et gouvernement une vitrine et une façade sans pouvoirs réels. Ceci signifie que le Parlement et les partis qui y siègent ne représentent pas le peuple.
La crise politique réside dans le fait que le fossé entre le peuple et la « classe politique » se creuse de plus en plus. Cette « classe politique » est de moins en moins capable de jouer le rôle de fusible lors des crises à venir où l’affrontement opposera le peuple aux vrais tenants du pouvoir.
En France, dans toute l’Europe, les gouvernements et grands médias présentent en général le Maroc comme une monarchie éclairée, en « transition démocratique ». Qu’en pensez-vous ? Et comment peut-on contribuer à aider les luttes démocratiques et populaires au Maroc ?
Comment peut-on parler de monarchie éclairée et de « transition démocratique » au Maroc ? La monarchie concentre entre ses mains tous les pouvoirs et est, de plus, l’acteur économique majeur du pays. La plupart des partis politiques sont réduits au rôle de comparses. L’écrasante majorité des syndicats, organisations de la société civile et organes de presse sont domestiqués. Les droits humains et libertés sont bafoués (répression souvent violente des sit-in et manifestations, usage de la torture, arrestations de militantEs et citoyenEs).
L’aide que peuvent apporter les démocrates et les forces de la vraie gauche en France aux luttes démocratiques et populaires au Maroc est précieuse car elle peut contribuer à démystifier les mensonges propagés par les grands médias français, en majorité aux mains de groupes ayant d’importants intérêts au Maroc, sur « l’exception marocaine », la « transition démocratique », « la monarchie éclairée » et autres balivernes... Cette aide peut aussi contribuer à renforcer les luttes sociales diverses, en particulier contre des multinationales françaises très présentes au Maroc, les luttes relatives à l’émigration…
En ce moment a lieu la COP22 à Marrakech. Quels sont les enjeux qui sont posés du côté officiel ? Et comment aborder la question écologique dans le cadre d’une lutte plus globale ?
Contrairement aux professions de foi écologistes du pouvoir, la réalité est tout autre : villes, rivières et fleuves pollués, déforestation rapide, faune marine pillée, industries polluantes. L’enjeu du pouvoir est de donner l’image d’un Maroc moderne et respectueux de l’environnement.
Il est illusoire de croire que la recherche effrénée du profit, essence du capitalisme, puisse être compatible avec un développement respectueux des équilibres naturels. Cette destruction de la nature est amplifiée, au Maroc, par la prédation du système Makhzen et le parasitisme du bloc de classes dominant. Le socialisme, pour qui l’épanouissement de l’être humain est l’objectif et non le profit, est le seul capable d’assurer une symbiose entre la nature et le genre humain.
A un niveau plus large, quelles sont les tâches de la gauche radicale pour avancer dans la construction d’un rapport de forces permettant un changement réel ?
Les principales tâches de la gauche radicale sont déjà de faire une analyse de fond, sans concessions, des raisons de sa faiblesse, de son émiettement, de la perte de repères, du faible enracinement dans les classes dont elle est censée représenter les intérêts (la classe ouvrière et les masses laborieuses en général).
La gauche marxiste doit faire un travail théorique colossal dans plusieurs dimensions : d’abord analyser en profondeur les évolutions du système capitaliste, en particulier l’impact de sa mondialisation, sa crise, et sa transformation dans les pays du centre en capitalisme qui tire sa dynamique des progrès scientifiques et techniques sur l’extraction de la plus-value et la constitution d’une nouvelle classe ouvrière.
Elle doit aussi renouveler le projet socialiste car l’expérience historique montre qu’il n’y a pas de modèle préétabli du socialisme. Cela signifie que le socialisme se construira en se basant sur une évaluation objective des expériences passées de construction du socialisme et grâce à de multiples expérimentations sociales socialistes et anticapitalistes, soit dans un espace géographique limité (expérience du Chiapas) ou dans un domaine défini et en intégrant les acquis progressistes en matière de droits humains ou de défense et préservation de l’environnement, des droits des femmes et des minorités… Dans ce cadre, une attention spéciale doit être donnée à la question du parti, à la démocratie en son sein, à sa relation avec les organisations autonomes du peuple et, en cas de victoire de la révolution, à sa relation à l’État et au pluralisme politique.
Elle doit en même temps apporter une critique radicale aux nouvelles philosophies qui, se basant sur une interprétation tendancieuse des dernières découvertes scientifiques, tentent de saper les bases du marxisme, en particulier le matérialisme historique.
Sur le plan politique, la gauche radicale doit s’unir pour se hisser à l’avant-garde des luttes de la classe ouvrière et des masses laborieuses, nouer les alliances stratégiques et tactiques nécessaires et affiner sa stratégie et ses tactiques.
Propos recueillis par Jacques Babel
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