Par Ali Benacher, 3/11/2013
Vous l’avez certainement remarqué : ces derniers temps un petit homme
court les plateaux de télévision en France, s’agite dans les journaux
et colonise les ondes des radios makhzéniennes. C’est un professionnel
de l’éloge à Momo le sixième. Il est remonté à bloc et à chaque poussée de fièvre, il bondit comme le coucou de son horloge.
Quel fougueux orateur lorsqu’il s’agit de se mettre au service de la mystification ! Le preux chevalier Charles Saint-Prot porte l’estocade à ce pauvre Ali Anouzla en l’accablant sur TV5Monde d’être un dangereux complice des terroristes d’AQMI, reprenant mot pour mot les mensonges et fadaises de Mustapha El Khalfi, notre valeureux ministre de la propagande.
Il l’enfonçait davantage après avoir commenté sur Le Matin du Sahara le rétropédalage de Mohamed VI dans le DanielGate en ces termes : «
Cela ne devrait plus laisser de place aux tentatives de certains
agitateurs professionnels et des ennemis du Maroc d’instrumentaliser
l’affaire pour servir d’obscurs desseins qui n’ont rien à voir avec
l’affaire en question ». Là, il paraphrasait Khalil Hachimi Idrissi, le porte-voix de la MAP.
Ce sera ensuite à Abdelaziz Bouteflika « manipulateur et agressif » d’être terrassé comme le dragon par l’archange Michel au sujet de la crise entre le Maroc et l’Algérie : « C’est Alger qui tire toutes les ficelles des divers propagandistes ». Certes, mais venant de la part d’un propagandiste à la solde de Rabat, c’est tout de même un comble…
Voilà ce qu’il déclare à la MAP justement sur le Polisario : « Le
groupe activiste est en pleine dérive mafieuse et il a même des
accointances avec les terroristes du Sahel, notamment Al-Qaïda, comme
l’a récemment souligné une agence de renseignements japonaise ». Des espions nippons qui nous apprennent que les bidasses de Mohamed Abdelaziz sont de dangereux islamistes… ? Cela ressemble beaucoup au discours d’un certain Claude Moniquet
qui sévit depuis la Belgique et saute comme lui sur le premier micro
qu’on lui tend pour pourfendre les polisariens et chanter les louanges
de la si douce dictature marocaine.
« La voix de son maître »
Mais qui est donc Saint-Prot le muezzin du roi qui fait tout de suite penser au fox-terrier Nipper écoutant religieusement « la Voix de son maître » sortant du gramophone dans la célèbre pub de Pathé-Marconi ?
Lui se présente comme « historien, géopolitologue, islamologue et politologue ». Autant dire un savant. Il dirige l’Observatoire d’études géopolitiques
(OEG). Mais qui a entendu parler de l’OEG à part la MAP et quelques
journalistes français habitués aux vols Paris-Marrakech aux frais de la
princesse ? Pas grand monde en réalité. Installé à Paris dans les beaux
quartiers, il réunit une poignée d’universitaires plus familiers des
amphis que des grands débats qui agitent la société. Parmi eux, Frédéric Rouvillois qui loue sa plume aux bateleurs du Palais. Il vient de commettre avec Saint-Prot « L’exception marocaine », un livre sitôt entamé vous tombe des mains tellement il est soporifique et cousu de fil blanc.
En fait, Saint-Prot n’est pas davantage connu du grand public. C’est un vieux mercenaire. A mi-chemin de l’Action française de Charles Maurras
et du gaullisme, ce prof de sciences politiques apprécie peu les
démocraties libérales. C’est même un nostalgique du nationalisme
chauvin. D’où son attirance pour les dirigeants nationalistes arabes,
fussent-ils des despotes. Aussi, avait-il un faible pour Saddam Hussein qu’il présentait, bien avant qu’il ne soit pendu, comme le « de Gaulle arabe ».
La biographie qu’il lui a consacré en 1988 est une fresque à la gloire
du dictateur. Chantre ou griot, Saint-Prot ne fait pas dans la
demi-mesure : « Saddam se bat contre Khomeiny comme Churchill contre Hitler »…On l’a compris, il vendait son image de marque.
Il faut lire aussi ses interviews de Mouâmmar Kadhafi ou du président soudanais Omar Al Bachir pour la revue de l’OEG ou la complaisance le dispute à la gloriole.
« Allô Charlot ? Il nous faut un livre, vite ! »
En 2009, pour les dix ans de règne de Mohamed VI, Le Figaro,
une autre lumière déontologique, réalisait un dossier sur commande du
Maroc comprenant (c’était inévitable) une tribune signée de Saint-Prot
et de deux profs de l’Université Paris-Descartes qui ont participé à
l’écriture de l’ouvrage « Le Maroc en marche ». Un livre dithyrambique qui était censé faire taire les Cassandre.
