Par Halima Djigo, yabiladi,4/2/2012
Le journaliste marocain Ali Amar est co-auteur de «Paris-Marrakech: Luxe, pouvoir et réseaux» avec son confrère Jean Pierre Tuquoi, spécialiste du monde arabe. Disponible en France depuis le 25 janvier dernier, cet ouvrage enquête décortique les «relations quasi incestueuses et extravagantes qui unissent la France et le Maroc».
Interpellé par Yabiladi.com, Ali Amar donne des éléments supplémentaires à nos lecteurs, sur ce livre à la pêche aux «personnalités françaises influentes préoccupées à maintenir leurs intérêts peu reluisants» dans le Royaume. Interview.
Ali Amar, journaliste et ancien directeur de l'hebdomadaire «Le Journal».
Yabiladi : Votre livre « Mohammed VI : Le grand malentendu. Dix ans de règne dans l’ombre de Hassan II » avait été interdit de vente au Maroc. Pourquoi selon vous ?
Les raisons de cette interdiction sont multiples à mon sens. D’abord sur le plan de la symbolique, nous savons tous au Maroc que la monarchie est très fébrile lorsqu’il s’agit de la mettre en équation, surtout lorsque cela émane d’une personne de nationalité marocaine. La notion même de citoyenneté dans son acceptation universelle est reniée au peuple.
De ce fait, le Marocain, considéré avant tout comme un sujet du roi, n’a au sens donné par la Beya’a, c’est à dire la soumission au trône, aucune légitimité à participer au débat sur la nature même du régime. La personne du monarque, son institution sont de ce fait sacrés. Cette sacralité sert de bouclier au trône pour se soustraire au principe démocratique de reddition des comptes. C’est le nœud gordien du pouvoir sultanesque de Mohammed VI, hérité de son père Hassan II.
En conséquence, le Marocain demeure infantilisé en droit. Vous comprendrez alors dans mon cas, qu’un journaliste marocain commentant librement le règne de Mohammed VI est vécu par le Palais comme un acte de sédition et de lèse-majesté même si mon ouvrage est loin d’être insultant. D’ailleurs, la fonction sociétale du journaliste au Maroc n’est pas reconnue. Elle n’est acceptée que lorsqu’elle sert de vecteur de propagande au régime.
Ce n’est pas un hasard si Mohammed VI, comme Hassan II se sont toujours refusés à répondre aux questions des journalistes marocains. Nous vivons en pleine féodalité. Par ailleurs, l’autre raison concerne le contenu même de l’ouvrage qui mettait en lumière les turpitudes du roi et de son entourage. Des faits documentés que le pouvoir tente de cacher à l’opinion publique nationale et internationale.
Craignez-vous une nouvelle censure de ce dernier ouvrage coécrit avec Jean Pierre Tuquoi ?
Je serais très surpris de le voir mis en vente au Maroc. C’est d’ailleurs un test supplémentaire pour le régime qui par ailleurs prétend faussement que la liberté d’expression est acquise au Maroc. Sur ce plan, le voir en tête de gondole à la Fnac ou chez Virgin à Paris et ne pas le trouver dans les rayons de la toute nouvelle Fnac du Morocco Mall de Casablanca, célébré dans les médias comme le temple de la modernité, ou du Virgin à Marrakech –un comble d’ailleurs pour un ouvrage qui évoque aussi fortement la ville- est édifiant. C’est l’illustration parfaite de cette modernité de façade que le régime nous vend. De toute manière, les Marocains ne sont pas dupes de cette fumisterie.
Que faut-il retenir principalement de cet axe Paris-Marrakech ?
Un constat s’impose de ce livre-enquête: si le Maroc a vécu sa décolonisation institutionnelle il y a de cela plus d’un demi-siècle, il ne s’est pas affranchi de la tutelle française. Le livre décortique, exemple précis à l’appui combien le royaume demeure à maints égards une province française comme la définissait en son temps Hubert Lyautey.
Les relations extravagantes et quasi incestueuses dévoilées par l’ouvrage entre les élites marocaines et les hommes politiques français, de droite comme de gauche, les intellectuels de tous bords, les patrons du CAC 40, sans parler des vedettes du show-biz sont uniques dans leur genre. Aucune autre puissance coloniale au monde n’entretient ce type de rapports avec ses anciennes colonies ou protectorats. (...) Ils se caractérisent par la corruption, les plaisirs interdits, les biens mal acquis, l’affairisme et une impunité sans freins. En contrepartie, les multinationales françaises s’investissent au Maroc en terrain conquis, exploitent ses richesses sans vergogne dans des conditions souvent inacceptables, toujours en cheville avec les premiers cercles du pouvoir.
Le Maroc est de ce point de vue là la dernière colonie française sur le continent, beaucoup plus que ne le sont les Etats d’Afrique noire. Enfin, tout cela se trame dans une sorte de pacte non écrit, la France et certaines de ses élites soutiennent inconditionnellement le régime: la diplomatie de la République, ses personnalités médiatiques, ses universitaires, ses intellectuels se transforment en lobbyistes, en thuriféraires de tout ce qu’entreprend le Maroc pour ravaler son image à l’international.
Si la France a été aveugle envers le régime policier de Ben Ali, sa complicité avec la monarchie marocaine est bien plus profonde, plus sophistiquée tant ces liens de consanguinité et d’intérêts croisés qui l’unissent presque génétiquement avec un certain Maroc sont intenses. Cela à un coût pour le peuple marocain: celui de voir le pays spolié de son ambition démocratique. Cela à mon sens devra cesser en ces temps de révolutions arabes.
Comment jugez-vous la sortie de « Paris-Marrakech : luxe, pouvoirs et réseaux » en France ?
J’en suis à ce jour assez satisfait: le livre est déjà depuis sa sortie le 25 janvier un succès en librairie. Je regrette encore une fois cependant que la presse française soit toujours aussi rétive dans sa majorité a faire cas d’un ouvrage critique envers le royaume, surtout lorsqu’il s’agit d’un livre qui met aussi en lumière la compromission de certains milieux français toujours prompts à défendre la fausse idée d’un Maroc qui serait une exception dans le monde arabe. S’il existe une exception marocaine, c’est justement à travers la singularité de ses attaches parisiennes qu’il faut la décrypter.
D’abord des révélations sur « une monarchie affairiste, engoncée dans les pesanteurs de son apparat et de son faste », à présent vous en faites sur la ville de Marrakech qui serait devenue « la plaque tournante du tourisme sexuel» et «aurait même remplacé Bangkok».
Que répondez-vous aux personnes qui vous accusent de « dénigrer beaucoup trop souvent » le Maroc?
Mes deux ouvrages ne s’attachent pas uniquement à la seule description que vous en faites. Ce serait pour le moins réducteur. Je revendique cependant un regard très critique sur la direction qu’a prise le Maroc depuis une dizaine d’années, tant l’espérance d’une refonte institutionnelle était grande au crépuscule du règne de Hassan II. Sur ce plan, son fils a certainement manqué son rendez-vous avec l’histoire. Je ne suis pas le seul à le dire. Vous savez, j’ai comme une poignée d’autres journalistes, activistes ou intellectuels marocains été accusé de manquer de patriotisme envers mon pays. Cette idée de défendre sa patrie en reniant ses principes est étrangère à la conception que je donne à l’engagement citoyen.
Si je critique le régime marocain aujourd’hui, je le fais à ma manière, comme le font autrement et avec courage ces milliers de Marocains qui descendent dans la rue pour exiger plus de dignité et une existence décente d’hommes et de femmes libres. C’est ma manière d’aimer mon pays, celle de lui souhaiter la grandeur qu’il mérite en accédant à la démocratie et au développement pour tous, sans exclusive. D’aucuns disent que je fais partie de ces aigris du pouvoir qui attendent d’être cooptés, me prêtant comme à d’autres des ambitions personnelles ayant côtoyé un temps les marches du Palais. A eux, je ne réponds que par mon engagement loin des ors de la royauté, de ses fastes ridicules et de l’avilissement de ceux qui y perdent l’essentiel, en somme leur dignité.
Aujourd’hui, je ne crois plus du tout en la capacité du régime actuel à se réformer et à offrir ce dessein aux Marocains. Il l’a encore une fois prouvé au cours de cette année avec cette mascarade de réforme constitutionnelle concoctée comme un mauvais contrat d’assurance dans les arcanes du Palais. Je suis de ceux dont la déception est telle envers ce régime que ma conviction est faite : le Maroc ne trouvera son élan salvateur qu’en faisant table rase de ce qui l’empêche d’aller de l’avant, c’est à dire cette monarchie qui se refuse à céder la moindre once de son pouvoir moyenâgeux.
Préparez-vous un autre ouvrage ? Si oui, quelle en sera l’idée générale ?
Je travaille sur le deuxième volet de mon premier livre où comment ce “grand malentendu” entre les Marocains et leur roi se transforme au fil du temps en divorce, n’en déplaise à ceux qui s’en voilent encore la face.
http://www.yabiladi.com/articles/details/8798/amar-maroc-derniere-colonie-francaise.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire