Au Maroc, des élections législatives ont eu lieu le 25 novembre 2011 et les grands vainqueurs sont les « islamistes modérés » du PJD, le Parti Justice et du Développement. Son chef, Abdelilah Benkirane, a été chargé par le roi de former un gouvernement. L’Union européenne qualifie cette nomination de « pas importante dans le processus de démocratisation du Maroc ».
Pour Zineb El Rhazoui, co-fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, cette élection est une farce, le régime voudrait juste donner l’impression de faire des réformes.
Ce sont les islamistes modérés du Parti de la justice et du développement (PJD) qui ont remporté les élections ; ils promettent un vrai changement. Que représente cette victoire ?
D’abord, que signifie « islamiste modéré » ? Tout le monde les présente comme des islamistes modérés. Est-ce qu’il suffit de ne pas être pour la lapidation publique pour passer pour un islamiste modéré ? Je rappelle qu’Abdelilah Benkirane, qui attend sa nomination officielle comme Premier ministre par le roi, est quelqu’un qui a des propos extrêmement homophobes, berbérophobes, misogynes, qui est contre la liberté de culte, contre la laïcité et qui a même dit dans un discours devant la jeunesse du parti il y a quelques mois à Témara au Maroc que les laïcs veulent semer la dépravation parmi les croyants et que, pour les gens qui défendent la laïcité, le PJD leur appliquera les châtiments de dieu. Selon la charia, cela représente les châtiments corporels. Je me demande jusqu’à quel point le PJD est modéré !
En revanche, il ne faut pas s’alarmer non plus. En effet, ce qui s’est passé au Maroc n’a rien à voir avec l’arrivée des islamistes en Tunisie. Il ne faut pas oublier que le PJD est sorti du giron du ministère de l’Intérieur et qu’en 1998, c’est un parti qui a reçu le parrainage de Driss Basri, le tout puissant ministre de l’Intérieur d’Hassan II. C’est donc un parti profondément royaliste, qui accepte les règles du jeu du système marocain. Abdelilah Benkirane est le chantre de la monarchie absolue, il est farouchement opposé à l’idée d’une monarchie parlementaire qui est revendiquée par une plus large partie des contestataires marocains.
Qu’est ce que cela veut dire pour les femmes marocaines ?
Pour les femmes marocaines, je pense que c’est la fin de l’espoir, qui a déjà été dissipé avec la Constitution de juillet. Beaucoup de femmes s’attendaient à ce que la Constitution établisse enfin une véritable égalité inconditionnelle entre les hommes et les femmes, que les réserves émises par le Maroc sur la CEDAW soient levées, ce qui n’a pas été le cas. A cet égard, le PJD est très, très clair. Il est contre l’égalité en matière d’héritage.
Abdelilah Benkirane, nommé Premier ministre, s’est dernièrement exprimé devant le Women’s Tribune au Maroc et il leur a clairement annoncé : « Ne me demandez pas de toucher au Coran ». Donc pour les femmes, c’est clair que ce n’est pas le PJD qui portera leur combat. Ce n’est pas le PJD qui va militer pour l’égalité en matière d’héritage ou une véritable égalité.
Le mouvement du 20 février a boycotté ces élections, il y avait encore récemment des manifestations au Maroc, pourquoi ce boycott ?
Le mouvement du 20 février a boycotté les élections législatives mais il n’est pas le seul. Il a été rejoint par trois partis de la gauche. Le mouvement du 20 février boycotte les élections parce qu’il considère que les institutions qui encadrent le jeu politique au Maroc sont totalitaires à la base, elles ne permettent pas l’émergence d’une démocratie et ne permettent pas le renouvellement des élites. Aujourd’hui, au Maroc, nous avons pléthore de partis qui participent à la vie politique, qui sont tous gangrénés par la corruption. C’est toujours les mêmes figures, c’est toujours le même système.
Ces élections législatives ont pour but de renouveler la première chambre du parlement marocain (395 sièges) – je rappelle que le Maroc a un Parlement bicaméral. Or nous savons très bien que le Parlement marocain est une coquille vide, c’est une caisse de résonance des volontés du palais royal. En vertu de la Constitution, le Roi possède le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir spirituel, temporel, le pouvoir militaire – je rappelle à ce titre que nous n’avons pas de ministre de la Défense au Maroc – sans parler du pouvoir économique, du pouvoir religieux.
C’est pour ça que le mouvement du 20 février appelle au boycott de ces élections. A la différence des législatives tunisiennes, les élections marocaines continuent à être chapeautées par le ministère de l’Intérieur, le même ministère qui nous rappelle les années Basri et tout l’art de la manipulation des scrutins.
Craignez-vous davantage de répression sur le mouvement du 20 février ?
Je pense qu’au Maroc, la machine répressive est en marche depuis le début de la contestation. Dès le 20 février, s’il n’y a pas eu de répressions à Rabat ou à Casablanca, il y a eu une répression très forte à Al Hoceima, dans le nord du Maroc, qui a fait cinq morts. De même dans d’autres villes. Et depuis, la répression n’a jamais vraiment cessé. Même le 13 mars à Casablanca, quatre jours après le discours royal dans lequel Mohammed VI promettait à la population monts et merveilles, il y a eu une très forte répression devant le siège du PSU à Casablanca, qui a fait plusieurs blessés et il a été procédé à plusieurs arrestations. Je ne parle même pas des autres formes de la répression que sont le harcèlement policier, le règlement de compte qui se passe toujours dans le silence.
Les militants du mouvement du 20 février qui se battent pour la démocratie dans leurs villes ou villages sont harcelés, menacés, surveillés, leurs ordinateurs sont piratés. Beaucoup d’entre eux ont perdu leur travail, certains ont été violemment tabassés, sans parler de ceux qui se retrouvent en prison. Je rappelle le cas du rappeur Mouad el Haked ainsi que d’autres militants emprisonnés dans les villes du Maroc.
Ces élections législatives anticipées donnent l’impression que le régime accélère son calendrier des réformes de façade pour donner l’impression d’avoir fait le nécessaire pour ensuite passer à une seconde étape. Se pose alors la question sur sa tolérance envers le mouvement de la rue qui prend de plus en plus d’ampleur.
Votre article est intéressant à juste titre car vous allez au delà des effets d'annonces et des termes trompeurs ("islamistes modérés" par exemple) et vous expliquez la réalité. Quel dommage que vous tombez vous même dans la même erreur en début d'article quand vous parlez des islamistes tunsiens (je vous cite "En revanche, il ne faut pas s’alarmer non plus. En effet, ce qui s’est passé au Maroc n’a rien à voir avec l’arrivée des islamistes en Tunisie"). Je ne suis pas d'accord. L'arrivée des islamistes en Tunisie n'est pas alarmante. La Tunisie est beaucoup mieux loti que le Maroc. Les islamistes sont élus par le peuple suite à des élections exemplaires. Et la Tunisie fait face à un vrai changement, "contrairement à ce qui se passe au Maroc" ! De plus la société civile est très mobilisée et de plus en plus organisée. Je vous souhaite du fond de coeur quelque chose de similaire au Maroc.
RépondreSupprimerUn frère tunisien (anti islamistes modérés ou pas)