Abdeslam Omar Lahcen, président de l’Association des familles des
prisonniers et disparus sahraouis (AFAPREDESA): «30 000 détenus et plus
de 4 500 portés disparus, dont 400 n’ont laissé aucune trace, depuis le
début du conflit»
Le 21 mai dernier, dans les camps de réfugiés sahraouis, on célébrait le
43e anniversaire de la création du Front Polisario et du début de la
résistance contre l’occupation marocaine. Reporters a rencontré à cette
occasion Omar Abdessalam, président de l’association des familles des
prisonniers et disparus sahraouis (AFAPREDESA), un collectif qui, en
dépit des difficultés importantes qu’il rencontre, demeure très actif au
plan international pour, dit-il, faire entendre «la voix de ceux qu’on
veut faire taire». Entretien.
Reporters : Vous présidez l’Association des familles des prisonniers
et disparus sahraouis. A quoi sert cette association et quels sont ses
objectifs ?
Omar Lahcen Abdeslam : L’Association des familles et des prisonniers et
des disparus sahraouis existe depuis près de trente ans maintenant. Il
s’agit d’une ONG sahraouie dont la date de création remonte au 20 août
1989. Elle a vu le jour à l’initiative de familles de disparus et de
détenus sahraouis dans les prisons marocaines. Sa mission consiste à
faire la lumière sur ces personnes rendues prisonnières ou disparues
sous l’occupation marocaine, certaines depuis le début de la guerre en
1975. Son travail est la mise à jour des listes de ces personnes qu’elle
effectue sur la base de témoignages et de récits précis. Il est
question aussi de soutenir les familles et de les accompagner en les
orientant auprès des services compétents à l’ONU, l’Union africaine (UA)
et d’autres organisations gouvernementales et non gouvernementales
concernés par la défense des droits humains. Dans le contexte sahraoui,
vous imaginez bien que sa mission est permanente et qu’elle consiste à
recenser toutes les violations commises contre les Sahraouis dans les
territoires occupés par le Maroc, soit en situation dite «ordinaire»
soit en situation de soulèvement et de révolte, comme cela s’est passé
en novembre 2010 lors de la révolte de Gdeim Izik, près de Laayoune,
durant laquelle des centaines de nos compatriotes ont été pourchassés,
réprimés, jetés en prison et torturés par les autorités coloniales
marocaines. L’association a recensé tous les cas de violation commis
durant ces évènements et a transmis ses rapports aux organisations de
défense des droits de l’Homme, comme celui de Naâma Asfari, condamné à
30 ans de prison pour avoir manifesté à Gdeim Izik. Une condamnation
scandaleuse, inique, sans fondement juridique et contraire à toutes les
conventions de Genève.
A-t-on aujourd’hui un chiffre exact des portés disparus et prisonniers sahraouis ?
L’association a recensé depuis le début du conflit plus de 30 000
détenus et plus de 4 500 portés disparus. 400 d’entre eux n’ont laissé
ni trace ni la moindre indication susceptible de localiser le lieu et
les circonstances de leur disparition. Leur sort reste à nos jours
totalement méconnu et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus, s’ils
sont morts ou s’ils sont encore en détention clandestine. Il est
d’autant plus difficile d’enquêter sur de tels cas que le Maroc, qui
bénéficie de soutiens internationaux incompréhensibles et en
contradiction avec le droit international, minimise à chaque fois le
nombre de victimes de ses appareils de répression et réduit, quand il ne
les nie pas, les cas de séquestration et d’atteinte aux droits des
personnes. S’il libère des détenus, il le fait sans jugement. Les
personnes concernées sont relâchées provisoirement et risquent d’être à
nouveau jetées en prison, à n’importe quel moment. Les défenseurs des
droits de l’Homme eux-mêmes n’y échappent pas et sont poursuivis par des
tribunaux militaires.
Après le cessez-le-feu, le Maroc a libéré des centaines de détenus sahraouis. En reste-il encore ?
En 1991, 300 disparus ont été libérés des prisons marocaines dans un
état de délabrement physique avancé. La liste des disparus que nous
avons compte encore 526 noms de personnes détenues et l’association
continue de se battre pour obtenir leur libération. Elle exige la levée
des entraves et des limitations imposées par les autorités marocaines
aux personnes libérées ainsi que le recouvrement de leurs droits et des
biens dont ils ont été spoliés pendant leur détention arbitraire. Elle
exige aussi l’indemnisation des familles de ceux qui sont morts en
prison ou sous la torture. Elle exige enfin le respect des conventions
internationales relatives à la protection des populations civiles,
l’arrêt des enlèvements, des arrestations arbitraires, des tortures
pratiquées contre des civils sahraouis dans les zones occupées du Sahara
occidental. Parce que parallèlement à son invasion, le Maroc a mené une
politique d’extermination des Sahraouis pour s’approprier leur
territoire. Il oppose un refus systématique à la présence des
observateurs internationaux, y compris des institutions onusiennes,
allant jusqu’à expulser, comme en mars dernier, les membres de la
Minurso au lendemain de la visite du SG de l’ONU dans la région sous
prétexte que Ban Ki-moon est sorti de sa neutralité, alors qu’il avait
dit la vérité sur les souffrances du peuple sahraoui.
