Tortures modernes : le traitement de Salah Abdeslam à Fleury-Merogis en question, par Jean-Yves Nau (is articles)
(photo Jean-Yves Nau)
Micro Guantanamo à Fleury-Mérogis ?
Remarquable papier dans Le Quotidien du Médecin (Christian Delahaye) ; papier distancié traitant d’un sujet qui déchaînera bientôt quelques passions : les conditions de détention de Salah Abdeslam,
26 ans, dernier membre vivant des commandos terroristes du 13 novembre à
Paris (130 morts). Des conditions de détention qui commencent à
alimenter une polémique médicale et philosophique.
« La CNIL a été saisie, mais pas les médecins, sur l’utilisation de deux caméras branchées non-stop, résume Le Quotidien.
Face à un certain vide juridique et en l’absence d’études
scientifiques, le corps médical exprime des réticences face à ce que
certains qualifient même de ‘’scandale’’, ou de sanction qui pourrait
être ‘’pire que la peine de mort’’. »
Caméras 24 heures sur 24
On sait l’importance accordée au
témoignage et au procès de ce détenu. « Toutes les mesures de protection
et de surveillance seront mises sur cette personne », avait assuré le
ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas.
Mais jusqu’où peut-on aller dans la surveillance d’une personne
détenue ? Il y a, bien sûr, les mesures habituelles pour réduire le
risque suicidaire (cellules lisses, habits en papier, couvertures
indéchirables). Mais l’administration pénitentiaire a ajouté
l’installation de deux caméras qui permettent de suivre ce détenu
24 heures sur 24 dans sa cellule de 9 m² du quartier le plus sécurisé de
Fleury-Mérogis.
Or cette initiative administrative a
été prise sans consultation du médecin-chef de Fleury quant aux
conséquences d’un tel dispositif en termes de santé psychique.
L’administration pénitentiaire n’a demandé qu’un avis de la CNIL (avis
obligatoire du fait de la vidéo). Son collège a statué jeudi dernier et
son avis sera rendu public en même temps que l’arrêté qui paraîtra dans
les prochains jours. Le Quotidien du Médecin donne la parole à différents spécialistes ou institutions concernées – en commençant par le Dr Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, membre de l’Académie des technologies :
« C’est un scandale. Alors
qu’on a perdu tellement de temps sur la déchéance de nationalité, les
pouvoirs publics n’ont pas anticipé cette question en sollicitant plus
tôt les instances chargées de protéger les personnes contre les
utilisations abusives des technologies comme la vidéo. Le droit à
l’intimité est un droit essentiel que l’on balaye dans le cas présent,
quitte à ce qu’une mesure d’exception devienne une préconisation à long
terme. Qu’adviendra-t-il dans le cas d’une peine de perpétuité réelle
appliquée avec des caméras branchées en permanence ? C’est un
châtiment
pire que la peine de mort qui se profile insidieusement. »
Droits humains et suicide
L’OIP (Observatoire international des prisons) n’est pas moins violent. Il dénonce « une vidéo surveillance appliquée en dehors de tout cadre légal en violation des droits humains ». Et qui « renforce le risque de suicide qu’il entend combattre en fragilisant psychologiquement le détenu ».
Lire la suite cliquez ICI
Rien de plus beau que le droit et le 49.3. Rien de plus efficace que la gouvernance par ordonnances.Nous évoquions hier le questionnement médical et éthique soulevé
par les conditions de détention de Salah Abdeslam, « suspect-clef », à
Fleury-Mérogis. L’affaire semblait circonscrite à la sphère
professionnelle. Le « seul terroriste encore vivant » des attentats de
Paris (130 morts) n’est pas un homme dont on défend volontiers les
droits.
Or la même affaire prend aujourd’hui de
nouvelles dimension avec la révélation, par l’Agence France Presse,
d’un projet d’arrêté du ministère de la Justice ; texte « qui pourrait
être publié avant la fin du mois ». Le sujet est repris et développé
par Le Monde daté du 19 mai – avec titraille affirmative : « Certains détenus seront filmés 24 heures sur 24 dans leur cellule ».
Salah Abdeslam est incarcéré depuis le
27 avril dans la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), maintenu à
l’isolement dans une cellule avec un dispositif de vidéosurveillance 24
heures sur 24. Cette surveillance a été décidée par Jean-Jacques Urvoas
afin d’éviter qu’il « tente de s’évader » ou, plus sûrement, de se
suicider avant son procès. Or cette forme de détention orwellienne n’est
prévue ni par la loi ni par la réglementation pénitentiaire. La
vidéosurveillance en prison n’existe que pour filmer les couloirs, les
accès et les ateliers. Pas dans les cellules où une forme d’humanité
laisse place à quelques reliquats d’intimité.
Il fallait régulariser la situation.
Aussi le ministère de la justice a-t-il, à la hâte, rédigé un projet
d’arrêté. Dans sa forme actuelle, cet arrêté autoriserait de mettre en
place cette surveillance pour les détenus « dont l’évasion ou le suicide
pourraient avoir un impact important sur l’ordre public, eu égard aux
circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et
l’impact de celles-ci sur l’opinion publique ».
Suicides sans importance
On aimerait connaître le(s)
rédacteur(s) d’un texte qui sous-tend qu’il est des suicides qui ne
comptent guère – sans parler de l’évasion. Le Monde (Jean-Baptiste
Jacquin) observe que M. Abdeslam n’est pas le seul détenu en attente
d’un procès dont l’évasion ou le suicide est susceptible d’ « avoir
un impact important sur l’ordre public ». Il précise aussi que
« l’entourage du garde des sceaux » ne souhaite pas commenter ce texte
tant qu’il n’est pas définitif. On suppose qu’il en va de même de M.
Urvoas. Et ce d’autant que l’on attend l’avis, imminent dit-on, de la
Commission nationale de l’informatique et des libertés. Difficile de
savoir combien de détenus pourraient être concernés. Et difficile de
dire si Mme Taubira, à laquelle a succédé M. Urvoas, aurait pris une
telle initiative. Cette dernière est-elle un ordre de Matignon ? De
L’Elysée ?
S’intéresser à ce sujet, c’est
reprendre la longue liste des « suicides en prison » – dont ce blog
parle assez souvent sans en tenir une chronique exhaustive. On se souvient notamment du suicide,
en avril dernier de l’ex-directeur de l’école primaire de Villefontaine
(Isère), soupçonné de pédophilie à l’encontre d’une soixantaine
d’enfants. Il était parvenu à se pendre pendu dans sa cellule de la
maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Il avait déjà tenté de se tuer. On se souvient encore peut-être du suicide,
en décembre dernier de l’homme qui avait décapité son patron dans une
mise en scène islamiste et attaqué un site gazier en Isère en juin
2015. Il était parvenu, lui aussi, à se tuer. A Fleury-Mérogis. N’avait
pas été repéré comme « suicidaire » par l’administration pénitentiaire.Sans parler des suicides de la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire).
Lire la suite, cliquez ICI
Salah Abdeslam et Anders Breivik : peut-on faire subir aux terroristes des traitements dégradants ?
Pour l’heure les médias généralistes n’osent guère en faire un sujet
de débat. Trop lourd. Trop risqué. La menace, au bout du chemin de
retrouver la corde, la guillotine, l’électricité ou la médication
létale. On se borne donc aux faits : Salah Abdeslam a exercé son « droit
au silence ». « L’homme-clé » des attentats de Paris en 2015 n’a pas
dit un mot aux juges ce vendredi 20 mai au palais de justice de Paris.
C’est Me Franck Berton,
l’un de ses avocats, qui l’a annoncé aux journalistes mettant en avant
les conditions de détention de son client : « Il a exercé son droit au
silence car il est très perturbé par ses conditions de détention dont la
vidéosurveillance » ;
On a appris il y a peu que
depuis son transfert en France, Salah Abdeslam est à l’isolement dans
une cellule surveillée en permanence par deux caméras de
vidéosurveillance. « Il se sent épié, il faut que cette
vidéosurveillance cesse, dit l’avocat. Il ne supporte pas d’être
surveillé 24/24h, ça pose un énorme problème. Il se sent épié, il ne
comprend pas pourquoi on lui réserve un traitement particulier et ça ne
le conduit pas à collaborer à l’instruction judiciaire ».
Vidéosurveillance illégale
On peut le dire autrement, comme Me
Berton : Salah Abdeslam pourrait parler si ses conditions de détention
étaient assouplies. Pour Béatrice Brugère, secrétaire générale du
syndicat FO-Magistrats, ce n’est pas du chantage, mais cela y
ressemble. Me Frank Berton a précisé qu’il allait écrire au ministre de
la Justice pour demander la levée de ces mesures particulières : « Il
faut que cette vidéosurveillance, en dehors de tout cadre légal, cesse.
Ensuite M. Abdeslam est maître du moment qu’il choisira pour parler.
L’important c’est qu’il parle et qu’il le fasse avant son procès », a justifié l’avocat.
La situation n’est pas sans rappeler la
condamnation de l’État norvégien – condamné (par la justice
norvegienne) pour avoir imposé en prison un traitement « inhumain » et
« dégradant » à l’extrémiste-terroriste Anders Behring Breivik. C’était le 20 avril dernier.
Tuerie de masse
Le 20 avril, le tribunal d’Oslo avait estimé « contraires à la Convention européenne des droits de l’Homme » les conditions de détention de Anders Behring Breivik.
Ce dernier est aujourd’hui incarcéré pour avoir tué 77 personnes (et
blessé 151 autres) dans un attentat à la bombe suivi d’une fusillade.
C’était le 22 juillet 2011. Il avait d’abord commis un attentat à la
bombe visant un édifice gouvernemental à Oslo causant huit morts. Il
avait ensuite continué sa tuerie de masse dans un camp de la ligue des
jeunes du parti travailliste de Norvège sur l’île d’Utøya : 69 morts, pour la plupart des adolescents. De sang froid.
Le 20 avril la juge Helen Andenaes
Sekulic avait pointé du doigt « l’isolement » dans lequel était maintenu
cet homme aujourd’hui âgé de 37 ans, détenu à l’écart des autres
prisonniers depuis près de cinq ans. L’État norvégien avait été condamné
– et condamné à payer les frais judiciaires de Breivik : 331.000
couronnes (35.850 euros). L’Etat norvégien avait aussitôt fait appel.
Selon lui les conditions de sa détention ne constituent pas un
« traitement humain ou dégradant » défini par l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire