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mardi 12 janvier 2016

Zakaria Moumni : un boxeur face au roi du Maroc


Zakaria Moumni : un boxeur face au roi du Maroc

Zakaria et Taline Moumni © Ed. Calmann-Levy
Zakaria et Taline Moumni © Ed. Calmann-Levy
Dans « L’homme qui voulait parler au roi », publié aux éditions Calmann-Lévy en septembre 2015, le boxeur Zakaria Moumni raconte sa descente aux enfers face au pouvoir marocain, sous le règne du roi Mohamed VI. Un récit choc et sans tabou, écrit à quatre mains avec sa femme Taline.

Tout commence comme un conte de fées, comme la beauté du sport le permet parfois. En 1999, Zakaria Moumni représente le Maroc aux championnats du monde de kickboxing de Malte. Pour ce jeune issu d’un quartier populaire de Rabat, seul africain et seul arabe à remporter cette victoire cette année-là, c’est une immense fierté de porter le drapeau de son pays. Mais le sportif déchante lorsqu’il demande l’application d’un décret royal qui lui donne droit- en principe- à un poste de conseiller sportif. De la corrompue Fédération marocaine de kickboxing jusqu’à l’antichambre du roi du Maroc, le jeune homme se heurte à une série d’obstacles… Jusqu’à son enlèvement en 2010 par les services secrets marocains. Des faits qu’il raconte sans fards avec sa femme Taline dans « L’homme qui voulait parler au roi ». Un véritable pavé dans la mare de la dynastie alaouite.

L’envers du décor



L'homme qui voulait parler au roi © Ed. Calmann-LevyL’affaire Zakaria Moumni révèle une facette du Maroc très éloignée des clichés de cartes postales d’Agadir ou d’Essaouira. « Mon image du Maroc c’étaient les palmiers, les vacances à trois heures d’avion de Paris », explique Taline Moumni. Depuis la France, La jeune femme s’est brûlée les ailes en menant le combat pour faire libérer son mari des geôles marocaines. Mis à part certains médias qu’elle a pu mobiliser pour relayer sa cause, les associations de droits de l’Homme comme Human right watch, Amnesty International ou la Fédération internationale des droits de l’Homme ont vite abandonné le dossier. « A aucun moment je n’ai imaginé qu’il puisse encore y avoir en 2010, sous le règne de Mohamed VI, des pratiques de torture, des emprisonnements arbitraires, des procès montés de toute pièce », insiste t-elle.  « Je suis tombée des nues !»

« Tu mourras pauvre ! »

Les ennuis de Zakaria arrivent très tôt. Rapidement écarté de la fédération marocaine de kickboxing qui ne le trouve pas assez « lèche babouche », il parvient, en janvier 2006, à présenter une lettre de doléances au roi. Le lendemain, il rencontre son secrétaire Mounir Majidi au Palais royal de Rabat Touarga. Ce personnage haut placé lui fait une réponse pour le moins surprenante: « Est-ce que tu connais le premier Marocain qui a remporté une médaille d’argent aux JO de 1960 ? Il a vécu toute sa vie pauvre. Il est mort pauvre ». Zakaria est estomaqué: « J’ai répondu: « Je ne suis pas pauvre. Je ne mourrai pas pauvre. Et j’ai juste demandé au roi l’application d’un droit légitime ». Si Mounir Majidi se veut conciliant, le ton change après les relances de Zakaria. « On m’a répondu que Mounir Majidi ne m’a jamais rencontré et qu’il m’interdisait de rappeler sinon j’aurais de sérieux problèmes ! » Quatre ans plus tard, Zakaria rencontre par hasard le roi à Paris. « Il m’a dit que sa porte était ouverte ». Sans réponse, il manifeste seul, le 25 janvier 2010, devant le château de Betz dans l’Oise, la résidence du roi marocain en France. « Les gardes du corps sont venus me voir, énervés. Le plus grave c’est que Majidi m’a menacé de mort: « Tu as de la chance d’être en France. Au Maroc on t’aurait déjà fait la peau ! » Zakaria ne prend pas au sérieux ces menaces. Pour lui, les années de plomb se sont terminées avec le règne d’Hassan II. Et pourtant…

L’enlèvement

Au mois de février, Zakaria qui a déjà été mis en cause une première fois pour « atteinte à la sacralité du roi », retourne au Maroc pour demander l’autorisation de participer aux championnats du monde d’Édimbourg. Et là c’est le drame ! « On m’a conduit à une salle de l’aéroport de Casablanca avec quatre agents du contre espionnage marocain. Ma famille attendait dehors. On m’a confisqué mon téléphone, menotté, bandé les yeux et emmené dans un 4×4 sur le tarmac ». Zakaria se retrouve ligoté, nu, et torturé au centre de Temara, à deux kilomètres seulement de la résidence de Mohamed VI à Rabat : « Ils me répétaient que c’était l’abattoir de sa majesté, qu’on allait me découper, que je ne sortirais que dans des boîtes de conserve. » Lorsqu’il parvient à retirer son bandeau, Zakaria Moumni reconnaît parmi ses bourreaux le directeur du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi. Un personnage que Bernard Cazeneuve avait envisagé de décorer de la légion d’honneur en 2015, avant de se rétracter devant le tollé provoqué par cette affaire.

