LE MONDE |
Par Noël Mamère
Ils ont gagné ! La réponse ultra-sécuritaire que le président de la République, François Hollande, et le gouvernement socialiste sont en train de donner aux attentats du 13 novembre en région parisienne n’est, en effet, rien d’autre qu’une capitulation devant l’infâme et un renoncement aux valeurs de notre pacte démocratique. Au nom de la « guerre contre le terrorisme », ils construisent, jour après jour, les fondements d’un régime policier, sous les applaudissements d’une grande majorité de Français, qui se réveilleront demain avec la gueule de bois, quand ils prendront enfin la mesure des atteintes à leurs libertés collectives et individuelles.Contaminée par les trois maladies du siècle – la tyrannie de l’émotion, la dictature de l’instant et la simplification –, la gauche de gouvernement perd son âme. A force de reprendre, mot pour mot, les formules de la droite la plus sécuritaire, elle a fini par banaliser ses idées. Alain de Benoist et ses amis du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne peuvent se frotter les mains, leur pari gramscien de l’hégémonie culturelle est en passe de réussir. L’impensé politique de la gauche n’aura pas été pour rien dans cette effarante victoire.
La famille Le Pen était sans doute à cent lieues d’imaginer que ce cadeau viendrait de la gauche devenue une machine à recycler quelques-unes de ces idées les plus folles, comme la déchéance de nationalité pour des doubles nationaux nés Français, première brèche ouverte dans le sacro-saint droit du sol. Pour ceux qui, minoritaires sans doute en ces temps de présentisme perpétuel dont la principale fonction est d’effacer la mémoire, se référeront à l’histoire, ils découvriront que cette abominable disposition remonte à Vichy, quand ce régime, sous-traitant des nazis, pourchassait les juifs et les résistants de la main-d’œuvre immigrée… Que le président de la République veuille inscrire cette infamie dans notre Constitution, pour des raisons bassement politiciennes, est une insulte à leur mémoire.
Il y a juste soixante ans, la IVe République avait entamé son agonie par le vote de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, suivie, un an plus tard, des pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet. On sait ce qu’il est advenu : la guerre d’Algérie, avec ses morts pour rien et la banalisation de la torture, qui s’est terminée, en mai 1958, par la prise de pouvoir du général de Gaulle à la faveur d’un putsch qui ne dit pas son nom, puis par le massacre des Algériens, le 17 octobre 1961, et la tuerie de Charonne en février 1962, sous les ordres du sinistre préfet Papon. Certes, comparaison n’est pas raison et certains crieront à la caricature. Pourtant, en installant l’état d’urgence permanent, François Hollande retrouve les accents de Guy Mollet qui, lui aussi, avait cru engranger une popularité fugace en enfourchant les positions de la droite et de l’extrême droite, déjà représentée par un député poujadiste du nom de Jean-Marie Le Pen.
La gauche le paiera cher
L’état d’urgence a été instauré et prolongé, nous dit-on, pour donner à la police une efficacité qu’elle n’aurait pas en temps normal. Mais en quoi les interdictions de manifestations, en raison « de troubles à l’ordre public », comme celles des écologistes, ou en faveur des migrants, servent-elles à la lutte contre le terrorisme ? Comment peut-on affirmer respecter l’État de droit quand tout individu peut être suspecté en fonction de son « comportement », être assigné à résidence ou empêché de se déplacer librement en fonction de « menaces fondées sur des présomptions sérieuses » ? Comment ne pas s’inquiéter de perquisitions administratives, qui relèvent de la décision des préfets, en dehors de tout cadre judiciaire ? Sans oublier la mise sous contrôle d’Internet, la conservation de données informatiques ou des fadettes de téléphone… Trop, c’est trop.La dérive sécuritaire a toujours été mortelle pour la gauche et celle-ci le paiera cher. Les démiurges cyniques qui gèrent la communication de l’Elysée et de Matignon s’imaginent sans doute qu’ils peuvent à eux seuls remplacer la société et décréter quelles sont les bonnes et les mauvaises manières de se mobiliser contre le terrorisme. Ils pensent que la démagogie sécuritaire, inefficace mais spectaculaire, va leur permettre de déstabiliser leurs adversaires politiques de droite et de gauche, tout en rassurant les citoyens. Ils ont peut-être raison à très court terme, mais dans quelque temps, au prochain attentat, à la prochaine catastrophe, ceux qui les applaudissent aujourd’hui se retourneront contre eux.
Démagogie sécuritaire, inefficace, mais spectaculaire
En ayant fait le choix de gouverner par la peur, François Hollande et Manuel Valls – l’homme qui n’a pas hésité à parler de « menace chimique » quelques jours après les attentats – sont en train de donner les derniers coups de marteau sur le cercueil de la gauche.Cette tentation libérale autoritaire n’est pas née en janvier ou le 13 novembre. Elle est, en fait, le révélateur d’une faillite politique, qui a conduit la gauche de gouvernement dans cette tragique impasse. Les premiers signes forts sont apparus avec la mort de Rémi Fraisse, que le pouvoir a d’abord présenté comme un dangereux zadiste, alors que ce jeune militant écologiste et pacifiste était bel et bien la victime des décisions d’une chaîne de commandement.
Décisions irresponsables
La commission parlementaire sur « le maintien de l’ordre dans le respect de la liberté d’expression et du droit de manifester », que j’ai présidée à la suite de cette tragédie, a été détournée. Au lieu de se demander comment adapter le maintien de l’ordre au respect du droit de manifester, elle a prôné une série de mesures visant à criminaliser les manifestants, à restreindre le droit de manifestation et à mettre en cause les libertés fondamentales. La belle unanimité des commissaires de droite et de gauche (moins la députée PC Marie-George Buffet et moi-même) laissait présager le pire. Il est arrivé.C’est sur ce terreau que Mme Le Pen et ses amis du Front national pourront accéder demain à la présidence d’une ou de plusieurs régions et peuvent penser sérieusement aux plus hautes fonctions de l’Etat… Imaginez, alors, ce qu’un état d’urgence constitutionnalisé pourrait devenir entre les mains d’un gouvernement dirigé par le Front national ! Nous n’aurions alors que nos yeux pour pleurer.
Ceux qui prennent des décisions irresponsables aujourd’hui auront des comptes à rendre demain. Non seulement ils vont perdre le pouvoir, mais ils font disparaître pour longtemps les principes fondateurs et l’imaginaire de la gauche : Clemenceau remplacera Jaurès ; l’état de guerre deviendra l’ordinaire ; l’ordre policier se substituera à l’égalité et à la liberté. L’État socialiste n’aura pas terrorisé les terroristes, mais la société, au prétexte de la sauver. Qu’il ne compte pas sur moi et quelques autres pour l’accompagner dans cette descente aux enfers !
La Ve République est née de l’excès de l’état d’urgence. Elle peut aussi en mourir. Jamais le combat pour une VIe République, fondée sur la citoyenneté sociale et la démocratie, n’a été aussi impérieux. Décrétons l’état d’urgence démocratique !
Par Noël Mamère (Député écologiste)
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