|
L'Avocat
général à la Cour de justice de l'UE a émis un long avis de 70 pages
sur l'affaire judiciaire Polisario-UE. WSRW a demandé à l'avocat du
Front Polisario devant les juridictions de l'Union européenne de
clarifier certains aspects du texte. | | |
|
Mis à jour le: 26.09 - 2016 23:48 | | | |
WSRW : Dans son avis, l'Avocat Général Wathelet (AG par la suite) énonce que ni l'accord d’association UE-Maroc ni l'accord sur la libéralisation des échanges des produits de l'agriculture et de la pêche UE-Maroc
(ou « l'accord 2012 » comme beaucoup l'appellent) ne sont applicables
au Sahara occidental, parce que le Sahara occidental demeure un
territoire non autonome, en dépit de son annexion par le Royaume du
Maroc. Est-ce correct ?
Gilles Devers : Absolument. Sur
cette question, l'avis est limpide. Malgré la politique d’annexion du
Maroc, le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire marocain.
Se référant à l'argumentation même du Conseil et de la Commission lors
de la procédure, l'AG souligne que « l’Union et ses États membres n’ont
jamais reconnu que le Sahara occidental faisait partie du territoire du
Royaume du Maroc ou relevait de sa souveraineté » (paragraphe 83). Comme
le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, les accords
UE-Maroc ne lui sont pas applicables : le Sahara occidental « constitue
un tiers (tertius) par rapport à l’Union et au Royaume du Maroc »
(paragraphe 105). Le consensus se renforce : le Royaume du Maroc n'a
aucune souveraineté sur le Sahara occidental.
WSRW : Pourriez-vous être plus précis ?
M. Devers
: Depuis l'adhésion du Royaume d'Espagne à la Communauté économique
européenne, les dirigeants sahraouis se sont toujours opposés à
l'inclusion du Sahara occidental dans les accords européens avec le
Royaume du Maroc. Après une période de déni, le Conseil et de la Commission de l'UE ont finalement admis que les accords de l'UE avec le Maroc avaient été en effet appliqués au Sahara occidental. Pour justifier cette application, ils ont créé la notion de « puissance administrative de facto
» ... une notion qui ne correspond à aucune catégorie juridique connue
en droit international. Ils ont inventé ce non-sens juridique pour
justifier l'injustifiable.
L'avis de l’AG est donc pleinement
conforme au droit international. Aujourd'hui, il est très clair que le
Front Polisario avait raison depuis le début. Malgré les manœuvres du
Conseil et de la Commission, les constatations faites par la Cour
internationale de Justice dans l’avis consultatif rendu il y a quarante ans
font plus autorité que jamais : le Maroc n'a aucune souveraineté sur le
Sahara occidental. Par conséquent, aucun des accords avec l'Union
Européenne ne sont applicables sur le territoire. En privant le Maroc
des avantages économiques générés par son occupation illégale du Sahara
occidental, l'avis de l'avocat général ouvre la voie vers
l'autodétermination.
WSRW : Mais le Conseil et la
Commission ne peuvent il continuer à argumenter que le Maroc est « la
puissance administrative de facto » du Sahara occidental ? M. Devers
: D'abord, je dois dire que la manipulation de l'avis de Hans Corell
par le Conseil et la Commission est une honte. Hans Corell, qui est un
juriste respecté, n’aurait jamais pu écrire que le Maroc est la «
puissance administrante de facto » du Sahara occidental. Il a d’ailleurs
protesté très explicitement contre la mauvaise interprétation du Conseil et de la Commission.
Assurément,
Hans Corell aurait dû clairement dire que le Maroc occupe le Sahara
occidental, au sens du droit international humanitaire, et en tant que
tel, il n'a aucun droit sur les ressources naturelles sahraouies. Mais, à
sa décharge, il faut reconnaître qu’en 2002 le statut des territoires
occupés tels que le Sahara occidental était moins clair qu'aujourd'hui.
Il y avait beaucoup de débats parmi spécialistes de droit international
sur le droit applicable à ces territoires. Depuis l'avis consultatif de
la Cour internationale de Justice en 2004 sur la Palestine,
il ne peut plus y avoir de doute : le droit international humanitaire
est applicable à l'occupation belligérante du Sahara occidental. Ceci
est confirmé par l'adhésion du Front Polisario aux Conventions de Genève en juin 2015. De même, dans son avis juridique, l'Union africaine considère que le Sahara occidental est un territoire occupé.
Il
est intéressant de relever que si, pendant leurs plaidoiries, le
Conseil et la Commission se sont lourdement appuyés sur leur théorie «
de facto », ils n’ont clairement pas convaincu l'AG. Au contraire, l’AG
Wathelet estime que « le Conseil n’explique nullement comment il serait
juridiquement possible d’appliquer sur un territoire déterminé un accord
conclu avec un pays sans reconnaître une quelconque compétence ou
autorité juridique de ce pays sur ce territoire » (paragraphe 84). Ceci
marque la fin de l’excuse de l'UE de la « puissance administrative de
facto ». A partir de maintenant, les institutions européennes devront se
confronter à la réalité, à savoir que, n’ayant aucun droit de
souveraineté sur le territoire sahraoui et aucun mandat international
pour l'administrer, le Maroc occupe le Sahara occidental au sens du
droit international humanitaire.
WSRW : Mais si l'avis est
si favorable Sahara occidental, comment se fait il que l'AG estime que
le Front Polisario devrait être déclaré irrecevable ?
M. Devers
: Sur la question de la recevabilité, si je peux me permettre de
reformuler votre question, il faut distinguer entre deux points. Tout
d'abord, le Front Polisario est il une personne morale en mesure d’ester
en justice devant la Cour de Justice de l’Union européenne ?
Deuxièmement, le Front Polisario, en tant que représentant du peuple
sahraoui, est il concerné par la décision du Conseil de conclure un
accord international avec le Royaume du Maroc ?
Sur le premier
point, l'AG répond par l’affirmative. Encore une fois, il est très clair
: « le Front Polisario a la capacité d’ester en justice devant les
juridictions de l’Union » (paragraphe 143).
Il va même plus loin
que le Tribunal, et considère que le Front Polisario est un mouvement de
libération nationale doté de la personnalité juridique internationale :
la « reconnaissance [du Front Polisario] en tant que mouvement national
de libération par plusieurs États, de représentant du peuple du Sahara
occidental par l’Assemblée générale de l’ONU, son adhésion comme membre à
l’organisation internationale « Union africaine », la conclusion
d’accords avec la République islamique de Mauritanie et le Royaume du
Maroc et l’engagement de celui-ci à respecter les conventions de Genève
du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre, pris
conformément à l’article 96, paragraphe 3, du protocole additionnel
relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux
du 8 juin 1977, militent plutôt en faveur de la reconnaissance de la
personnalité juridique que le droit international reconnaît aux
mouvements nationaux de libération. » (Paragraphe 146). Seul
représentant du peuple sahraoui, le Front Polisario est un mouvement de
libération nationale.
Espérons que les journalistes, après avoir
lu l'avis de l'AG, vont cesser de comparer le Front Polisario à un
groupe séparatiste revendiquant l’indépendance du Sahara occidental par
rapport au Maroc ... En fait, du point de vue du droit international, le
Sahara occidental a toujours été un territoire distinct et indépendant
du Maroc. En outre, en droit international, le Front Polisario est un
mouvement de libération nationale, tout autant que l'Organisation
Libération de la Palestine, le FLN algérien, ou le Congrès national
africain de Nelson Mandela, et son but est de défendre le droit à
l'autodétermination du peuple sahraoui.
WSRW : Et le deuxième point ?
M. Devers:
Pour décider sur ce deuxième aspect, l'AG estime qu'il est d'abord
nécessaire de déterminer si les accords UE-Maroc sont applicables au
Sahara occidental. Ici, nous revenons à la principale conclusion de
l'avis. Puisque le Maroc n'a aucune souveraineté sur le Sahara
occidental, ses accords avec l'UE ne lui sont pas applicables.
Puisque
les accords UE-Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental, ils
ne sont pas appliqués au territoire sahraoui. Par conséquent, le Front
Polisario ne peut pas être concerné par les accords UE-Maroc qui sont
applicables uniquement au territoire marocain, tout comme la France ne
serait pas concernée par un traité purement bilatéral conclu entre
l'Espagne et l'Allemagne.
WSRW : Mais n'est-ce pas inexact ?
Nous savons pertinemment que tous les accords conclus entre l'Union
Européenne et le Maroc ont été appliqués au Sahara occidental. Pas plus
tard que le 16 septembre, un navire transportant des tonnes d'huile de
poisson du Sahara occidental est arrivé en France (voir ici et ici, ndlr) et a probablement bénéficié d'un traitement préférentiel, conformément à l'accord commercial UE-Maroc.
M. Devers
: Je suis d'accord. Cette partie de l'avis peut être difficile à
comprendre ... Au cours de la procédure, le Conseil et la Commission ont
reconnu que l'accord d'association et que l'accord 2012 étaient
appliqués au Sahara occidental. Ils ont admis que les produits
originaires du Sahara occidental bénéficient effectivement du traitement
préférentiel prévu par l'accord d'association UE-Maroc.
Même si la Commission a corrigé son site Web
après l’audience, il est également établi que l'Office alimentaire et
vétérinaire de la Commission a inspecté les installations des
producteurs marocains situés au Sahara occidental en 2001, 2005 et 2012.
L’objet de ces visites était de s’assurer que ces producteurs marocains
respectent les règles sanitaires de l'UE et donc que leurs produits
peuvent être exportés vers le marché européen dans le cadre de l'accord
d'association.
Mais les principaux éléments sont les listes des
exportateurs agréés. Selon le droit de l’Union européenne, un
exportateur agréé est un exportateur qui, sous certaines conditions, est
autorisé à délivrer des certificats d'origine. Un certificat d'origine
est nécessaire pour s’assurer que les marchandises d’une cargaison en
particulier ont bien droit à un traitement préférentiel. Pour que les
autorités douanières des Etats membres de l'UE puissent vérifier que les
marchandises ont droit à un traitement préférentiel en vertu d'un
accord d'association donné, la Commission européenne publie des listes
d'exportateurs agréés. En ce qui concerne l'accord commercial UE conclu
avec le Maroc, 140 exportateurs marocains agréés au titre de l'accord
d'association sont implantés au Sahara occidental ... Et sur ces listes,
le Sahara occidental est désigné conformément au droit interne marocain
... (Voir ici, ici et ici, ndlr).
Dans
ce contexte, il est plutôt artificiel de maintenir que les accords
UE-Maroc ne sont pas applicables aux ressources naturelles sahraouies
parce qu'ils ne peuvent pas, en droit, être applicables au Sahara
occidental.
En réalité, les activités économiques au Sahara
occidental sous l'égide de l'accord d'association et l'accord 2012 ont
eu lieu sur une base quotidienne ... La Confédération marocaine de
l'agriculture et du développement rural (COMADER), qui représente les
agriculteurs marocains, l’a confirmé.
Au cours des audiences devant la Cour de justice, elle a même
revendiqué que ses membres situés au Sahara occidental ont exporté dans
le cadre de l'accord d'association et de l'accord de 2012.
Aux
yeux du Front Polisario, l'AG sous-estime totalement l’implication de
l'UE au Sahara occidental. En pratique, la Commission européenne traite
le Sahara occidental et le Maroc de la même manière et coopère avec la
même administration marocaine des deux côtés de la frontière. L’aval
quotidien de l'UE donné à la politique d'annexion du Maroc est un
élément clé car il encourage le Maroc à prétendre que l'Union Européenne soutient ses revendications territoriales sur le Sahara occidental.
Nous verrons si la Cour est convaincue par l'analyse de l'AG sur ce point.
WSRW
: Plus loin dans son avis, l'AG estime que le Royaume d'Espagne est
toujours la puissance administrante du Sahara occidental, en dépit de sa
décision en 1975 de mettre unilatéralement fin à son mandat. C’est une
prise de position très forte. Mais il en déduit que le Front Polisario
ne serait pas le seul représentant du peuple sahraoui sur le plan
international. Quel est votre avis ? M. Devers : Sur la première partie du raisonnement, l'AG a évidemment raison. Les principes des Nations unies
sont très clairs. Une puissance administrante doit continuer à exécuter
ses obligations tant que l'Assemblée générale de l'ONU n’a pas adopté
une résolution décidant que le territoire non autonome dont elle a la
responsabilité s’administre complètement lui-même.
En ce qui
concerne le Royaume d'Espagne, en plus de l'avis de Hans Corell et
l'avis récent de l'Union africaine, le juge Castro, qui était le juge
espagnol au cours de l'avis consultatif sur le Sahara occidental, a
clairement indiqué que
: « Du moment qu'il est établi que le statut du Sahara occidental est
celui d'un territoire non autonome, l'Espagne ne saurait ni reconnaître
le droit d'un autre Etat de revendiquer le territoire, ni admettre
l'existence des titres de souveraineté d'un Etat quelconque, ni admettre
un arbitrage sur la souveraineté, ni convenir d'un partage du
territoire, ni décider de son exploitation en commun, ni s'adjuger à
elle-même la souveraineté. L'Espagne ne pouvait être partie à un
différend où il s'agissait de trancher, de manière médiate ou immédiate,
une question concernant la souveraineté sur le territoire administré ».
Par conséquent, le Royaume d'Espagne est toujours la puissance administrante du Sahara occidental.
WSRW
: Quid alors de l’affirmation selon le Front Polisario ne serait pas le
seul exclusif du Sahara occidental au niveau international en raison
des responsabilités de l’Espagne à l’égard du territoire sahraoui ? M. Devers
: Sur la deuxième partie du raisonnement, je dois dire que les
implications de la qualité de puissance administrante de l'Espagne à
l’égard du Sahara occidental n’ont pas vraiment été discutées pendant la
procédure. Comme vous pouvez l'imaginer, l'Espagne (qui intervenait
pour soutenir le Conseil et la Commission, ndlr) n'a pas soutenu devant
la Cour qu’elle demeurait la puissance administrante du Sahara
occidental ... Cela explique peut-être pourquoi le raisonnement de l'AG
sur ce point est moins convaincant.
A l’inverse, la qualité de
puissance administrante de l'Espagne à l’égard du Sahara occidental ne
fait aucunement obstacle à ce que le Front Polisario défende les
intérêts du peuple sahraoui devant la Cour de justice de l’Union
européenne.
D’une part, l'Espagne et le Polisario ont des mandats
différents qui ne se chevauchent pas. En tant que puissance
administrante du Sahara occidental, l'Espagne représente un territoire
non-autonome, alors que le Front Polisario représente le peuple
souverain qui vit sur ce territoire.
D’autre part, le AG paraît
ne pas tenir compte du contexte actuel de l'affaire. Même si elle est
toujours la puissance administrante du Sahara occidental, l'Espagne a
manqué à toutes ses obligations depuis 1976. Par conséquent, comment les
Sahraouis pourraient-ils compter sur une puissance administrante qui a
constamment failli pendant quarante ans ? Comment l'Espagne pourrait
elle être à même de défendre les intérêts du Sahara occidental alors
qu’elle intervient dans des procédures pour soutenir la position du
Conseil, position dont la résultante est la spoliation des ressources
naturelles sahraouies ?
De plus, le rôle clé du Front Polisario
est confirmé par le droit applicable à l'exploitation des ressources
naturelles des territoires non autonomes.
Selon l'avis de Hans Corell, mis à jour par l'Union Africaine,
la puissance administrante doit obtenir le consentement du représentant
du peuple du territoire non autonome dans l'exploitation de ses
ressources naturelles. Cette exigence est la conséquence d'un principe
bien établi en droit international, le principe de la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles. En tant qu’« élément fondamental » du droit à l'autodétermination, ce principe prévoit que les peuples non autonomes sont les propriétaires exclusifs de leurs ressources naturelles.
Dans
le cas du Sahara occidental, l’obligation de l'Espagne, en tant que
puissance administrante du Sahara occidental, de consulter le Front
Polisario n’est que la conséquence logique de la mission de ce dernier
en vertu du droit international. Cette consultation par la puissance
administrante est nécessaire parce que le Front Polisario représente le
peuple sahraoui dans tous les aspects de son droit à
l'autodétermination, en ce compris son droit à la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles.
En vertu du droit
international, en tant que seul représentant du peuple sahraoui, le
Front Polisario doit avoir le dernier mot sur l'exploitation des
ressources naturelles sahraouies.
Bien sûr, cela implique le
droit du Polisario d’ester en justice devant les juridictions de l’Union
européenne pour assurer le respect de ces droits.
WSRW :
Mais l'AG semble considérer que le Polisario ne pourrait représenter le
peuple sahraoui que dans le processus politique menant à
l'autodétermination du Sahara occidental et non dans ses intérêts
commerciaux ? M. Devers : Encore une fois, il faut
reconnaître que cette distinction entre l'autodétermination et l'intérêt
commercial est un peu déroutante. La politique est tellement entremêlée
à l'économie. Qui peut tracer la limite ?
Dans le cas des
peuples non autonomes, le principe de la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles englobe clairement l'exploitation commerciale de
leurs ressources naturelles.
En effet, il faut garder à l'esprit
que le principe de la souveraineté permanente est apparu pendant la
période de la décolonisation, et a été développé pour protéger les
peuples non autonomes contre l'avidité des puissances coloniales qui
tiraient profit de l'exploitation des ressources naturelles des peuples
colonisés.
Par conséquent, il est clair que, dès lors que le
droit à l'autodétermination englobe le principe de la souveraineté
permanente, la reconnaissance du Front Polisario, en tant que seul
représentant du peuple du Sahara occidental à des fins
d'auto-détermination, l’autorise également à défendre les intérêts
commerciaux du peuple sahraoui.
WSRW : Mais les accords
d'association et de 2012 ne concernent que l'exportation, et non
l'exploitation des ressources naturelles. Est-ce que cela fait une
différence ? M. Devers : C’est une question très
intéressante ... Au cours de la procédure, le Conseil a tenté de faire
valoir cet argument. Mais exporter les ressources naturelles implique
d'abord de les exploiter. Sans cette exploitation, il n'y aurait rien à
exporter.
Dans le cas particulier du Sahara occidental, le lien entre l'exploitation et l'exportation est très fort puisque 95% de la production
est exclusivement consacrée à l'exportation. En fait, on peut dire que
les ressources naturelles sahraouies sont exploitées pour être exportés
vers les marchés étrangers.
WSRW : Existe-t-il d'autres
exemples de mouvements nationaux de libération défendant les intérêts
commerciaux des peuples non autonomes ? M. Devers : Eh bien, je vois au moins deux exemples. Lorsque la France et le Front de Libération Nationale algérien ont négocié les accords d'Evian,
une partie importante des négociations a porté sur l’économie et les
intérêts commerciaux du peuple algérien, donnant lieu à une «
déclaration de principes sur la coopération économique et financière »
générale, et à une « déclaration de principes sur la coopération pour
la mise en valeur des richesses du sous-sol du Sahara », spécialement
dédiée à l'exploitation des ressources naturelles algériennes.
Les
accords d'Oslo signés entre Israël et l'Organisation de Libération de
la Palestine sont un autre bon exemple. En effet, l'article 11 de la
Déclaration de principes sur les aménagements de l’autonomie provisoire
de 1993 (Oslo I) et son annexe III, et l'article 24 de l'accord
intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza
(Oslo II) traitent des questions économiques.
Le 29 avril 1994, le gouvernement de l'Etat d'Israël et « l’OLP, représentant le peuple palestinien », ont même conclu un Protocole sur les relations économiques, créant une union douanière entre Israël et la Palestine.
Plus tard, l'Organisation de libération de la Palestine a conclu plusieurs traités de libre-échange, y compris un accord d'association avec l'Union Européenne, très semblable à celui signé avec le Royaume du Maroc.
Ces
exemples montrent que les mouvements nationaux de libération sont
capables de défendre les intérêts commerciaux des peuples non autonomes,
car il s’agit d’une question inhérente au droit à l'autodétermination.WSRW : Certains experts (ici et ici,
ndlr) disent que si la Cour de justice de l'Union européenne adopte
l'approche restrictive du AG à l'égard des intérêts commerciaux, le
Front Polisario ne sera plus en mesure de contester l'accord de pêche
dans l'autre affaire pendante devant la Cour de justice. Est-ce correct ?
M. Devers : Ici, je ne peux qu’exprimer mon accord… Le Protocole de 2013 à l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche de 2006
n'est pas un traité de libre-échange, mais un accord qui organise
l'exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental par les
pêcheurs de l'UE.
Sur la base de cet accord avec le Maroc, les navires de l'UE pêchent dans les eaux sahraouies et exploitent directement les ressources halieutiques relevant de la souveraineté permanente du peuple sahraoui.
En fait, les deux tiers des navires de l'UE autorisés à pêcher par le
présent accord UE-Maroc opèrent exclusivement dans les eaux sahraouies.
En avril dernier, la Commission a même pris la décision d'autoriser davantage de navires de l'UE à aller pécher dans les eaux sahraouies.
En
tant que seul représentant du peuple sahraoui pour l’exercice de son
droit à l'autodétermination, ce qui inclut son droit à la souveraineté
permanente sur les ressources naturelles du Sahara occidental, le Front
Polisario est nécessairement concerné par les activités de pêche des
navires de l'UE dans les eaux sahraouies. La décision de la Cour
Européenne de Justice devrait permettre de clarifier ce point. Jusqu'à
présent, le Front Polisario et le peuple sahraoui ont toutes les raisons
de faire confiance à la justice européenne.
|
|
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire