Ce livre est né d’une indignation. Lors de l’audience de rentrée
de la Cour de cassation, en mai 2010, Nicolas Sarkozy annonce son
intention de supprimer la fonction de juge d’instruction, comparant les
magistrats à des «petits pois». Aussi anecdotique soit-elle,
l’expression signe la brutale reprise en main de la magistrature durant
le précédent quinquennat, relayée par certains procureurs zélés.
Traumatisé par Clearstream, Sarkozy veut en finir avec ce juge
d’instruction jugé trop indépendant. Ayant occupé ce poste pendant près
de vingt ans, Patrick Ramaël décide ce jour-là de tenir la chronique
d’une mort annoncée. L’ouvrage tiré de ses réflexions apparaît comme un
plaidoyer pour la fonction qui reste, malgré ses défauts, le meilleur
contrepoids au pouvoir démesuré du parquet, et qui a survécu aux assauts
sarkozystes.
Hors procédure est aussi une plongée dans le quotidien d’un
juge qui a instruit des centaines d’affaires, avec un fort tropisme pour
l’Afrique. Il a notamment enquêté sur l’assassinat de Jean Hélène et la
disparition de Guy-André Kieffer, côtoyant cette Françafrique où, dans
le sillage des réseaux Foccart, s’activent «des affairistes de plus ou moins grand talent».
A la lecture, une affaire laisse un goût amer : l’enlèvement de
l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, le 29 octobre 1965, à Paris. «Une personnalité extraordinaire qui aurait pu changer le destin de son pays»,
raconte le juge, désigné en 2004 pour reprendre l’instruction ouverte
trente ans plus tôt. L’opération à laquelle ont pris part les services
secrets marocains et des policiers français continue à faire tache un
demi-siècle plus tard.
Ramaël reprend l’enquête depuis le départ, mais se heurte au secret
défense et à l’obstruction des autorités marocaines. Une situation
ubuesque : le principal suspect de l’enlèvement, condamné à Paris par
contumace en 1967, habite aujourd’hui une villa chic de Rabat située…
avenue Ben-Barka. En 2007, face à l’inertie des autorités, le juge
profite du premier voyage d’Etat de Nicolas Sarkozy au Maroc pour
relancer les mandats d’arrêt contre les suspects encore vivants. Cette
initiative - qui provoquera un incident diplomatique - lui vaudra des
poursuites disciplinaires et une haine tenace de l’ancien président.
Aucun des suspects ne sera finalement entendu. Cinquante ans après
l’enlèvement de Ben Barka, l’instruction est toujours ouverte.
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