Depuis la révolte de Gdeim Izik, votre association ne cesse de
dénoncer les détentions arbitraires. Comment parvenez-vous à les
recenser et à les faire connaître à l’opinion internationale ?
On travaille sur des témoignages précis qui nous viennent de militants
ou des familles, et cela ne date pas de 2010 et du soulèvement de Gdeim
Izik. La vocation même de notre association est d’enquêter sur toutes
les violations dont sont victimes les Sahraouis, et il y en a eu depuis
1975 ! Elles se sont poursuivies après le cessez-le-feu en 1990.
En 2015, selon le décompte que nous avons pu faire, plus de 500 personnes ont été arbitrairement détenues sans le moindre respect des règles et des procédures légales et dans une abstraction totale du droit.
Depuis le début de l’année 2016, trois personnes ont été retrouvées mortes dans des circonstances douteuses. L’une d’elles a été tuée alors qu’elle allait récupérer son chameau au pied du mur de la honte construit par l’armée marocaine pour séparer les territoires sahraouis libérés de ceux qui sont sous son occupation. Cette année aussi, on déplore la mort du militant Brahim Sikka à la suite d’une présumée grève de la faim qu’il aurait menée pendant 15 jours avant de succomber. Sa dépouille est toujours entre les mains des Marocains parce que sa famille refuse de la récupérer sans autopsie ni véritable enquête sur les conditions de son décès. Des étudiants sahraouis, depuis les affrontements qui ont lieu dans les universités de Marrakech et d’Agadir, croupissent toujours en prison.
En 2015, selon le décompte que nous avons pu faire, plus de 500 personnes ont été arbitrairement détenues sans le moindre respect des règles et des procédures légales et dans une abstraction totale du droit.
Depuis le début de l’année 2016, trois personnes ont été retrouvées mortes dans des circonstances douteuses. L’une d’elles a été tuée alors qu’elle allait récupérer son chameau au pied du mur de la honte construit par l’armée marocaine pour séparer les territoires sahraouis libérés de ceux qui sont sous son occupation. Cette année aussi, on déplore la mort du militant Brahim Sikka à la suite d’une présumée grève de la faim qu’il aurait menée pendant 15 jours avant de succomber. Sa dépouille est toujours entre les mains des Marocains parce que sa famille refuse de la récupérer sans autopsie ni véritable enquête sur les conditions de son décès. Des étudiants sahraouis, depuis les affrontements qui ont lieu dans les universités de Marrakech et d’Agadir, croupissent toujours en prison.
A la lecture de la presse et des dépêches de l’agence de presse
sahraouie, on apprend que votre association fait souvent appel à la
justice espagnole pour élucider des cas de disparition, d’emprisonnement
ou pour poursuivre des responsables marocains…
Oui, dans les années 1990, l’Espagne a adopté une loi ouvrant la voie
aux poursuites judiciaires sur les cas de génocide n’importe où dans le
monde. Notre association a profité de cette brèche pour déposer en 2006
une plainte auprès de la justice espagnole pour des massacres qui ont
lieu entre 1975 et 1992, notamment à Amgala où on a retrouvé une fosse
commune dans laquelle il y avait des restes de huit cadavres. Onze hauts
responsables civils et militaires marocains ont été accusés d’avoir
amputé des prisonniers, dont un nouveau-né, brûlé vif des personnes, tué
par des chocs électriques des Sahraouis à Laayoune, Smara et Amgala.
L’affaire a été initiée en 2007 par le juge Baltasar Garzon. En Espagne,
des lobbies, dont certains pro-marocains, se sont mobilisés pour que
les poursuites s’effectuent dans le seul cas où les victimes ou que les
bourreaux soient espagnols. Il n’empêche qu’en 2014, un autre juge
espagnol, Pablo Ruz Gutierrez, a rouvert le dossier et relancé la
poursuite contre les onze responsables marocains. Le dossier reste
ouvert, car la justice espagnole, dans ce cas précis, ne fait pas de
jugement par contumace. Donc, pour juger les douze responsables
marocains, elle doit détenir les auteurs des crimes. On attend
qu’Interpol puisse arrêter l’un de ses responsables pour pouvoir initier
le processus et que les Sahraouis connaissent la vérité sur le destin
de leurs parents qui demeure méconnu. Bien qu’on soit conscient des
pressions marocaines, on est patient pour que justice soit faite.