Des tiques dans la peau

Après une parodie de procès devant un « juge en civil », Zakaria échoue à la prison de Sales Zaki, dans une cellule de 20m2. « J’ai appris plus tard que j’ai été condamné à trois ans de prison ferme pour escroquerie sur deux personnes qui n’ont jamais existé. Mon avocat Abderrahmin Jamai a mandaté un huissier de justice pour rechercher ces soi-disant deux plaignants. Faux noms, fausses adresses. Aucun juge marocain n’a ouvert une enquête sur la torture. C’est pourtant une obligation depuis que le Maroc a signé la Convention des Nations-Unies. »
Pendant ce temps, la mobilisation de Taline fait du bruit grâce à un article paru dans le journal Le Monde. Zakaria est alors transféré pendant huit mois à la prison agricole de Romanni. Un enfer sur terre : « Il y avait soixante détenus dans 40m2 et des milliers de cafards. Les détenus avaient des tiques et des poux dans la peau. Ils avaient perdu toute humanité. C’étaient des morts-vivants. On m’a rasé la tête pour m’humilier. Toutes les peines étaient mélangées: des fous qui auraient dû être dans des hôpitaux psychiatriques, des peines de perpétuité, de six mois, de quinze ans. Des agressions, du viol, des rackets… »

La grâce

Au dehors, la pression internationale finit par payer. « Un émissaire est allée voir Zakaria en prison en se présentant comme l’ami du roi », raconte Taline. « Il voulait que je lève le pied sur les ONG et les médias. Cet homme est venu à Paris pour me faire cesser la mobilisation. Chose que je n’ai pas faite ! »
Finalement, le 4 février 2012, le jour de son anniversaire, Zakaria Moumni est « gracié ». Mais il n’en a pas pour autant fini avec les autorités marocaines. En mars 2013, le couple est invité au Maroc par l’ex-ministre de l’Intérieur Mohand Laenser. Il propose au sportif une « réparation matérielle » pour acheter son silence : un club de boxe à Paris. Du tac au tac Zakaria propose d’appeler le club Mohamed VI ! Devant son absence de « bonne volonté », les méthodes changent: « L’état marocain a fait un sordide chantage avec des photomontages pornographiques pris à notre insu à l’hôtel où on nous avait installés au Maroc. Ce sont des méthodes de voyou qui ne sont pas dignes d’un pays dans lequel le souverain est commandeur des croyants ! »

Notre ami le roi

D’abord confiant vis-à-vis du souverain, Zakaria Moumni l’accuse aujourd’hui d’avoir -à minima- gardé le silence sur son affaire: « A un moment donné, il est difficile de concevoir que le roi, avec la mobilisation, les lettres, les publications, ne puisse pas avoir été au courant », estime Taline.
« Au début je donnais toutes les excuses au roi », poursuit Zakaria. « J’ai eu la confirmation de son directeur du protocole, qui est H24 avec lui, qu’il a bien reçu mes lettres. S’il reste silencieux ça veut dire qu’il cautionne. Hammouchi a même eu une promotion. Il est devenu directeur de la police nationale ! »

Suites judiciaires

Depuis, le couple essaie de se reconstruire tant bien que mal: « A aucun moment on n’a réussi à sortir de cette affaire. Elle est dans notre vie au quotidien », avoue Taline. « On est la cible d’un acharnement judiciaire. Le Royaume du Maroc a porté plainte six fois pour diffamation contre nous. Il n’y a aucun contre-argument de leur part sur la torture et l’emprisonnement arbitraire de Zakaria. Ce sont des procès sur des propos qu’on a tenus à la télévision dans le cadre de la promotion du livre. C’est complètement kafkaien ! Il y a aussi le harcèlement moral, les menaces physiques…. »
Le 28 mars 2015, suite à une plainte déposée contre Abdellatif Hammouchi pour torture au pôle spécialisé crimes de guerre, crimes contre l’humanité du Tribunal de grande instance de Paris, le Parquet a conclu que la justice marocaine devait faire son travail. Dans le cas contraire, la justice française doit prendre le relais: « Si Hammouchi était jugé, ça changerait peut-être beaucoup de choses», insiste Zakaria Moumni. Comme les subalternes voient que leur chef est protégé, ils se sentent intouchables. »
Zakaria Moumni ©TV5
Zakaria Moumni ©TV5

Passeport déchiré

En octobre 2015, lors d’une émission à TV5 Monde, Zakaria Moumni déchire son passeport marocain en direct. Un geste qui fait scandale. Zakaria assure ne pas l’avoir fait contre son peuple mais contre un système qu’il dénonce: « Je ne veux pas être lié à un pays qui continue à torturer ses citoyens ! »martèle t-il. « Je suis solidaire des autres victimes de torture qui ne peuvent pas saisir la justice. Dans le livre, je cite le cas de deux jeunes qui ont été enlevés. La justice marocaine les a poursuivis parce qu’ils ont osé parler de leur enlèvement et de leur torture. Il y a quelques mois, un jeune Marocain est mort sous la torture dans un commissariat de Casablanca. Un autre a été torturé et humilié avec un bâton à Fès par trois policiers». En attendant, malgré les alertes internationales, le gouvernement continue de nier l’existence de Temara. « A l’époque de Tazmamart, ils ont dû attendre la mort d’Hassan II », rappelle Zakaria. « Pour Temara, ils vont attendre la mort de Mohamed VI. Faudra t-il attendre le règne d’Hassan III ou d’un autre pour que la torture cesse ? ». Aujourd’hui, Zakaria Moumni a la nationalité française. Symboliquement, il a demandé la déchéance de sa nationalité marocaine. Problème: Seul le roi peut l’accorder. A ce jour, Zakaria Moumni n’a pas obtenu de réponse.

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Julien Le GrosJulien Le Gros est un journaliste indépendant, spécialisé sur les cultures d'Afrique. Il a notamment écrit pour Jazzman - Jazz magazine, Afriscope, Mondomix... mais aussi sur Internet avec Africultures, Mondafrique, Tribune 2 l'artiste, International Hip Hop. Il a fait des reportages au Kenya, Cameroun, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Sénégal et récemment en Guinée Conakry sur le virus Ebola.

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