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27 octobre 2015
Depuis des années, le pouvoir médiatique et politique martèle des expressions telles que "quartiers sensibles", "apartheid", "territoires perdus de la République", etc. Par la banalisation de ces termes, les habitants des quartiers populaires se retrouvent ciblés et stigmatisés de façon récurrente. Malgré cela, ces derniers s'auto-organisent pour faire valoir leurs droits, dans un contexte de forte régression sociale. Ils contribuent ainsi à la transmission d'une mémoire des luttes à l'échelle nationale. Dix ans après la révolte des banlieues, le FUIQP appelle à participer à la Marche de la Dignité de Paris le 31 octobre prochain. Entretien.
Quand et comment est né le FUIQP ?
"Le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires " est né en France en 2012. Il a quatre racines historiques.
La première parce qu’il est né à la suite d’un travail de terrain sur
plusieurs années, qui a fait se rencontrer deux dynamiques nationales :
le Forum Social des Quartiers Populaires (2007-2011) et les Rencontres
Nationales des Luttes de l’Immigration (2009-).
Ces deux rassemblements nationaux ont réuni des dizaines
d’organisations, « historiques » ou plus récentes, de chibanis ou de
jeunes, de femmes et d’hommes, venus de toute la France et issus des
luttes autonomes des quartiers populaires et de l’immigration. De cette
rencontre sont nées deux stratégies : l’une consistant en la création
d’un parti politique (La Force Citoyenne Politique) dans laquelle se
sont reconnues certaines associations ; l’autre consistant en la
création d’un Front (FUIQP) dans lequel se sont investies d’autres
associations. Car, contrairement à ce que prétendent les médias
dominants, les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques.
Des centaines de collectifs existent, des milliers de personnes se
battent chaque jour pour leurs droits, leur dignité, contre l’injustice
et la hoggra (le mépris et l’humiliation).
La seconde racine est plus ancienne. Le FUIQP est aussi l’héritier
des Marches pour l’Egalité et contre le Racisme de 1983-84-85, et des
nombreuses expériences historiques qui ont œuvré à créer un mouvement
autonome des quartiers populaires et de l’immigration au niveau
national. (1)
Il s’agissait de refuser le paternalisme infantilisant les habitants
des quartiers populaires, et d’affirmer que nous sommes des sujets
pensant et parlant par nous-mêmes et selon nos propres intérêts.
La troisième racine est celle des luttes de 1960-70, organisées ou
résistances plus informelles des pères et mères des quartiers populaires
et immigrés, des ouvriers immigrés (automobile, textile, charbon,
agriculture, services, etc.), Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA),
comités de soutien à la Palestine, luttes contre l’impérialisme et la
colonisation, associations de femmes des quartiers, luttes des foyers de
travailleurs immigrés, luttes contre les bidonvilles, premières
mobilisations des jeunes des quartiers, grèves de la faim des immigrés
devenus sans papiers, mobilisations contre les crimes racistes et
sécuritaires, lutte contre les débuts de la « rénovation urbaine », etc.
La quatrième racine correspond à cinq siècles de résistances et de
luttes acharnées des peuples contre l’esclavage, contre la colonisation,
contre l’impérialisme, contre le capitalisme, contre le patriarcat.
Nous sommes aussi les héritiers de tous ces hommes et de toutes ces
femmes qui se sont battus par tous les moyens nécessaires pour affirmer
leur dignité et pour refuser l’oppression.
Le FUIQP est né de ces racines historiques à la fois profondes et
puissantes. Nos parents et grands-parents, nos frères et nos sœurs, nos
camarades, nous ont légué ce beau patrimoine qui nous renforce dans nos
combats d’aujourd’hui. Cette histoire nous rend fiers de ce que nous
sommes et donc plus sûrs de ce que nous pouvons faire.
Quelles sont les principales caractéristiques ainsi que les objectifs de votre collectif ?
L’objectif du FUIQP est de créer une force autonome de l’immigration
et des quartiers populaires. Cela passe avant tout par la constitution
d’un espace d’organisation politique pour défendre nos propres
revendications. Nous sommes avant tout les premiers concernés par les
luttes que nous menons parce que nous vivons nous-mêmes les oppressions
que nous combattons.
Notre analyse politique se distingue par le fait que nous entendons
combattre les dominations de classe, de race et de sexe dans toutes
leurs dimensions et à travers toutes leurs formes. Nous les comprenons
comme un tout et par conséquent nous affirmons que chaque lutte
sectorielle est profondément liée à toutes les autres.
Nous entendons aller à la rencontre de plusieurs générations
militantes et participer ainsi à la transmission de la mémoire des
luttes et de l’expérience de nos aînés, pour en apprendre le plus
possible. Nous cherchons donc à mettre en place des espaces
d’autoformation par l’éducation populaire car c’est l’expérience des
luttes qui nous permet d’avancer.
