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vendredi 31 août 2012

Histoire : A quoi sert donc l’allégeance ?

  par Driss Benali, 26/8/2012

Les partisans de l’ordre établi et les éléments conservateurs ont pris coutume de tout justifier par la Tradition, comme si celle-ci nous avait permis de nous hisser au rang des nations civilisées, avancées et donc prospères… 
Quelle imposture, quelle faute ! Interrogeons donc l’histoire, et alors nous comprendrons que notre sous-développement et les affres de la colonisation que nous avons eu à subir reviennent en grande partie à nos… traditions.
Le maréchal Lyautey, premier Résident général au Maroc, avait judicieusement remarqué que la préservation des anciennes coutumes et leur renforcement constituaient le meilleur moyen de garantir une pérennité de la domination française au Maroc. Et ainsi, au nom du respect de notre identité, Lyautey a œuvré à la protection, puis à la consolidation des aspects les plus réactionnaires, les plus arriérés de nos coutumes. N’était-ce donc pas lui qui avait conféré tout son lustre et son aspect festif à l’allégeance des caïds et des pachas, comme le Glaoui, el Goundafi, Baghdadi, Mtougui, Aïssa, Bouâmer et bien d’autres encore ? Ces gens ont par la suite été instrumentalisés par le colonisateur qui les a envoyés lutter contre ceux qui revendiquaient l’indépendance, les mettant en avant dans les répressions les plus abjectes du peuple marocain.
La bay’a a été mise à profit par les Français pour contrer le mouvement national et barrer la route à tous les modernistes et les progressistes. N’oublions pas que la bay’a revêtait déjà du temps du Protectorat une forme féodale, la cérémonie durant alors trois jours entiers après chaque fête religieuse : les caïds et les pachas affluaient alors de tous les coins et recoins du Maroc juste après les aïds et se prosternaient devant le sultan, lui renouvelant leur allégeance. Et n’oublions pas non plus que la plupart de ces caïds et pachas avaient épousé les thèses du colon, puis soutenu ses plans visant à écarter Mohammed V du trône. De même que cette institution de l’allégeance avait permis au pacha de funeste mémoire, le Glaoui, d’appliquer sa stratégie.
Globalement, on peut dire que la bay’a a été mise à profit par les ennemis du Maroc afin de renforcer les positions des partisans de la soumission et de la tradition ; c’est pour cette raison que le rejet de cette coutume de l’allégeance n’avait pas été surprenant, sachant que le colonisateur l’avait employée pour la préservation de la structure makhzénienne élaborée et reconçue selon un schéma qui empêchait toute évolution vers des institutions démocratiques, et qui maintenait la société dans un système particulier arrivé en droite ligne des profondeurs de l’histoire et qui prolongeait et renforçait la soumission et l’obéissance, à jamais… ce sont là des vérités dures à entendre, mais néanmoins nécessaires pour ceux qui sont aveuglés par leurs convictions religieuses et ceux dont l’ignorance a entièrement annihilé la raison, et la pensée.
Il est clair que le concept de la bay’a, à l’aube de l’islam, du temps des Califes, était une méthode consensuelle et participative pour la gestion des affaires de la cité et de la nation musulmane ; mais plus tard, Mouâouiya l’avait transformé en institution héréditaire et autocratique. Et depuis, la bay’a a perdu son caractère consensuel, et aucune dynastie arabe n’est plus parvenue à arriver au pouvoir dans le cadre d’un consensus national… les tribus et les familles s’imposaient alors à la force du sabre et prospéraient à l’ombre de l’injustice. C’était le système en vigueur au sein du monde arabe et dans l’Europe féodale, sauf que la différence est que le Vieux Continent a su par la suite développer ce qui était nécessaire pour installer le système de la démocratie et le respect des droits de l’Homme, à un moment où les Arabes avaient tourné le dos à l’effort et à la réflexion et s’étaient contentés de reproduire encore et toujours leurs traditions, caractéristiques d’un monde aussi stagnant que sous-développé.
Soyons clairs : la bay’a est considérée comme une pratique qui met à mal la dignité de la personne, du fait qu’elle contraint cette personne à s’incliner devant une autre, sachant que l’islam ne recommande la prosternation que devant Dieu, et nul autre que lui. La bay’a est également une pratique et une culture qui ignore le sens de la dignité humaine et du respect du citoyen, et de la citoyenneté.
La bay’a est, plus généralement, l’expression d’un sous-développement historique patent car l’Histoire établit que tous ceux qui ont rabaissé leurs peuples se sont exposés à la colonisation, puis se sont résolument engagés dans le sous-développement. Nous avons été colonisés car nous n’avons pas compris le sens de la citoyenneté, ce principe qui confère aux gens la faculté de choisir leurs gouvernants, d’affermir leur dignité et de vivre la tête haute. Ecoutons Omar ibn el Khattab : « Comment avez-vous pu asservir les gens alors que leurs mères les ont enfantés libres ? »…
Il est véritablement triste que le Maroc du XXIe siècle, plus de 50 ans après son indépendance, persiste à organiser cette cérémonie de la bay’a, en dépit du fait qu’elle représente une certaine forme d’esclavagisme, et insiste pour justifier cette pratique en lui trouvant des aspects positifs… Quelqu’un avait dit : « Quel est cet homme qui accepte de se prosterner devant un autre s’il n’y est pas obligé ou si ses convictions religieuses ne l’y contraignent pas ? ».
Il faut admettre, une fois pour toutes, que la bay’a a enfermé la classe politique marocaine dans une sorte de carcan et a conduit à un système défectueux. La vie politique au Maroc s’est figée dans un rituel aussi ancien qu’humiliant qui a montré la face réelle de toutes ces personnes qui acceptent d’être ainsi rabaissées et qui ne pensent qu’à une chose, bloquer le progrès et condamner le peuple et le pays entier à la stagnation.

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