On y lit: « il ne manquera jamais de dénigreurs professionnels
pour ne montrer que le verre à moitié vide, seriner les vieilles
antiennes contre cette monarchie nationale qui a fait le Maroc ou
occulter les évolutions concrètes intervenues dans tous les domaines ».
On l’a vite compris, ce n’est pas Saint-Prot qui parlera de la
prédation économique du roi et de son entourage, ni des disparités
sociales béantes, ni de la farce démocratique de 2011. Pas de diatribe
non plus contre la justice aux ordres et la presse sous haute
surveillance.
« Le Maroc en marche » (étonnamment édité par le CNRS) n’est en fait qu’une compilation des actes d’un colloque organisé en sous main par les lobbyistes du Palais, dont Driss Alaoui M’Daghri, ancien ministre sous l’ère Basri. La grand-messe fut célébrée le 29 juin 2009 au Sénat français ou un groupe d’amitié ‘France-Maroc’
y prospère grâce aux largesses de Rabat. C’est aussi à la Salle Colbert
du même Sénat que Saint-Prot avait défendu bec et ongles les mérites de
la diplomatie marocaine. C’est encore là qu’il viendra offrir un
petit-déjeûner à la tribu des aficionados du plus-beau-pays-du-monde pour célébrer la sortie de chacun de ses pavés publicitaires sur son régime.
Quand l’actualité ne lui donne pas l’occasion de répéter tel un
perroquet ce qu’on lui susurre de Rabat, il maintient son quota de
production en ouvrages hagiographiques sur les sultans alaouites, dont
un « Mohammed V ou une monarchie populaire » passé complètement inaperçu en France malgré l’organisation d’un pompeux exposé parrainé par l’Institut Français, mais qui a eu droit à la fanfare de la télé marocaine au salon du livre de Casablanca.
Grosse manip’ au procès de Gdeim Izik
C’est donc évident. Charles Saint-Prot aime le Maroc et son roi,
enfin celui de l’ordre établi, des castes, de la féodalité dont il salue
le paternalisme. Une décision royale, un discours prononcé et
Saint-Prot se met à l’ouvrage. Il écrit sur tout en expert multicarte
auto-déclaré, sur le Sahara bien sûr, sur le modèle de régionalisation
avancée, sur l’heureuse femme marocaine enfin libérée, sur les droits de
l’homme consacrés à tous, sur l’économie émergente…
En plus d’être un obligé du Palais, Saint-Prot est aussi un mauvais manipulateur : Sur MAP TV, il faisait l’apologie du procès de Gdeim Izik, louant « sa transparence »…
Le 25 février 2013, le sulfureux avocat Michel de Guillenchmidt (l’avocat de l’église de scientologie et constitutionnaliste d’Abdoulaye Wade soit dit en passant) organisait, dans son cabinet parisien, la première conférence de presse de l‘Association de promotion des libertés fondamentales (APLF) qu’il préside. L’APLF ? Une asso créée opportunément en France pour « monitorer » le procès Gdeim Izik et dont le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) de Driss El Yazami a… commandé le rapport final !
Et vous savez quoi ? Sur les 9 observateurs dépêchés au procès par
l’APLF, 4 sont membres de l’OEG dont bien entendu son fondateur Charles
Saint-Prot.
L’arnaque aura servi à dire que des ONG internationales avaient
validé la bonne conduite d’un procès de civils pourtant conduit à
huis-clos par un tribunal militaire…
Un Wissam pour le griot du roi !
Lors d’un débat houleux sur France 24 où
une limousine de l’ambassade du Maroc à Paris l’avait déposé, Charles
Saint-Prot avait mouillé la chemise contre les autres invités du plateau
pour défendre son maître. En voici un florilège : « Le trône alaouite n’est pas une monarchie de droit divin », « Les
critiques à l’endroit du roi insultent le peuple marocain qui a
construit des marinas, un tramway pour les pauvres étudiants de Salé et
un port grandiose à Tanger à la sueur de son front », « seule la monarchie pouvait assurer la marche du Maroc vers le progrès et la démocratie ». Au sujet de la presse qui subit les affres des procès et de la censure : « De toutes façons, les amendes ne sont pas payées par les journaux condamnés ». Belle conception de la justice au royaume de Momo !
A n’en pas douter, l’OEG de Saint-Prot a de nombreux sponsors du Makhzen : CNDH, CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, dirigée, comme le CNDH, par le même El Yazami) entre autres et toutes ces opérations byzantines avec l’Université Paris-Descartes, les éditions CNRS, la tribu « France-Maroc »
au Sénat etc., le prouvent davantage. Il lui manque pourtant une
reconnaissance pour tous ses services rendus à la monarchie et que ses
souteneurs ne lui ont pas (encore) accordés comme à d’autres : un Wissam
de l’ordre du mérite !
Ali Benacher
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