Sur cette base, nous essayons donc de mettre en place à la fois une
pratique militante au quotidien, tout particulièrement en visant les
quartiers populaires, et des activités de faire ensemble, des
manifestations et rassemblements réguliers ou encore des actions de
promotion de l’éducation populaire. Nous menons également des campagnes
de solidarité avec un grand nombre de luttes, comme avec les chibanis de
la SNCF, mais aussi à travers le soutien aux familles victimes de
violences policières.
Nous tenons également à signaler que, depuis cette année 2015, le
militant libanais de la résistance palestinienne Georges Ibrahim
Abdallah, prisonnier politique en France depuis plus de 30 ans, a
accepté d’être notre président d’honneur. Il symbolise pleinement notre
combat pour la justice.
Quels sont vos moyens d’action et vos perspectives ?
Notre moyen d’action a été défini par nous-mêmes : c’est
l’auto-défense politique par tous les moyens nécessaires afin d’empêcher
les systèmes de domination et leurs agents de nous tuer, soit
directement (à travers les crimes policiers par exemple), soit par des
formes de meurtres de basse intensité mais à grande échelle. Cela passe
par des violences économiques, par une surexploitation au travail qui
détériore notre santé, des violences institutionnelles et médiatiques
qui nous humilient, nous diminuent et contribuent à nous abîmer
moralement et parfois à nous détruire mentalement, etc.
C’est aussi pourquoi nous avons à cœur d’entretenir un fort esprit de
famille, de solidarité et de convivialité au sein de notre
organisation, et que nous affirmons que tout le monde peut et doit
s’investir pleinement dans celle-ci.
Nous cherchons à créer un mouvement populaire et puissant en partant
d’en bas, en progressant pas à pas et en nous structurant selon les
nécessités. Nous sommes donc en constante phase d’expansion et des
comités du FUIQP existent actuellement dans plusieurs villes et régions
de France.
Vous avez développé un important travail de sensibilisation autour de la montée du racisme en France, notamment de l’islamophobie mais aussi du racisme anti-rom et de la négrophobie. Selon vous, s’agit-il d’un phénomène que l’on pourrait qualifier de « spontané » et en lien avec la crise économique, ou alors sommes-nous face à un problème davantage structurel ?
Un phénomène spontané ? Non. Les médias mettent en lumière le racisme
à certains moments stratégiques pour les classes dominantes, mais
concrètement, il a toujours été présent dans la vie des personnes qui le
subissent. Est-ce qu’il a eu un commencement historique ?
L’esclavagisme, les premières immigrations ou même Christophe Colomb ?
En réalité, il y a du racisme à partir du moment où il y a un besoin
économique, à partir du moment où l’Occident a dû inférioriser les
indigènes afin de justifier la colonisation qui était nécessaire au
développement du capitalisme.
C’est clairement un phénomène continu et ancré dans l’inconscient
collectif à travers les représentations du Noir, de l’Arabe, du
musulman, dans les chansons, le cinéma, la publicité, etc. Bien sûr, à
travers les époques, le racisme peut évoluer et prendre des formes
différentes. L’arabophobie et la négrophobie se sont par exemple
déguisées en islamophobie.
Sous couvert de défense de la laïcité, voire d’anticléricalisme, on a
en fait un authentique racisme "respectable", teinté de sexisme
d’ailleurs, car touchant majoritairement les femmes.
Le problème majeur de la violence raciale en France est que celle-ci
s’exerce du haut vers le bas : de l’État sur une partie de la
population. C’est cela qu’on appelle le "racisme structurel",
"institutionnel" ou "racisme d’État". Il se caractérise concrètement
dans tous les domaines de la vie sociale par la discrimination à
l’embauche, au logement, dans la scolarité, par les contrôles au
faciès... et son aboutissement extrême est le meurtre policier. Alors
oui, les "petites gens" sont plus xénophobes en période de crise
économique quand les médias leur disent que les immigrés mangent le pain
des Français, mais ce ne sont pas les gens d’en bas qui font subir le
racisme aux dominés, c’est bel et bien l’État.
Selon vous, quelles sont donc les véritables causes du racisme ?
Le racisme a des causes économiques et historiques. Les conquistadors
de 1492, tous les empires coloniaux européens, ont eu économiquement
besoin d’inventer le racisme, pour justifier l’exploitation des humains
pour le profit, pour le développement du capitalisme. Et c’est la même
chose aujourd’hui : si les médias occidentaux stigmatisent les
musulmans, c’est parce que les puissances impérialistes ont un besoin
économique de faire la guerre aux pays pétrolifères. En France, il y a
une proportion importante de musulmans, c’est donc encore plus
« rentable » pour les gouvernements de propager le racisme, et en
particulier l’islamophobie et la négrophobie. En effet, cela permet d’un
côté d’aller faire des guerres coloniales (Lybie, Mali, Syrie…), et de
l’autre de créer un ennemi intérieur, qui va cristalliser toutes les
peurs et rancœurs du reste de la population. Et quand on se concentre
sur le faux ennemi… on en oublie totalement le vrai : celui qui remplit
les poches des patrons, qui est en train de détruire le système de
protection sociale, qui vend le pays aux banques les plus généreuses.
Vous associez immigration et quartiers populaires, deux termes actuellement soumis à des discours médiatiques et politiques particulièrement omniprésents et qui font l’objet d’une forte stigmatisation. Ainsi, nous entendons parler de "quartiers sensibles", "apartheid", "territoires perdus de la République", etc. Quelle signification recouvre ces termes ? Comment analysez-vous la continuité de cette stigmatisation des quartiers populaires ?
D’abord, ce n’est pas le FUIQP qui associe immigration et quartiers
populaires. C’est un fait : les immigrés et leurs enfants,
particulièrement issus des anciennes colonies, habitent majoritairement
dans les quartiers populaires, en France. Nous sommes attachés à cette
dénomination parce que « populaire », c’est le peuple, autrement dit
toute la population qui n’exerce aucune forme de pouvoir et sur qui le
pouvoir est exercé. Et cette impuissance est plus criante dans les
quartiers que nulle part ailleurs.
Derrière chaque terme que l’on utilise, il y a une idée… quand on dit
« quartier sensible », c’est pour euphémiser, ne pas parler des faits :
de la pauvreté, du chômage, de la misère. Sensible ? Sensible à quoi ?
C’est un joli mot… qui ne dit rien. Parfait pour les médias. Après, on
pourrait décortiquer tous les termes qui sont utilisés : quartiers
chauds, banlieues, zones périurbaines… Absolument aucun ne porte autant
de vérité que « quartiers populaires », à notre avis.
Les quartiers populaires, partout en France, sont les zones où les
dominations sont les plus fortes, et c’est pourquoi ce sont de ces
quartiers que partent les plus importantes formes de rébellion. Les
révoltes des quartiers populaires sont les plus importantes depuis la
Commune de Paris en 1871. C’est pour cette raison que le pouvoir
médiatique et politique cherche à les stigmatiser de manière
particulièrement raciste, pour en faire des territoires isolés et
empêcher les opprimés de s’unir à un niveau national. Nous voulons au
contraire montrer que les quartiers populaires ne sont pas le problème
mais plutôt la solution.
Le FUIQP s’intéresse aussi à la question des violences policières et de l’impunité. Au lieu de rester sur le simple constat des statistiques, vous essayez de briser un mur de silence et ne pas laisser seules les victimes. Quelles ont été les expériences les plus marquantes pour vous dans ce domaine ?
L’expérience nous montre que seul le suivi (juridique, militant,
etc.) par des collectifs permet de sortir du silence sur les crimes
racistes mais aussi de relier chacun des drames aux mécanismes
structurels qui les produisent. Nous ne sommes pas en présence de bavure
mais du résultat d’un système étatique qui donne des missions aux
forces de police ne pouvant que susciter des crimes : contrôle au
faciès, surveillance des quartiers, création de la Brigade
Anti-Criminalité, type d’armement des policiers, etc. Il est en
conséquence important de ne pas se contenter du suivi de chaque
situation mais de les relier politiquement. Il en découle la nécessite
d’actions communes : manifestations nationales, forums police-justice,
tribunal populaire. Ainsi nous lançons à partir du printemps une
campagne « tu-me-tutoies-pas » car nous considérons que la violence
suprême qu’est la mort est le résultat d’une multitude de petites
violences du tutoiement au non respect des personnes.
Trente ans après la Marche pour l’Egalité vous avez fait appel à une mobilisation massive pour ce 31 octobre. Quelle fut l’importance historique de la Marche et quels sont les enjeux de cette mobilisation dans le contexte actuel ?
La Marche pour l’Egalité fut l’acte de naissance d’une génération
militante. Elle fut productrice de dynamiques militantes qui ont marqué
ces trois dernières décennies. Elle posa les questions de
l’auto-organisation des immigrés et des quartiers populaires. Elle fut
un acte de rupture avec le paternalisme antérieur. Elle fut un acte de
dignité. Trente ans après, l’oppression subie est la même, les
inégalités et les discriminations sont massives et systémiques. Les
crimes policiers continuent en toute impunité. Pour toutes ces raisons,
nous avons de nouveau besoin de mobilisations communes et nationales.
Dans un monde où se multiplient les nouvelles guerres coloniales, où le
racisme structurel est de nouveau à l’offensive, il est temps de
reprendre l’offensive. C’est à cela que contribue la marche de la
dignité. Nous voulons faire le maximum pour qu’elle soit une véritable
reprise de l’initiative par nous-mêmes, selon nos priorités et pour
nous-mêmes.
Note :
1) A travers une succession d’associations telles que Mémoire Fertile, le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, le Mouvement Autonome de l’Immigration, le Mouvement des Indigènes de la République, etc.Source : www.investigaction.net
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