Est-ce que l’association intervient aussi auprès d’autres instances
internationales pour obtenir la poursuite et le jugement de personnes
présumées coupables d’actes criminels…
Au niveau international, les poursuites se limitent contre les pays qui
ont ratifié le traité de Rome, ouvert à tous les pays membres des
Nations unies pour la poursuite judiciaire contre les personnes et Etats
ayant commis des génocides et des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité. Il en est de même pour la Cour pénale internationale qui ne
peut saisir un dossier que pour les pays qui s’avèrent adhérents au
traité de Rome, et le Maroc n’y figure pas. De ce fait, elle ne peut
être saisie qu’à titre de plainte individuelle par les États qui ont
ratifié ledit traité et pourra être saisie si le Conseil de sécurité
poursuit les responsables. Actuellement, nous sommes en train
d’envisager avec les juristes qui soutiennent la cause sahraouie une
poursuite contre l’Espagne qui a ratifié le traité de Rome, mais dont l’État continue de tergiverser quand il s’agit de poursuites contre des
responsables marocains. Nous sommes également en train de travailler
avec d’autres organisations pour trouver des mécanismes par lesquels il
est possible d’exercer des pressions à travers les rapports sur les
questions humanitaires et de respect des droits humains, comme il s’est
agi récemment pour le dernier rapport du Département d’Etat américain
qui a agacé le Maroc par sa tonalité critique.
En février 2014, la justice française s’est intéressée aussi à des
cas de torture commis par des responsables marocains, dont le chef du
renseignement Abdelatif Hammouchi…
Oui, alors qu’il se trouvait en France, Abdelatif Hammouchi, directeur
général de la surveillance du territoire marocain (contre-espionnage),
un juge français l’a convoqué pour une audition dans le cadre d’une
plainte pour torture déposée par Action des chrétiens pour l’abolition
de la torture (ACAT), une ONG française. La plainte a concerné un
Franco-Marocain torturé dans le centre de détention secret de Temara, QG
de la DGST. Le Maroc a nié, mais des dizaines de témoignages de
torturés attestent du contraire, y compris ceux de détenus étrangers qui
y ont été interrogés et torturés à la demande des Etats-Unis de George
Bush dans sa «guerre contre le terrorisme». C’est à ce moment là qu’il y
a eu dépôt de plainte auprès du doyen des juges d’instruction de Paris
par l’avocat de Naâma Asfari et son épouse Claude Mangin, de nationalité
française, pour les sévices que Naâma a subis en détention préventive
au Maroc au cours des 27 mois qui ont précédé son procès. Depuis, le
militant sahraoui a été condamné par un tribunal militaire à 30 ans de
prison en février 2013, alors qu’il avait été arrêté la veille des faits
qui lui sont reprochés… 21 autres activistes sahraouis militant pour le
droit de leur peuple à l’autodétermination ont été condamnés par ce
tribunal militaire à des peines allant de 20 ans à la perpétuité, après
les mêmes 27 mois de préventive, avec pour seule preuve des aveux
extorqués sous la torture… Là on est dans des situations où des juges,
se basant sur la compétence universelle de la justice française à juger
sur son sol des personnes accusées de crimes, font le travail. Mais qui
se trouvent heurtés aussi à la «raison d’Etat». Puisque Abdelatif
Hammouchi a pu quitter Paris et regagner le Maroc. Il n’en demeure pas
moins que l’impunité dont ces gens se prévalaient s’est quelque part
brisée.
Revenons, si vous le permettez, à la question des réfugiés sahraouis
et aux conditions dans lesquelles ils vivent. A-t-on une idée chiffrée
des besoins de ces réfugiés ?
Le montant des aides humanitaires internationales ne dépasse pas les 40
millions de dollars par an pour 200 000 réfugiés. Ce qu’on considère
comme une somme dérisoire si on la compare avec le budget de la Minurso
pour ses membres estimé à 54 millions de dollars. Pis encore, les aides
continuent de diminuer alors qu’il a fallu les augmenter pour faire
fonctionner les hôpitaux, les écoles… Le PAM a aussi réduit ses aides en
denrées alimentaires qu’il distribuait, ce qui menace la population
sahraouie, d’autant que nous avons une étude qui démontre que la
malnutrition menace les réfugiés, alors que ces organisations d’aide
humanitaire doivent veiller à ce que la population soit en bonne santé
en leur assurant des besoins fondamentaux, ce qui est n’est pas le cas
aujourd’hui.
Une dernière question : de nombreux Sahraouis que nous avons pu
rencontrer dans les camps ont à l’esprit que seule une reprise des
hostilités pourrait faire bousculer le statu quo qui pèse actuellement
sur le dossier sahraoui à l’ONU. Qu’en pensez-vous ?
Nous pensons que la guerre n’est pas la solution adéquate ni pour le
peuple marocain ni pour le peuple sahraoui, mais le Maroc mène une
guerre de lâche contre des citoyennes femmes et enfants qui sont
victimes de violations sexuelles exercées même contre les hommes qui
sont détenus. Maintenant, la résolution du Conseil de sécurité du 30
avril dernier marque un tournant important pour la cause sahraouie. On
constate que les membres du Conseil de sécurité manifestent davantage de
conscience et sont convaincus de la nécessité de mettre un terme au
conflit, et comme à l’accoutumée, nous avons donné beaucoup de chance
aux solutions pacifiques, et les Sahraouis peuvent patienter encore
d’ici le mois de juin pour l’organisation du référendum, sachant que le
Maroc œuvre toujours pour maintenir le statu quo.
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